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La bonne surprise de Noël
Les pharmaciens trouveront beaucoup de réconfort dans les conclusions de l’avocat général près la Cour de justice européenne, le 16 décembre, sur l’ouverture du capital en Sarre et en Italie. Yves Bot a justifié en tout point l’exercice personnel et les restrictions à l’ouverture du capital. Verdict au printemps. La CJCE suit en général à 80 % son avis.
Les articles 43 CE et 48 CE […] ne s’opposent pas à une législation nationale en vertu de laquelle seuls des pharmaciens peuvent détenir et exploiter une pharmacie. » Les conclusions d’Yves Bot, avocat général (français) près la Cour européenne de justice, dans le cadre des affaires concernant la Sarre et l’Italie, ne pouvaient pas être plus favorables à notre modèle officinal. Mieux, Yves Bot démonte presque explicitement les autres systèmes, au regard de la protection de la santé publique. Oui, l’exercice personnel est une entrave à la liberté d’installation, mais justifiée par l’intérêt général – la santé publique -, estime l’avocat général : « La règle en vertu de laquelle seul un pharmacien peut détenir et exploiter une pharmacie est propre à garantir la réalisation de l’objectif de protection de la santé publique. » C’est même « nécessaire », démontrera-t-il.
Prévenir les conflits d’intérêts liés à une verticalisation
« Une personne à la fois propriétaire et employeur, qui détient une pharmacie, influe inévitablement, à notre avis, sur la politique suivie en matière de dispensation », commente Yves Bot. « En outre, le pharmacien se trouve associé […] à une politique générale de santé publique, largement incompatible avec une logique purement commerciale propre aux sociétés de capitaux directement orientées vers la rentabilité et le profit », continue-t-il.
Les grossistes-répartiteurs ambitieux en prennent également pour leur grade. En réservant l’exploitation au pharmacien, le législateur national a pour but de « rendre la structure économique des pharmacies imperméable aux influences extérieures », de « prévenir les risques de conflits d’intérêts […] qui pourraient être liés à une intégration verticale », analyse-t-il ! En comparaison, le pharmacien est « un professionnel de santé qui est soucieux d’équilibrer ses impératifs économiques avec des considérations de santé publique, ce qui le différencie d’un pur investisseur ». Ainsi Yves Bot assimile-t-il la réglementation restrictive allemande à une « démarche préventive […] apte à assurer la protection de la santé publique ».
Inversement, les arguments de la Commission sont balayés. Non, avec la multiplication des déremboursements liés au redressement des comptes sociaux, les pharmaciens ne sont pas « ordonnance-dépendants », donc leur conseil doit rester plus que jamais indépendant. Non, l’idée « d’un régime de responsabilité tant d’un exploitant non pharmacien que des pharmaciens salariés et d’un régime de sanctions » à leur encontre « ne nous paraît pas suffisante pour garantir un niveau de santé publique aussi élevé » car de tels dispositifs ne corrigeraient d’éventuels excès qu’a posteriori. Non, un pharmacien salarié, même s’il maîtrise l’acte de dispensation, « n’a pas la maîtrise de la politique commerciale de la pharmacie ». Le risque : par « manque de compétence professionnelle […] », l’exploitant non pharmacien peut être « tenté de réduire l’activité de conseil ou de supprimer des activités peu rentables ».
Défense du monopole et du quorum !
Cerise sur le gâteau, l’avocat général considère que « la répartition géographique des officines et le monopole […] devraient continuer de relever de la compétence des Etats membres et font partie des mesures législatives nationales liées à la protection de la santé publique ». Il est allé ici au-delà de la question posée ! L’argumentation fut pratiquement la même, au mot près, dans le cas italien examiné en même temps. La France s’était très impliquée dans cette affaire, produisant à l’automne 2007 un mémoire défendant le modèle italien. Un système qui « ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer un niveau élevé de protection de la santé publique », assène Yves Bot.
« Monsieur Bot a souligné que la subsidiarité en matière de santé est un principe essentiel. Il note que le marché intérieur ne peut être ignoré mais les Etats membres ont toute latitude dans le choix de leurs normes et outils de régulation, même s’ils sont plus restrictifs que d’autres Etats », a commenté John Chave, secrétaire général du Groupement pharmaceutique de l’Union européenne, soulagé mais prudent, soulignant qu’il est arrivé aux juges de ne pas suivre Yves Bot.
Satisfaction et prudence aussi côté français. « Pour nous, la totale libéralisation n’est pas une fatalité, a commenté Isabelle Adenot, membre du Conseil national. Il est important de ne pas céder à la sinistrose. Les nouvelles de Bruxelles sont bonnes, mais ce n’est qu’une étape. Il faut attendre la décision de la Cour de Justice. » Reste que les juges suivent l’avis de l’avocat général dans 80 % des cas.
Pour le président de l’Ordre, Jean Parrot, « c’est une remise de la balle au centre. L’avocat général a bien fait la différence entre ce qui était du domaine partagé et ce qui relevait de la compétence des Etats en santé. Il est même allé jusqu’à répondre à des questions que la Commission n’avait pas posées mais que le commissaire McCreevy [au marché intérieur] se posait ou allait poser à la Cour de justice [sur le quorum et le monopole]. Je me félicite également qu’Yves Bot ait noté qu’un professionnel de santé soumis à un financier pouvait entraîner une restriction quant à l’accès à la totalité du panier des biens de santé ».
L’effet des subprimes et de la crise
Mieux vaut tout de même avoir le triomphe modeste, estime cependant Lucien Bennatan, président de PHR : « Les chaînes existent déjà. Voyez ce qui se passe avec les SEL. Quant au capital des entreprises officinales, il est tenu soit par les banques, soit par les grossistes-répartiteurs. Alors, il ne faut pas trop se faire d’illusions, le sujet reste d’actualité. Ce ne sera pas 2009 mais après… D’autant que l’on parle de plus en plus d’un départ de Roselyne Bachelot de la Santé. Il se murmure que Nathalie Kosciusko-Morizet, à qui une politique libérale tient vraiment à coeur, pourrait la remplacer. » C’est tout le problème de la tendance ultralibérale de ces derniers temps qui continuera de jouer sa chance sur les terrains nationaux si elle échoue sur le front européen. Cela étant, l’analyste Daniel Lucht (Verdict Research) affirme que « nous pourrions assister à un changement de fond dans les prises de décisions de l’UE. Nous glissons lentement vers une dérégulation […], basée sur le coût-bénéfice en faveur des consommateurs et des patients ». Et d’estimer que la prise de position de M. Bot va « retarder la libéralisation en Autriche, en France et en Espagne ». C’est « une grosse surprise pour beaucoup d’observateurs et d’acteurs du marché », souligne-t-il. Qui serait largement liée au changement de climat politique depuis les crises des subprimes et du crédit dues à une « déréglementation excessive ».
Reste le contexte économique. Selon une étude Precepta, « cette indépendance confortée ne doit pas masquer que les officinaux seront inévitablement amenés à renforcer leur légitimité dans la chaîne de santé et recourir à des partenaires pour concilier une optimisation de leur stratégie d’approvisionnement de plus en plus complexe depuis l’essor du générique et un éventail de services élargi, en phase avec les évolutions du métier ».
Italie et Allemagne, un point
Soulagés, rassurés, optimistes, les pharmaciens italiens. « Les conclusions de l’avocat général confortent complètement nos attentes », a déclaré la FOFI, fédération nationale des ordres des pharmaciens italiens. « La pharmacie doit rester entre les mains des professionnels, a rappelé pour sa part Annarosa Racca, présidente de Federfarma, la fédération des titulaires de pharmacies. Je suis contre cette logique purement commerciale de l’arrivée des multinationales, car produire et distribuer des médicaments, tout en étant propriétaire d’officines et responsable de la vente finale, est incompatible ! »
C’est aussi une victoire sans équivoque qu’ont fêtée les pharmaciens allemands. Plus que dans tout autre pays européen, la profession était sous pression depuis plusieurs années. L’autorisation de la VPC, de la propriété multiple et l’arrivée de Doc Morris sur le territoire via des accords de coopération avec des officinaux indépendants avaient fini de resserrer l’étau. Sans compter, courant 2007, le rachat de Doc Morris par le répartiteur Celesio. A tel point que les officinaux allemands avaient fini par jeter l’éponge, résignés face aux droguistes et aux GMS qui montaient peu à peu leur réseau via des filiales de VPC sises aux Pays-Bas.
Le verdict d’Yves Bot a été interprété dans le sens « d’une protection du patient et de la responsabilité indépendante du pharmacien », a déclaré Heinz-Günter Wolf, président de l’Abda, la fédération professionnelle des pharmaciens allemands. L’enthousiasme est douché du côté de Celesio dont les projets d’expansion en Europe se trouvent contrecarrés. « Grâce au jugement de la CJCE, la clarté va enfin régner sur l’évolution du marché allemand de la pharmacie », a cependant déclaré Fritz Osterle, président du répartiteur. Mais Wolfgang Schild, le secrétaire d’Etat à la Santé sarrois (qui avait accordé sa licence à Doc Morris) ne s’est pas gêné de son côté pour critiquer l’argumentation d’Yves Bot, estimant que ces conclusions sont partielles et erronées sur le fond. Wolfgang Schild ne désarme pas et croit toujours, lui, à une issue favorable à la libéralisation au printemps.
E. Kern (Italie) et M. Luginsland (Allemagne)
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