ÉCONOMIES ET SÉCURITÉ SONT-ELLES COMPATIBLES ?

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Publié le 25 mai 2013
Par Caroline Coq-Chodorge
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La pression sur les coûts conduit à une fragmentation de la chaîne de production des princeps et des génériques, via le recours à des sous-traitants et à des délocalisations. La France cherche un fragile équilibre entre la maîtrise de ses dépenses et la préservation de son industrie pharmaceutique, qui garantit une plus grande sécurité de ses médicaments.

Des médicaments à bas coût, de moindre qualité, parfois dangereux, soupçonnent une partie des Français, braqués par des décisions autoritaires des pouvoirs publics, type « tiers payant contre génériques », et confortés par les prises de position de certains médecins… entend-on d’un côté. De l’autre, s’élève la contre-offensive énergique des laboratoires de génériques, récemment étayée par trois rapports émanant d’autorités publiques, qui, tous, valident la politique du générique menée en France depuis 1999. L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) conclut à « une absence de supériorité du princeps », les génériques offrant les mêmes garanties de qualité et de sécurité que les princeps. Même conclusion côté Agence nationale de la sécurité du médicament (ANSM), qui rappelle que « le médicament générique obéit aux mêmes règles » de contrôle. L’Académie nationale de pharmacie se porte elle aussi garante de « la qualité et de la sécurité des génériques ».

Riches, ces rapports soulèvent cependant des interrogations, comme celle-ci : « Le modèle médicoéconomique parvient de plus en plus difficilement à concilier les intérêts divergents voire contradictoires des différents acteurs », écrit l’IGAS. Car, puisque les pouvoirs publics veulent maîtriser les dépenses de médicaments grâce au générique, la conséquence en est une pression sur les coûts de fabrication. L’industrie pharmaceutique a vu son modèle économique profondément bouleversé et a massivement délocalisé une partie de la chaîne de production des médicaments, princeps comme génériques.

Matières premières importées hors d’Europe

« 55 % des génériques consommés en France sont fabriqués dans l’hexagone et 95 % en Europe », assure Catherine Bourrienne-Bautista, déléguée générale du Gemme, l’association qui défend les intérêts de 14 laboratoires génériqueurs. Mais le diable se cache parfois dans les détails : si l’étape finale de la fabrication des génériques est restée européenne, elle a été largement sous-traitée à des façonniers, ces entreprises qui assemblent le médicament. Dans 75 à 80 % des cas, selon le Gemme. En revanche, l’industrie des matières premières – des génériques comme des princeps – a été délocalisée hors d’Europe « de 60 à 80 % », selon l’IGAS. L’Agence européenne des médicaments estime de son côté que 50 % des matières premières pharmaceutiques au niveau mondial sont produites en Chine, 22 % en Inde et 17 % en Israël.

Cette fragmentation de la production sous l’effet de la mondialisation traverse toute l’industrie pharmaceutique, sans distinction entre génériques et princeps. « Car la ligne de partage entre génériqueurs et laboratoires de recherche s’est estompée », explique Philippe Lamoureux, directeur général du Leem. De nombreux fabricants de princeps ont en effet investi le marché du générique : Sanofi en rachetant Winthrop dès 1994, Servier en créant Biogaran en 1996, Novartis sa division générique Sandoz en 2000, etc. Le Gemme se veut donc rassurant : « Les principes actifs des génériques sont les mêmes que ceux des princeps », assure Frédéric Collet, vice président affaire médicales – hôpital et biosimilaires du Gemme et président de Sandoz France. L’IGAS, qui consacre un important chapitre de son rapport aux principes actifs, est plus prudente : selon elle, la « traçabilité est difficile ». Pascal Brière, président du Gemme et de Biogaran, reconnaît ne pas pouvoir avancer de chiffre précis : « La part de matières premières importée hors d’Europe est sans doute la même pour les génériques et les princeps. » « Faux ! », rétorque David Simonnet, président du groupe Axyntis, leader de la production des matières premières pharmaceutiques en France : « C’est la pression sur le coût des médicaments qui explique depuis 10 ans l’accélération de la délocalisation des lieux de production, et elle est bien plus forte pour les génériques. Les matières premières représentent 5 à 10 % du coût d’un médicament princeps, et 30 à 35 % du coût d’un générique. »

Pour Catherine Bourrienne-Bautista, la raison de ces délocalisations est plutôt à chercher du côté des « contraintes environnementales européennes imposées à l’industrie chimique des matières premières, très polluante ». Mais, en dehors des pays occidentaux, les inspections conduites conjointement par les autorités sanitaires européenne, américaine et australienne « sont peu nombreuses et mettent en évidence de graves dysfonctionnements », affirme l’IGAS. L’ANSM réalise chaque année 85 inspections de producteurs de matières premières, dont un quart à l’étranger. Et elle admet qu’existe « une certaine disparité entre les établissements fabricants de substances actives selon qu’ils sont situés dans l’UE ou dans des pays tiers (Inde et Chine notamment) ». L’IGAS est plus précise : « Le nombre d’écarts majeurs relevés au cours des inspections est six fois plus élevé en pays tiers. Ils portent soit sur des risques élevés de contamination par d’autres matières ou par l’environnement, soit sur des défaillances du système qualité et/ou documentaires. » De son côté, David Simonnet regrette que « l’Europe favorise la délocalisation dans des pays qui ne respectent pas les normes qu’elle s’impose. Les Etats-Unis exigent des importateurs de matières premières des contrôles beaucoup plus stricts. » L’Europe a fait cependant un pas important en ce sens puisque, à compter de juillet 2013, tous les pays importateurs de matières premières devront certifier la conformité de la fabrication de ces produits avec les normes européennes.

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Contrôles à tous les étages et relocalisation

Si les conditions de la fabrication des matières premières posent question, « cela n’a pas d’impact sur la qualité des génériques », affirme Catherine Bourrienne-Bautista. Dans son rapport, l’ANSM rappelle que « l’AMM repose sur la même méthode d’évaluation que celle appliquée à l’ensemble des médicaments ». Seule distinction : « Ne sont pas demandées aux génériques les mêmes études cliniques que pour les princeps, dans la mesure où ce sont des copies. En revanche, leur dossier comprend des études de bioéquivalence. Ces exigences correspondent à des standards internationaux », indique Philippe Vella, à la tête de la direction « Médicament générique » de l’ANSM. L’agence réalise aussi des contrôles auprès des fabricants : entre 2007 et 2011, 866 génériques ont été contrôlés par l’ANSM et 28 ont été jugés non conformes, soit 3,2 %. « Ce sont essentiellement des défauts de qualité au niveau de la sécabilité, du profil d’impuretés et de la notice-étiquetage », indique Philippe Vella. Le taux de non-conformité pour les princeps est, lui, de 2 %. Pascal Brière assure que « ces irrégularités sont très vite signalées par les pharmaciens et les patients. Nous opérons très rapidement une reformulation du produit ».

Quant aux matières premières importées, elles sont contrôlées à plusieurs niveaux : « Les fabricants des produits finis sont tenus de réaliser des audits pour s’assurer de la qualité des principes actifs et l’ANSM s’assure que ces audits sont bien faits. » L’ANSM a aussi son propre programme de contrôle des matières premières, réalisé dans ses trois laboratoires. Un contrôle coordonné a enfin été mis en place au niveau européen. L’ANSM a réalisé 304 contrôles depuis 2008 et bénéficié, en outre, de 421 contrôles de ses homologues. Entre 2007 et 2011, seuls 26 des 626 lots de matières premières contrôlées ont été jugés non conformes, soit un plus de 4 %, mais « ces non-conformités n’étaient pas susceptibles d’être à l’origine d’un problème de santé publique », assure Philippe Vella.

Pour David Simonnet, la délocalisation de 60 à 80 % des matières premières pose aussi la question de la « souveraineté ? » de l’Europe en matière de santé : « Les citoyens valideraient-ils notre dépendance vis-à-vis de l’Inde ou de la Chine pour des produits aussi essentiels que les médicaments » Il faudrait selon lui faire « une liste précise des molécules stratégiques à relocaliser à moyen ou long terme ». L’Académie nationale de pharmacie a récemment repris cette proposition, pointant la dépendance vis-à-vis des pays tiers et les risques de pénurie de médicaments. L’IGAS partage également cette préoccupation puisqu’elle propose d’étudier « les possibilités de relocalisation en Europe de matières premières particulièrement sensibles ». Elle préconise aussi de mentionner le lieu de fabrication sur les boîtes de médicament. David Simonnet souhaiterait de son côté que soit aussi indiquée l’origine des matières premières. Les pouvoirs publics se sont saisis du sujet puisque le 25 mars, lors de la réunion à Lyon d’un comité stratégique de la filière santé, le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, a demandé aux industriels plus de transparence sur les lieux de production des médicaments et la relocalisation en Europe de la fabrication des matières premières à usage pharmaceutique : « Sur certains produits stratégiques, nous devons défendre notre souveraineté sanitaire », a-t-il affirmé.

« Le médicament n’échappe pas aux lois économiques »

Si la mondialisation des matières premières pose question, la suite de la chaîne de fabrication des médicaments reste majoritairement européenne. Là encore, les génériques ont trouvé leur place dans le tissu industriel français : ils occupent en effet 12 000 des 103 000 salariés employés par la pharmacie en France. Et, selon l’IGAS, la politique du générique a toujours veillé à « préserver le tissu industriel ». C’est même l’explication qu’elle donne à la faible pénétration du générique en France, comparativement à des pays comme l’Allemagne et la Grande-Bretagne, qui ont exploré « d’autres voies plus directives » (lire page 24).

Les pouvoirs publics français essaient en réalité de concilier deux logiques divergentes. Dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint, les économies réalisées grâce au générique sont devenues indispensables pour financer l’innovation thérapeutique, c’est-à-dire les nouveaux médicaments de plus en plus coûteux. L’IGAS rappelle que depuis 2002 le générique a permis de réaliser 10 milliards d’euros d’économies. Et l’Inspection veut aller plus loin puisqu’elle préconise, comme l’Assurance maladie et la Mutualité française, de baisser encore un peu plus le prix des génériques, en fixant la décote par rapport au princeps à 70 % au lieu de 60 % aujourd’hui.

« Mais le médicament, s’il reste un bien stratégique, n’échappe pas aux lois économiques, prévient l’économiste de la santé et spécialiste de l’industrie du médicament Claude Le Pen. Si vous voulez obtenir n’importe quel bien à des prix inférieurs, il sera produit à des prix inférieurs. » Hors de France ? C’est la menace qu’agitent les industriels. « Le secteur du médicament représente 15 % de la dépense de santé et 50 % des économies depuis deux ans. Il est exsangue », prévient Philippe Lamoureux. « Des baisses de prix sont un signal pour des délocalisations. Il est temps d’arrêter ce mouvement », renchérit Pascal Brière. Claude Le Pen relativise : « Les industriels se plaignent toujours. C’est au législateur de distinguer le niveau de prix qui déclenche la délocalisation, le point de bifurcation. »

Une comparaison du prix des génériques avec d’autres pays européens devrait éclairer ce point de bifurcation. Mais cette question fait l’objet d’une passe d’armes entre l’Assurance maladie et les industriels. « La France est le pays qui présente les coûts moyens de génériques les plus élevés », affirme l’Assurance maladie dans un de ses « Points de repère » de décembre 2012. Même constat de la Mutualité française, qui a également rendu un rapport sur le générique en décembre dernier. Selon son directeur général, Jean-Martin Cohen-Solal, « les génériques sont un peu plus chers en France que dans les autres pays européens. Et les écarts de prix entre génériques et princeps ne sont pas homogènes (de – 6 % à – 57 % sur le prix fabricant hors taxes) alors que la décote devrait être de 60 %. » Philippe Lamoureux distingue, lui, « les prix de remboursement par l’assurance maladie et les prix industriels, qui sont dans la moyenne nationale. Le coût de la commercialisation du générique est plus cher en France car le générique est devenu un outil important de rémunération de l’officine ». Dans ce jeu des comparaisons « tout le monde peut avoir raison », selon Claude Le Pen.

Logiquement, les laboratoires plaident plutôt pour un développement des volumes de générique en France : « On est à 26 % de pénétration du générique en volume sur le marché du médicament remboursé, l’Allemagne est à 60 %. Il y a donc un potentiel de croissance important », estime Frédéric Collet. La Mutualité recommande d’ouvrir le Répertoire des génériques aux formes pharmaceutiques destinées à une administration par voie respiratoire, dont les antiasthmatiques, et aux médicaments sans spécialité de référence, notamment le paracétamol. Le directeur général de la Mutualité française rappelle que le paracétamol est « la molécule la plus remboursée par les mutuelles, en progression constante de 10 % par an. Elle leur coûte 97 millions d’euros par an ». Dans son rôle, le président du Leem, Philippe Lamoureux, critique fermement cette position : « La France a déjà un problème de confiance dans le générique. Elle a donc fait le choix d’une définition du générique qui garantisse la qualité sanitaire. Un assouplissement aggraverait encore la crise de confiance », prévient-il. Pour lui, une plus grande libéralisation du marché du générique porte le « risque de voir se développer un marché anarchique avec des problèmes de qualité, de contrefaçons et de confiance ».

Sondage directmedia

Sondage réalisé par téléphone du 26 au 30 avril 2013 sur un échantillon représentatif de 100 titulaires en fonction de leur répartition géographique et de leur chiffre d’affaires.

Etes-vous vous-même convaincu que les génériques sont de qualité égale aux princeps ?

Etes-vous interrogé sur la qualité des génériques ?

Etes-vous favorable à la mention du lieu de fabrication et de conditionnement sur les boîtes de génériques ?

Le développement du générique est-il, selon vous, compatible avec le maintien d’une filière industrielle du médicament performante en France ?

Etes-vous favorable au développement des biosimilaires, nouvelle source d’économies identifiée par la CNAMTS ?