Je favorise la prise d’initiatives

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Publié le 21 avril 2015
Par Yves Rivoal
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À la tête de la librairie Galignani à Paris, Danielle Cillien-Sabatier a été élue en décembre dernier manager de l’année par la Tribune Women’s Awards. En alliant tradition et modernité, elle a su faire progresser son entreprise dans un marché touché de plein fouet par la crise. Une stratégie inspirante pour les officinaux…

Après une carrière dans les médias, Danielle Cillien-Sabatier prend en 2009 la direction générale de la librairie Galignani, rue de Rivoli à Paris, qui vient de traverser deux exercices difficiles. Cinq ans plus tard, sous son impulsion, le CA a progressé de 23 % et le résultat net a été multiplié par 16. Sur la même période, le secteur de la librairie a enregistré une baisse de 10 %…

« Pharmacien Manager ». À votre arrivée à la tête de la librairie Galignani en 2009, quel constat dressez-vous ?

Danielle Cillien-Sabatier. J’ai d’abord été frappée par la valeur patrimoniale de cette maison. Elle est en effet bien plus qu’une librairie. Il s’agit d’un véritable lieu d’histoire et de culture. Depuis sa création, en 1801, elle a été fréquentée par Lord Byron, Stendhal, Charlie Chaplin, Ernest Hemingway, André Malraux… Marcel Proust venait y acheter ses carnets. J’ai aussi découvert un personnel de grande qualité, une forme d’excellence dans les savoir-faire, une composition de fonds remarquable… Côté point faible, la librairie était en retard en matière d’informatique. En place depuis vingt ans, le management précédent n’avait pas investi dans des outils de gestion moderne.

P.M. Le principal enjeu était-il d’insuffler de la modernité et de l’innovation sans dénaturer la tradition ?

D.C.-S. Quand vous gérez une marque patrimoniale, il faut effectivement innover, mais avec modération, et en conservant les acquis du passé. J’entretiens précieusement les boiseries Art Déco, qui datent de 1930 et donnent à la librairie son cachet unique. En même temps, je m’autorise à faire dessiner de nouveaux meubles qui s’inscrivent parfaitement dans l’esprit du lieu. Je n’ai pas non plus touché au positionnement unique de la maison avec ses trois librairies en une dédiées aux beaux-arts, à l’anglais et au français. J’ai également conservé la profondeur du stock, qui comprend en permanence 50 000 références, ainsi que le dosage entre le fonds et l’actualité qui est chez nous de 50/50. Alors que, dans les autres librairies, l’actualité peut représenter jusqu’à 90 % des références. Grâce à cette offre différenciante, nous répondons aux be­soins des habitants du quartier, mais aussi à la clientèle du Tout-Paris, du luxe, de la mode, des bijoux… Nous avons également beaucoup de chercheurs et d’historiens qui nous confient des recherches très spécifiques. Nous travaillons aussi en marché public pour des institutions comme la Cour des Comptes, l’INHA ou les musées voisins: Orsay, l’Orangerie et le Louvre.

P.M. Comment avez-vous imprimé votre marque ?

D.C.-S. Je me suis appuyée sur mon expérience en matière de communication et de marketing (N.D.L.R. Danièle Cillien-Sabatier est diplômée de l’ESSEC). Le site Internet a été modernisé. Une page Facebook et un compte Instagram ont été mis en ligne… J’ai par ailleurs introduit un catalogue édité à 4 000 exemplaires et qui est envoyé à nos clients avant Noël. Nous diffusons également l’été un journal, Galignani on the Beach, dans lequel nous sélectionnons les livres que nous avons aimés pendant l’année. Pour ce qui est de la communication, je connais beaucoup de monde dans les médias. Je fais donc en sorte que l’on parle de la librairie dans les journaux, à la radio ou à la télévision. Nous créons également nous-mêmes l’événement en organisant des rencontres avec des représentants du CAC 40 et des artistes. Nous avons par exemple reçu Karl Lagerfeld à l’occasion du lancement d’un livre sur Chanel…

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P.M. Sur le plan managérial, quels changements avez-vous introduits ?

D.C.-S. Quand je suis arrivée, la plupart des libraires étaient en place depuis dix ou vingt ans. Il y avait donc beaucoup d’habitudes bien ancrées. Les commandes étaient toujours écrites à la plume dans un livre noir. Le manager précédent utilisait des papiers de couleur pour communiquer avec l’équipe. Une de mes premières décisions a donc été de déployer une messagerie en réseau et de doter chaque collaborateur d’une adresse e-mail. En parallèle, j’ai fait évoluer l’organigramme en créant un poste de responsable marketing et en instaurant un management intermédiaire avec des cadres à la tête des trois pôles.

P.M. Quelles méthodes de management employez-vous ?

D.C.-S. Pour faire évoluer les choses en douceur, je privilégie un style de management à la fois participatif et persuasif. De par mon expérience, je pense avoir acquis une autorité naturelle qui me permet d’obtenir ce que je veux mais sans jamais imposer les choses. Je cherche toujours à convaincre, à faire la démonstration par l’exemple pour que les gens adhèrent, petit à petit. Je favorise aussi la prise d’initiatives et de responsabilités de mes collaborateurs.

P.M. Avez-vous des exemples concrets ?

D.C.-S. Par exemple, j’ai réuni l’ensemble de l’équipe pour changer la manière de travailler nos vitrines. Celles-ci ont toujours été spectaculaires mais, avant mon arrivée, elles étaient rythmées par un calendrier basé sur une alternance immuable entre les beaux-arts, l’anglais et le français. Ce travail de brainstorming a débouché sur des vitrines thématiques qui renvoient à des expositions, des sorties de livre, des dates anniversaires, des événements…

J’incite également mes libraires à aller à la radio ou à la télévision lorsque nous sommes conviés pour des interviews. Certaines personnes se sont ainsi révélées et ont pris de l’assurance. Dernièrement, deux d’entre eux sont venus me présenter une vidéo qu’ils avaient eux-mêmes tournée. Comme elle était plutôt drôle, nous avons décidé de la diffuser sur le site Internet et sur notre page Facebook. Quand je suis arrivée il y a cinq ans, personne n’aurait osé faire cela.

P.M. À quoi ressemblera votre librairie dans cinq ou dix ans ?

D.C.-S. J’aime à penser qu’elle sera comme il y a cent ans, avec son odeur de cire, ses boiseries, son calme, qui contraste avec l’agitation de la rue de Rivoli… Quand vous entrez chez nous, vous avez l’impression de retourner dans le Paris ou le Londres du XIXe siècle. J’espère que nous conserverons ce côté magique et que, dans le même temps, nous imprimerons peut-être des livres sous les yeux des clients, avec la typographie de leur choix. Car, s’il y a une chose dont je suis sûre, c’est que le numérique ne fera pas disparaître le livre papier, bien au contraire. Les gens auront toujours ce désir d’afficher leur culture et leur goût pour mieux les partager.

DIRECTRICE GÉNÉRALE DE LA LIBRAIRIE GALIGNANI, ÉLUE MANAGER DE L’ANNÉE.