Il y a peu de métiers où le potentiel de clients augmente autant

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Publié le 10 janvier 2004
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Pour Annie Reboul, titulaire de la Pharmacie des Carmes à Pertuis (84), et Jacques Lachamp, à Toulon (83), valeur des fonds et augmentation des dépenses de santé vont de pair. Roger Grébert, à Saint-Saturnin-lès-Avignon (84), tempère : « Dans le Vaucluse, les fonds se vendent à 95 % du chiffre d’affaires au lieu de 100 %. Le prix augmente mais quid pour 2006 où on comptera de nombreux départs à la retraite ? L’offre augmentera et le prix diminuera. »

Alain Jayne, à Marseille (13), comprend les 28 % d’indécis parce que « nous sommes « ministre-de-la-Santé-dépendants » ». Mais Jean-Damien Bastia, au Pradet (83), précise que « dans le Var il y a une demande forte de la part de ceux qui veulent travailler au soleil. Et ce n’est pas fini ! ». Toutefois Louis Pénéranda, titulaire de la Pharmacie Notre-Dame de Santé à Carpentras (84), remarque que, entre les indécis et ceux qui répondent par la négative, plus de la moitié des pharmaciens sondés s’interroge. « Cela traduit leur inquiétude sur l’avenir d’une profession dont on dit qu’il y a trop de pharmacies et que le réseau de distribution coûte cher. » Mais il se range tout de même dans les optimistes : « Il y a peu de métiers où le potentiel de clients augmente autant. Ce n’est pas une raison pour rester passif. Il faudrait renforcer notre coeur de métier. Le MAD et l’orthopédie devraient revenir vers l’officine et nous devrions nous investir davantage dans les réseaux de soins. »

Pas question de vendre, affirme nettement Annie Reboul : « J’ai 63 ans et je ne me sens pas en bout de course. Je préférerais me faire aider, mais c’est purement théorique car il est de plus en plus difficile de trouver des assistants. »

Jacques Lachamp considère que « si la fiscalité favorise les regroupements, les ventes seront nombreuses. Cela se fera au détriment du service de proximité, notamment à Toulon où on compte trente pharmacies en trop ». Quant à Alain Jayne, il balaie le sondage d’une boutade : « Vendre, c’est une question de prix. Si un fou proposait 200 % du chiffre d’affaires, qui dirait non ? » Plus sérieusement, il constate que seulement 8 % voudraient changer. « C’est peu, probablement des jeunes. C’est le signe que le métier est attirant. Quant aux 62 % d’indécis, je suis persuadé qu’ils veulent racheter une pharmacie. Malgré les difficultés de la profession, elle reste le seul secteur qui peut se vanter de n’avoir quasiment qu’un seul client (la Sécurité sociale) et une garantie de paiement à 8-10 jours. Les autres professionnels doivent nous envier. »

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L’ouverture du capital fait peur.

« Si on vend, on rachètera une pharmacie, indique Jean-Damien Bastia. C’est un métier d’avenir, que l’on aime. Ceux qui veulent faire autre chose sont inconscients. Ils oublient que nous avons un monopole. Quant au très grand nombre d’indécis, ils adoptent une attitude qui traduit leur ras-le-bol. Mais quand on leur demande ce qu’ils feront, ils ne savent pas. Donc, ils ne vendront pas. On ne vend pas sur un coup de tête. »

Sur la question de l’ouverture du capital, Annie Reboul comprend ceux qui répondent par la négative (42 %). « Ils ont peur que les SEL soient ouvertes aux banques, aux grossistes ou aux assurances… Et puis, cette profession est avant tout composée d’individualistes. Pourtant la SEL serait une bonne manière d’intégrer les adjoints mais, en ce qui me concerne, je ne suis pas prête. » Même discours chez Alain Jayne : « Si nous avons choisi d’exercer en libéral, ce n’est pas pour être salariés et sous-fifres de financiers, mais faire entrer un jeune adjoint dans le capital me paraît une bonne chose. » Et Paul Hoflack (Sin-le-Noble, 59) de poursuivre : « Pour l’éthique professionnelle, le pharmacien doit exercer, être responsable personnellement. Ceux qui optent pour une SARL ne sont pas l’avenir de la profession. Autant aller jusqu’à ouvrir à Auchan. C’est une question d’image, d’éthique. »

« Chacun peut se trouver une bonne motivation pour dire oui à une ouverture du capital : une succession, une reprise, le souhait de s’attacher un collaborateur, de s’assurer de nouvelles compétences. » Patrice Bertez (Lomme, 59) n’est donc pas un opposant formel, mais « cela dépend des conditions, et avec qui… ». « D’ici dix ans ce sera le papy-boom avec un manque de repreneurs, prévoit Monique Nappi (Loos, 59). La solution sera d’ouvrir le capital pour les attirer, ce sera une obligation si l’on veut céder. Une autre solution pourrait venir de l’élargissement de l’Europe à 25 avec la libre circulation des diplômes. Je pense qu’ils sont 42 % à y être opposés par individualisme et par peur. » Plus réservé sur cette question, Mohammed Faiz sent ses confrères « perturbés », craignant que les « investisseurs n’en fassent plus qu’un problème de rentabilité et ne transforment radicalement la conception actuelle de la pharmacie ». Pour lui, les « contre » le sont « par crainte de se faire bouffer par la grande distribution, les grossistes », quand les « pour » le sont « pour envisager de construire quelque chose de plus grand, plus compétitif ». Quant à Jacques Lachamp et Roger Grébert, ils estiment qu’il y a une rupture générationnelle.

« Ils n’ont pas mangé assez de vache enragée !

» On le voit, l’ouverture du capital, quand elle est envisagée, est pressentie très majoritairement vers pharmacien adjoint. « Quand on a créé le diplôme de pharmacien adjoint, on a eu tort. On aurait dû prévoir l’obligation de faire entrer les adjoints au capital de l’officine… », avance Roger Grébert. Jean-Damien Bastia n’hésite pas à affirmer : « La SEL est une chance pour fidéliser les bons collaborateurs, d’autant qu’il y a pénurie. On devrait même faire entrer des préparateurs dans le capital, parce qu’ils sont, autant que nous, acteurs de l’officine. » Il argumente : « La SEL pourrait se développer davantage si nous pouvions, comme cela se pratique ailleurs, bénéficier d’avantages fiscaux permettant, au sein d’une holding, de reporter les pertes d’une entité sur une autre les deux premières années. On devrait aussi modifier la fiscalité, très défavorable sur la revente des parts. »

Comment peut-on être favorable à une ouverture du capital à 29 % et ne pas se prononcer à 59 % sur le bénéficiaire de cette ouverture ? Monique Nappi juge ce non-choix « dramatique » : « Ils ne se rendent pas compte à quelle sauce ils pourraient être mangés. Il aurait été si simple de répondre : « à des pharmaciens ». Ils n’ont pas encore assez mangé de vache enragée, ont la tête sur leur comptoir et ne regardent pas à l’extérieur ! D’autant que cette ouverture est déjà inscrite dans la loi MURCEF. Ne manquent que les décrets. La machine est en route, il faut être vigilant. » Patrice Bertez est plus mesuré : « Répondre à cette question est prématuré. Les banques, cela ne les intéressera pas, elles financent déjà le crédit… Ceux qui ont répondu ne pas savoir attendent de voir le projet, de savoir à qui sera associé cet apport de capitaux. »