Mon robot, ce héros

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Publié le 3 décembre 2004
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L’automatisation, qui bouleverse de plus en plus l’agencement des pharmacies, fait aujourd’hui l’objet d’une véritable théâtralisation. Qu’en pensent les agenceurs ? Est-il possible de mener de front réagencement et automatisation ? Quels retours sur investissement doit-on en attendre ? Voici un point complet au travers de cinq reportages dans des pharmacies nouvellement équipées. A découvrir aussi : les résultats des « matches » que nous avons organisés entre les robots et les automates.

Premier constat : chacun préservant farouchement son indépendance, il n’existe pas aujourd’hui de réels partenariats entre les agenceurs et les installateurs d’automates. Même si des rapprochements ont déjà eu lieu. Cette situation est probablement due au fait que les agenceurs ont tout d’abord perçu l’automatisation comme une concurrence sérieuse. Les automates et autres robots allaient remplacer des colonnes-tiroirs, et c’était autant de commissions qui s’envoleraient… Dans la pratique, les agenceurs se sont également méfiés des nouvelles contraintes qui allaient être liées à l’obligation de travailler en collaboration avec les fabricants d’automates. Et notamment des retards qu’allait engendrer la concrétisation des contrats, qui passe de quatre mois sans automatisation (entre la demande initiale et la signature) à huit ou douze mois avec.

Second constat : choisir un automate n’est pas chose facile. S’il choisit généralement entre deux ou trois agenceurs, le pharmacien contacte au minimum cinq des dix intervenants en automatisation du marché avant de se décider. Une grande méconnaissance des caractéristiques des machines, de leur fiabilité et de leur adéquation à ses besoins réels en sont les principales raisons.

La synergie des compromis.

Dans l’ensemble, les fabricants d’automates affichent leur volonté de bonne et fructueuse collaboration avec les agenceurs, comme le précise Didier Dubois (ARX) : « Une robotisation réussie implique que nous travaillions conjointement avec l’agenceur, de la gestion du projet en amont de l’installation à la coordination avec l’équipe de pose. C’est souvent autour du robot que l’on bâtit la configuration de la pharmacie. » Ce qui n’empêche pas Stéphane Nizard (Pharmax) de parler de « compromis acceptables par tout le monde » à l’issue des discussions préalables entre agenceur, fabricant et titulaire.

Bertrand Juchs (Westfalia) est plus intransigeant : « Pas question de sacrifier le bon positionnement de l’automate pour une question d’agencement ou de concept. Le positionnement est primordial pour la bonne exploitation de l’automate. Les critères sont différents d’une machine à l’autre et ce savoir-faire ne peut, en ce qui nous concerne, pas être délégué à un agenceur. La problématique d’implantation ne se limite pas aux cotes d’encombrement d’un module que se chargerait de réserver un agenceur. »

Les titulaires ont généralement tendance à s’adresser d’abord aux fabricants d’automates et à leur demander s’ils travaillent plus particulièrement avec certains agenceurs, en vue d’optimiser le déroulement du chantier. « Il y a quatre ans, c’est l’agencement qui préoccupait le pharmacien, puis il s’inquiétait de l’automatisation… Aujourd’hui, une fois sur deux, il réfléchit d’abord à l’automatisation, sachant que cela conditionnera un nouvel agencement », constate Philippe Anglade (Tecnilab).

Dans les cinq ans à venir, trois ou quatre fabricants d’automates devraient encore faire leur entrée sur un marché qui, dans dix ans, ne devrait plus en compter que quatre à cinq. D’où l’importance de prendre en compte un certain nombre de critères, moins relatifs à la machine stricto sensu qu’à la longévité présupposée de l’entreprise qui la fabrique.

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Méfiance par exemple lorsqu’une société affiche une vingtaine d’implantations mais qu’elle n’a en tout et pour tout qu’une poignée d’employés pour gérer le commercial, le service après-vente et le département développement. Méfiance aussi lorsqu’elle ne possède pas d’unité interne de recherche et développement. Ce critère est mesurable à la réactivité de l’entreprise en matière d’ingénierie : la machine a-t-elle évolué dans le temps ? d’autres machines performantes ont-elles été développées ? de nouveaux modules (rangement, système d’accélération de la délivrance…) ont-ils été créés ?, etc. Méfiance encore lorsqu’une société possède une très grosse capacité de capitalisation. Elle pourrait estimer, à terme, que le marché de la pharmacie – qui est un micromarché – est trop peu rentable. En effet, le segment des automates ne permet pas de réaliser des économies d’échelle (la rentabilité n’est pas corrélée aux nombre de machines vendues car une installation, toujours « cousue main », coûte cher). La société PEEM, distributrice du Pharmamat, n’est plus là pour en témoigner… Méfiance enfin en ce qui concerne les entreprises qui proposent aux pharmaciens les meilleures remises : une diminution de 40 000 ou 50 000 Euro(s) sur le prix d’une machine en quelques mois est suspecte. Casser les prix pour conquérir des parts de marché peut mettre en péril l’entreprise qui le pratique et peser sur son espérance de vie.

Le pharmacien, qui fait parfois appel à un architecte maître d’oeuvre pour se décharger de la coordination des travaux et se prémunir en cas de non-conformité, pourra aussi le faire pour son automatisation en recourant à un cabinet d’audit en faisabilité. Certaines agences conceptrices, comme le groupe Idoine (Carita, By Terry, Le Printemps de l’Homme…), qui s’implante sur le marché officinal, font déjà appel aux services de conseils en intégration capables de mener de front la maîtrise d’oeuvre et l’automatisation, permettant au pharmacien de conserver une vision globale du projet, et de se rendre la vie plus simple !

C’est justement dans un but de simplicité que Consis vient de lancer un concept simplifié d’automatisation, l’Access Module, avec deux armoires (1 000 canaux) et sans transitique (en accès direct vers le comptoir via quatre voies alimentant jusqu’à huit comptoirs simultanément et non successivement). Access Module couvre 82 % des rotations (une ordonnance sur trois demandera un déplacement) et il est proposé au prix de 70 000 Euro(s).

Panacea ex machina.

Deux options se présentent au titulaire qui veut intégrer un automate ou un robot. Soit il le camoufle dans le back-office et dissimule les éventuelles voies d’acheminement dans les faux plafonds. Soit, a contrario, il montre tout ou partie de l’appareil, affichant une image résolument high-tech. Le robot est alors théâtralisé. L’acheminement se fait par exemple via des pneumatiques éclairés par des néons colorés, des toboggans sont assortis à la palette graphique retenue pour l’agencement, les tapis – qui peuvent être suspendus – sont agrémentés d’un tunnel de verre à lumière de couleur diffusante… Le robot lui-même peut être installé dans un local de verre en mezzanine ou en arrière-comptoir, parfois même au centre de l’espace de vente, voire en vitrine comme c’est le cas à la Pharmacie stéphanoise, à Saint-Etienne, automatisée par Robotek.

D’autres exemples de théâtralisation réussie des robots existent, comme cette pharmacie où les médicaments surgissent du sol, à l’avant des postes de vente, pour arriver au comptoir sous les yeux des clients. « Il est aussi possible d’ouvrir le dialogue avec les clients à propos du robot délocalisé en cave ou à l’étage, en installant une caméra sur la tête du robot, relayée par un écran dans l’espace de vente », ajoute Didier Dubois (ARX).

La crainte de détourner l’attention des consommateurs au détriment des produits à acheter fait parfois hésiter le titulaire qui souhaiterait théâtraliser son appareil. Les bénéfices en termes d’image sont encore difficiles à mesurer. Mais il peut être valorisant de montrer à sa clientèle qu’on investit aussi pour elle, pour améliorer la rapidité de service et la disponibilité du personnel, dans un cadre agréable.

Toutes les machines ne sont cependant pas montrables : les automates à canaux sont par exemple peu esthétiques et ils sont parfois bruyants, ce qui peut nécessiter la mise en place, onéreuse, d’une cage insonorisée. Autre écueil : les produits, éjectés par les canaux, chutent en bout de course. La clientèle peut trouver cela dévalorisant.

Sus à la poussière !

Une étroite collaboration entre l’agenceur et le fabricant d’automates est également indispensable pour cadrer définitivement l’implantation du stock. Laurent Azoulay (Robotek) déconseille de choisir son agencement avant de consulter un fabricant d’automates. L’agenceur pourrait devoir repenser sa proposition (parfois en profondeur) ou, pire, la transitique et les conditions de travail s’en trouveraient défectueuses. « En ce qui concerne l’acheminement, cette collaboration permet souvent d’obtenir la transitique la plus simple et donc la moins coûteuse mais aussi la plus fiable et la plus rapide possible. »

« Une étude personnalisée menée en amont pour dimensionner l’automate et quantifier le stock dans la machine et hors machine doit toujours être exigée », martèle de son côté Olivier Résano (Apotéka). Toutes ces précautions permettront à l’équipe de mieux vivre les différentes étapes du chantier. « Dans des cas très complexes, comme les pharmacies de centre commercial peu spacieuses, ou encore les réagencements par tranches, il est techniquement possible de mettre en place un convoyage temporaire », poursuit-il.

Pour Stéphane Nizard, « les divers éléments mécaniques doivent rester accessibles. La coordination des différents corps de métier est également importante. La pose de l’automate ne peut en effet intervenir avant que certains corps de métiers n’aient achevé leur mission. De façon générale, la pièce recevant l’automate doit être dégagée et « hors poussière » lorsque débute le montage. Le gros oeuvre du local hébergeant automate doit donc être achevé à l’arrivée des techniciens de montage. »

Dernier point très important : les règles de l’ergonomie doivent être respectées : circulation des caisses depuis le sas de livraison, emplacement des réserves, plan de déballage… « Ce travail préparatoire, s’il est bâclé, empêche de circuler et de travailler correctement autour de l’automate ou du robot », conclut Olivier Résano.

Repères

Sur les 1 100 agencements réalisés chaque année, environ 200 prévoient une automatisation en parallèle. Au final, seuls 160 (soit 15 %) vont jusqu’au bout. On estime par ailleurs qu’environ 200 autres pharmaciens souhaiteraient s’automatiser mais ne le font pas, par manque de trésorerie, de place ou en raison de locaux inadaptés.

(Source Néo Pharma.)

Le point de vue des agenceurs

Pour Bruno Chevalier-Chantepie (Agilys), agenceurs et fabricants d’automates n’ont pas intérêt à faire projet commun car ils prennent le risque d’être éliminés ensemble si l’une des prestations ne convient pas au titulaire. « On fait donc cavalier seul et l’on se retrouve sur les chantiers. » Mais selon lui, l’agenceur resterait souvent prescripteur d’automatisation, ou en tout cas, il pèserait dans la décision finale du titulaire : « Il nous revient de bien cerner les motivations du pharmacien (modernisation, avantages fiscaux, agrandissement de la surface publique) et d’émettre un avis consultatif sur la pertinence d’une automatisation. »

Pour Pierre Botton (ETC Agencement), l’agenceur joue avant tout un rôle créatif dans l’intégration de l’automate : mise en valeur de l’acheminent par tapis roulant dans des U en Plexiglas éclairés par des néons, et sur lesquels on peut accrocher une communication ou des éléments signalétiques ; possibilité de suivre l’acheminement des médicaments par l’illumination progressive de Led rouges sur les tunnels en Plexiglas suspendus ; mise en scène du robot au coeur de l’espace de vente avec des éclairages de metteurs en scène… Un parti pris théâtral qui n’est pas du goût de tous. Agilys opte plutôt pour le camouflage de la machine qui n’est qu’un outil permettant d’éclater les comptoirs, de réchauffer la surface de vente et développer le conseil. Jean-Pierre Auchecorne (Interdesign) partage cet avis : « Le pharmacien n’est pas un marchand de robots ! L’automate est une opportunité pour repenser le travail de l’équipe et l’organisation spatiale. L’espace commercial doit être réservé aux produits. »

Jusqu’à 30 % d’augmentation du chiffre d’affaires

Réagencement et automatisation induisent des retours sur investissement. Ainsi, il est courant de voir un chiffre d’affaires augmenter de 15 % après un agencement réussi. Quant à l’automatisation (pour une moyenne de 900 canaux), elle génère ipso facto une économie de deux heures par jour et par employé (données validées par l’Association des utilisateurs de robots et automates).

Les analyses statistiques des officines automatisées montrent par ailleurs des progressions de 15 à 30 % en parapharmacie et de 10 à 40 % en médication familiale. Des résultats liés à une plus grande disponibilité de l’équipe, qui doit être appuyée par un plan de formation pour développer le conseil. L’augmentation de la capacité d’accueil est évaluée à 20 %. Sans oublier les gains sur la démarque inconnue qui diminue de 40 à 60 % ! Or elle représente couramment entre 0,5 et 1 % du chiffre d’affaires. Un titulaire qui joindrait efficacement agencement et automatisation pourrait donc espérer une augmentation moyenne de chiffre d’affaires de 20 à 30 %.

(Source : Néo Pharma.)