Délivrer mais aussi sauver

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Publié le 1 mars 2008
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Pharmacien responsable du laboratoire de la Pharmacie Delpech, un des plus gros sous-traitants de préparations en France, Fabien Bruno est aussi capitaine réserviste à la brigade de sapeurs-pompiers de Paris. Une fois par semaine, il rejoint la caserne pour exercer autrement.

Lorsqu’il part faire son service militaire comme officier pharmacien, Fabien Bruno choisit d’intégrer la brigade de sapeurs-pompiers de Paris. « Pour le sport, les sorties en camion rouge qui font pin-pon et la grande échelle ! Tous les petits garçons ont eu un jour envie de voir en vrai la grande échelle des pompiers », avoue-t-il en plaisantant. Quand il est « libéré », l’armée lui propose de faire partie de la réserve opérationnelle. Fabien dit oui, parce qu’on ne refuse pas de faire partie de ce fleuron de l’armée.

La brigade de sapeurs-pompiers de Paris, BSPP pour les intimes, est un corps de pompiers professionnels militaires. Elle compte 8 000 hommes et femmes. Les pompiers de Paris, militaires depuis la création de leur unité en 1811 par Napoléon Ier, sont les mieux formés, les mieux entraînés et bénéficient de matériels sophistiqués. Malgré sa grande efficacité, la BSPP a besoin de bras supplémentaires, regroupés dans la « réserve opérationnelle ». Elle comprend des volontaires, d’anciens militaires et une réserve citoyenne.

Aujourd’hui, à 35 ans, Fabien Bruno est responsable du laboratoire de la Pharmacie Delpech à Paris et vice-président de la Société des officinaux sous-traitants en préparation. Et, depuis 1999, une fois par semaine, il quitte donc son préparatoire pour rejoindre la réserve opérationnelle de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris. « L’engagement, fixé par un contrat, est souscrit pour une durée d’un à cinq ans renouvelable. Je dois faire entre cinq et trente jours par année civile, sauf circonstances exceptionnelles, explique Fabien. Ces jours-là, je suis militaire et je reçois une solde royale de 80 euros par jour, non imposable ! »

5 % des interventions sont liées au feu

En tant que pharmacien, Fabien Bruno est incorporé dans le Service de santé et de secours médical (SSSM), lequel fait partie de l’état-major de la BSPP avec d’autres divisions (administration, ressources humaines…). Outre ces divisions, la brigade comprend 5 groupements : 3 se composent de 8 compagnies, regroupant chacune 2 à 4 centres de secours ou casernes, les 2 autres concernent l’instruction-formation et les services. « En plus de la prévention et de la formation, l’activité du SSSM comprend les prompts secours et le service médical d’urgence, commente Fabien. Bien que tous les camions rouges se ressemblent, la majorité d’entre eux ont à leur bord des secouristes et le minimum nécessaire pour la « bobologie » (compresses, Bétadine, défibrillateur…). » Quant au service médical d’urgence, il fait appel aux 7 ambulances de réanimation. C’est « un « SMUR rouge » avec présence d’un médecin », explique Fabien.

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Aujourd’hui, le secours aux personnes et les accidents de la circulation représentent 75 % des activités de la brigade contre 5 % pour la lutte contre le feu. Tous ces véhicules, dont le VSAV, « véhicule de secours et d’assistance à victimes », ainsi que le poste de commandement des secours médicaux et le véhicule d’accompagnement santé (VAS), engins des « gros événements », sont répartis dans les 27 compagnies de la BSPP. « Le poste de commandement des secours médicaux est muni de fax et de téléphone satellite afin de pouvoir donner la liste de victimes dans la demi-heure, détaille Fabien. Le VAS est un véhicule de soutien logistique destiné à l’acheminement du matériel médical et des médicaments nécessaires si les victimes sont nombreuses. » Ces deux fourgons sont basés à la « chefferie santé » sise au centre de secours du 3e groupement d’incendie de Port-Royal. Fabien y fait partie de la cellule pharmacie, à côté de la cellule ingénierie biomédicale qui s’occupe des dispositifs médicaux et du matériel, et de la cellule budget et marchés publics où « les sommes se chiffrent à plusieurs millions d’euros ».

Se tenir toujours prêt à « décaler »

La cellule pharmacie prépare les commandes mensuelles – trihebdomadaires pour l’oxygène – de médicaments centralisées par chaque groupement d’incendie. Chaque caserne possède son stock de médicaments, géré par le responsable de la remise (« là où sont les véhicules, au nombre de 3 à 6 en moyenne par centre »). Il n’y a ni pharmacien ni préparateur à demeure. Tous les ans, une sorte de comité du médicament fixe la liste des 200 à 300 médicaments dont disposera la BSPP.

Le titre exact de Fabien à la chefferie santé est « responsable assurance qualité ». De la même façon qu’il met en place des procédures qualité dans son laboratoire, Fabien rédige des protocoles pour la cellule pharmacie, mais aussi pour l’ensemble de la chefferie. « Ces protocoles peuvent indiquer comment s’habiller, que faire si le frigo tombe en panne… Je m’occupe aussi de la chaîne du froid, vérifie les températures et mets en place les protocoles de conservation des produits en fonction de la durée de leur maintien hors frigo par exemple », détaille Fabien, qui a également un rôle d’« éducateur médical ». « Je prépare des minicours sur un thème choisi par les pompiers de Port-Royal afin de leur donner un minimum de culture médicale. » Le DU de cancérologie qu’a obtenu Fabien lui a ainsi permis d’aborder le cancer. Et son diplôme de pharmacien de détailler le paludisme, notamment. Enfin, Fabien contrôle le matériel du VAS : date de péremption, nombre de Cyanokit ou de cathéters.

S’il a beaucoup décalé durant son service militaire, Fabien décale encore et toujours. Décaler, c’est sortir en intervention. Le terme vient de la cale qui retenait jadis la charrette des pompiers garée en pente pour un départ plus rapide.

« C’est quand tu es spectateur que tu te sens mal »

Même s’il avoue que la plupart des interventions consistent à faire du social ou à aider une grand-mère à relever son mari qui a chuté de son lit, il se souvient du massage cardiaque qu’il a effectué un vendredi soir en gare Montparnasse, ou encore de cet homme qui avait la cervelle éclatée. N’a-t-il jamais été effrayé ? « C’est quand tu es spectateur que tu te sens mal. Quand tu as les mains dans le sang, tu ne te poses pas de questions… », répond sans hésiter Fabien. Malgré tout, sa formation sur le soutien aux victimes l’a aidé quand il a fallu annoncer à ce couple de provinciaux la mort de leur fils, dont le corps était déjà en décomposition. « Je n’ai pas choisi d’être pompier. Je suis pharmacien et réserviste. Si je veux me mettre en retrait, je le fais », lâche Fabien.

Un coup long, deux courts. La sirène retentit dans la caserne de Port-Royal. Les sapeurs-pompiers seront sur place dans cinq minutes. Bruno aussi.

Envie d’essayer ?

Les plus

– Sortir de l’officine.

– Vivre des situations extraordinaires et voir des dispositifs inconnus à l’officine comme un kit d’amputation !

– En matière de qualité, remettre en question ses propres méthodes mises en place à l’officine, par exemple pour la chaîne du froid.

– Refaire un point sur ses connaissances médicales lors de la préparation des exposés de la formation continue des pompiers.

« Ignorer ce que l’on va faire dans les prochaines minutes : ça sonne, et deux minutes après on peut se retrouver à masser un type qui fait un arrêt cardiaque. »

Les difficultés

– Un employeur ne voit pas toujours d’un bon oeil un employé partir de l’officine entre 5 et 30 jours par an. Et il n’a pas le droit de refuser.

– Occuper la fonction de pompier réserviste nécessite en outre de s’organiser pour pouvoir s’absenter de la pharmacie environ un jour par semaine.

Les conseils

– Faire partie de la réserve sous-entend avoir envie de prendre sur son temps libre.

– Savoir s’organiser à la pharmacie, comme pour toute autre activité extérieure.

– Pour sortir en intervention, mieux vaut pouvoir courir et monter des escaliers ! Une bonne condition physique est donc préférable.

– Outre la BSPP, tout pharmacien peut devenir sapeur-pompier volontaire dans un service départemental d’incendie et de secours (SDIS). Il peut s’engager au sein du service de santé et de secours médical pour cinq ans (se renseigner sur http://www.pompiers.fr ou auprès de son SDIS). Il peut également entrer dans le corps de réserve sanitaire destiné à être mobilisé en cas de crise sanitaire de grande ampleur.