LA COURSE À LA PERFORMANCE

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Publié le 24 septembre 2011 | modifié le 18 août 2025
Par Francois Pouzaud
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Leur nouvelle convention médicale instaure la généralisation de la rémunération à la « performance », valorise certains actes et met en place un nouveau secteur optionnel pour porter un coup d’arrêt à l’inflation des dépassements d’honoraires. Il faut dire que les excès constatés par l’assurance maladie avaient atteint des sommets en 2010.

En mai dernier, l’Assurance maladie tire la sonnette d’alarme. La raison ? Les dépassements d’honoraires des médecins en secteur 2 dérapent de façon inquiétante. L’état des lieux dressé pour l’année 2010 montre qu’1 médecin sur 4 en moyenne exerce en secteur à honoraires libres et facture des compléments d’honoraires aux tarifs conventionnels. Chez les spécialistes, la proportion en secteur 2 est de plus de 4 médecins sur 10, et la « dynamique d’installation conduit à un renforcement du secteur à honoraires libres », s’inquiète Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la CNAM (Caisse nationale d’assurance maladie). Ainsi, un tiers des anesthésistes exercent en secteur 2, mais deux tiers de ces praticiens installés en 2010 ont opté pour ce secteur. « Cette évolution vers l’accroissement des spécialistes en secteur 2 va se poursuivre à un rythme soutenu », s’attend Dominique Polton, directrice de la stratégie, des études et des statistiques à la CNAM.

Malgré une hausse régulière des effectifs des spécialistes (41 % en 2010 contre 37 % en 2000), la proportion de médecins en secteur 2 est stable depuis une dizaine d’années après avoir atteint des sommets en 1990 (31 %). Cette situation s’explique par la baisse concomitante des médecins généralistes pouvant facturer des dépassements d’honoraires. Leur part est en effet passée de 22 % en 1990 à 11 % en 2010. Ce taux tombe même à 7 % pour les généralistes au sens strict, c’est-à-dire ceux qui ne pratiquent aucune médecine spécialisée (acupuncture…).

Des dépassements multipliés par deux depuis 1990

Si la proportion de médecins en secteur 2 est équivalente à celle de 1990, le taux de dépassement a été en revanche multiplié par 2 dans l’intervalle pour atteindre aujourd’hui 2,5 milliards d’euros de dépassements d’honoraires. Les praticiens spécialistes du secteur 2 ne lésinent pas : le dépassement facturé moyen était de 23 % en 1985… et de 54 % en 2010. Autrement dit, un acte remboursé 100 € est facturé à l’assuré 154 €. « Dans les cliniques les plus huppées, certains actes sont facturés jusqu’à 10 fois le tarif de la Sécurité sociale », relève Frédéric Van Roekeghem.

L’augmentation des dépassements a été particulièrement forte entre 1995 et 2005 puis a légèrement faibli depuis. Au palmarès des praticiens les plus gourmands, les gynécologues chirurgicaux et obstétriciens arrivent en tête avec un taux de dépassement moyen de 83 %, devant les pédiatres (64 %), les ophtalmologues (60 %) et les chirurgiens (56 %).

Sur l’année 2010, le montant total des honoraires remboursables s’est élevé à 18,4 milliards d’euros. Les dépassements représentent donc 12 % du total des honoraires perçus par l’ensemble des médecins, mais cette fraction augmente avec les spécialistes (17 %), la palme en ce domaine revenant sans conteste aux chirurgiens (32 %).

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Sans surprise, le phénomène est très marqué en région parisienne qui concentre un nombre élevé de médecins en secteur 2. Par exemple, la proportion de chirurgiens libéraux dépasse 90 %. Une densité que l’on retrouve également dans une dizaine de départements tels les Alpes-Maritimes, le Rhône, l’Isère, la Gironde… Ces zones de surdensité sont aussi celles où les niveaux de dépassement sont les plus élevés. Ils atteignent des sommets à Paris et dans les Hauts-de-Seine, un département connu pour être le plus riche de France (150 % en moyenne), mais également dans le Rhône (110 %), en Alsace (près de 90 %) et dans les Alpes-Maritimes (80 %). Il n’y a donc pas d’effet de concurrence entre les praticiens. A l’inverse, les dépassements sont beaucoup moins nombreux et de plus faible importance dans les zones rurales, ce qui permet d’établir un lien global entre le développement des dépassements et la capacité financière de la population résidente à les prendre en charge. Enfin, les pratiques tarifaires des praticiens exerçant dans une même zone géographique sont très hétérogènes au sein d’une même spécialité.

La nouvelle convention médicale va réguler globalement les dérives

Le 26 juillet, après de longues négociations, l’Assurance maladie, la CSMF (Confédération des syndicats médicaux français), le SML (Syndicat des médecins libéraux) et MG-France (syndicat des médecins généralistes) paraphent une nouvelle convention qui s’appliquera pendant les cinq prochaines années à compter de sa date de parution au Journal officiel. Si le texte ne prévoit pas d’augmentation du « C », il généralise le paiement à la « performance », revalorise plusieurs spécialités cliniques, pose le principe d’un nouveau secteur optionnel pour encadrer les dépassements d’honoraires. La CNAM fonde beaucoup d’espoirs sur cet accord pour mieux réguler les dérives tarifaires et faire de l’amélioration de l’accès aux soins un axe majeur de la politique conventionnelle. Afin d’éviter une fuite en avant et non maîtrisée des honoraires et une anarchie tarifaire, les signataires ont opté pour un système de régulation collective qui engage tous les acteurs.

Dans l’accord conventionnel, les médecins de secteur 2 ou titulaires du droit permanent à dépassement s’engagent à réaliser 30 % ou plus de leurs actes au tarif opposable, à facturer pour les autres actes des compléments d’honoraires inférieurs ou égaux à 50 % et à s’inscrire dans une démarche de transparence des tarifs et sur la qualité des pratiques professionnelles. En contrepartie, l’Assurance maladie prendra en charge une partie des cotisations sociales du praticien sur la part d’activité réalisée en tarifs opposables. Par ailleurs, chaque trimestre elle transmettra aux médecins un document de suivi sur leurs différents engagements.

Le secteur optionnel serait mis en place pour une durée de trois ans à l’issue de laquelle un état des lieux serait réalisé. En fonction du succès rencontré (montée en charge et dynamique de choix des praticiens), seront alors envisagées les conditions de sa pérennisation ou de son extension. Un regret toutefois pour les signataires : le principe d’un secteur optionnel, avec des dépassements d’honoraires encadrés, n’est pas entériné par les complémentaires santé. En effet, si elles ne solvabilisent pas leurs adhérents, comment pourront-ils accéder aux soins de cliniques privées qui, sur certains secteurs, sont en situation de monopole ? Selon Frédéric Van Roekeghem, ce dispositif viendra au secours de la chirurgie de province qui ne peut pas appliquer des dépassements à une population peu aisée : « Il est essentiel de maintenir une activité de territoires et d’éviter une concentration trop importante de la chirurgie dans des zones où les dépassements sont les plus élevés. »

Les médecins français adoptent le paiement à la « performance »

La convention consacre également l’engagement des praticiens à favoriser la qualité de la pratique. Elle comporte une réforme particulièrement structurante : la rémunération à la « performance ». Elle développe aussi des mesures complémentaires au paiement à l’acte par l’instauration d’une rémunération forfaitaire pour la fonction médecin traitant. Celle-ci sera centrée sur la valorisation de la qualité à travers des objectifs d’organisation, de prévention et de santé publique. La nouvelle convention donne la priorité aux consultations à haute valeur ajoutée, à la création de consultations spécifiques, à la valorisation de certains actes essentiels de prévention. Ainsi, la convention va mieux rémunérer les médecins généralistes en développant une rémunération à trois étages : à l’acte, au forfait et sur objectifs sanitaires. Souhaitées par les professionnels, voulues par les responsables politiques, cette diversification des rémunérations et la généralisation de la rémunération à la « performance » sur objectifs de santé publique représentent un enjeu majeur de la nouvelle convention.

Le dispositif est fondé sur deux piliers. Le premier concerne la qualité de la pratique médicale déclinée en trois axes (suivi des pathologies chroniques, prévention, efficience avec l’optimisation des prescriptions). Le second, l’organisation du cabinet et de la qualité de service qui passent notamment par l’utilisation des nouvelles technologies de l’information (pour la tenue du dossier médical informatisé ou la réalisation d’une synthèse annuelle à partir du dossier du patient, recours à un logiciel d’aide à la prescription, etc.).

L’accord prévoit l’attribution d’une prime aux médecins qui participent pleinement aux objectifs de contrôle des dépenses de santé. Un principe qui s’inspire des contrats d’amélioration des pratiques individuelles (CAPI) et encourage déjà les médecins adhérents à s’engager dans une démarche de prévention, de conseil, de suivi patients et d’évaluation de leurs pratiques, avec, à la clé, une rémunération annuelle complémentaire prenant en compte leurs résultats sur les indicateurs du contrat.

Une prime annuelle pouvant atteindre 9 100 euros pour les médecins méritants

Trente objectifs ont été ainsi redéfinis dans le cadre de la nouvelle convention. Les médecins qui atteindront cette trentaine d’objectifs pourront notamment bénéficier d’une prime à la « performance » pouvant atteindre 9 100 euros. En effet, le dispositif est basé sur un système de points : 1 300 au total, la valeur du point étant fixée à 7 €. Les indicateurs retenus permettront de mesurer l’implication des médecins dans trois domaines : la prévention, le suivi des pathologies chroniques et l’optimisation des prescriptions. Il s’agira notamment pour eux de lever le pied sur les prescriptions d’antibiotiques et les arrêts de travail, d’augmenter leurs prescriptions de génériques, de multiplier les actes de dépistage, de transmettre électroniquement les feuilles de soins…

La cotation diffère selon le thème concerné et est établie pour un taux de réalisation de 100 % de l’objectif : 500 points pour le suivi des pathologies chroniques et la prévention, 400 pour l’optimisation des prescriptions et autant pour l’organisation du cabinet dont 150 alloués pour la synthèse annuelle du dossier médical. Pour chaque indicateur, sont définis un taux de départ, un objectif intermédiaire et un objectif cible. Ce dispositif permet d’avoir une rémunération qui tient compte à la fois de l’atteinte des objectifs et des progrès accomplis par le médecin traitant. Ce dernier pourra suivre ses indicateurs en ligne, via un compte personnalisé sur le site Internet www.ameli.fr.

L’Assurance maladie devra également assurer ce suivi à partir des données de remboursement des patients grâce à des indicateurs proposés par les sociétés savantes de chaque spécialité. Pour le diabète, 8 indicateurs ont été fixés (65 % des patients diabétiques ayant eu 3 ou 4 dosages de l’hémoglobine glyquée dans l’année…). En matière de prévention, 2 indicateurs concernent la vaccination contre la grippe saisonnière (75 % des patients âgés d’au moins 65 ans vaccinés, 75 % des patients de 16 à 64 ans en ALD vaccinés). Autre exemple : le taux de prescriptions d’antibiotiques à des patients âgés de 16 à 65 ans devra tomber à 37 %. La réduction de l’iatrogénie n’est pas oubliée (réduction de 5 % de la proportion de patients traités par benzodiazépines à demi-vie longue et limitation à 12 % de la proportion de patients nouvellement traités par cette classe de médicaments dont le traitement excède douze semaines…), les objectifs de prescription dans le Répertoire des génériques (85 % d’inhibiteurs de la pompe à protons…) non plus.

Alors que les CAPI (qui ont séduit plus de 16 000 médecins traitants) ont rapporté, en moyenne, 3 000 euros supplémentaires par an aux médecins y ayant souscrit, la convention médicale est donc encore plus incitative sur les rémunérations supplémentaires liées à l’atteinte des objectifs de santé publique ou d’efficience. Elles pourraient représenter jusqu’à 20 % de la rémunération.

Concernant la lutte contre les déserts médicaux, la nouvelle convention prévoit des incitations à l’installation en zone sous-dense (option démographie) et propose une prime incitant les médecins des zones surdotées à se déplacer dans les zones en manque de médecins (option santé solidarité territoriale).

Au total, cette convention va représenter un surcoût de 85 millions d’euros en 2012 et de 301 millions d’euros en 2013 pour l’Assurance maladie. Le retour sur investissement n’a en revanche pas été précisément chiffré.

Une CONVENTION INSPIRÉE du modèle anglais

L’exemple anglais est intéressant par son ancienneté car il pose ouvertement la question du changement d’objectifs de santé et d’indicateurs au fil des années. Le système de P4P (Pay for Performance) des médecins généralistes anglais utilise 146 indicateurs de bonne pratique répartis en 4 groupes (prévention secondaire pour 10 pathologies, organisation des soins, ressenti des patients, services complémentaires), lesquels permettent de gagner des points rémunérés si les valeurs seuils de qualité sont atteintes. Chaque indicateur est coté entre 0,5 et 56 points sur un total de 1 050 points et rapporte entre 0 et 19 points, soit entre 0 et 3 500 livres (plus de 3 900 euros).

Les Anglais ont parallèlement observé une accélération de l’amélioration de la qualité des pratiques pour l’asthme et le diabète avec la mise en place du Quality and Outcome Framework (QOF), même si les indicateurs étaient déjà en progression auparavant. En revanche, le QOF n’a pas eu d’effet sur la prise en charge des pathologies coronaires.

« Les marges de progrès en Angleterre sont parfois inférieures à celles du CAPI »

Globalement, le P4P a montré des effets significatifs, même s’ils sont limités sur certains indicateurs de qualité. Les programmes avec des indicateurs d’efficience semblent porter leurs fruits en termes d’économies générées. En outre, le P4P a incité les médecins à s’équiper de systèmes informatisés d’aide à la décision et à s’engager au niveau de leur pratique dans une démarche qualité.

Le cadre général anglais de rémunération (QOF) retient surtout les actes réalisés, plutôt que leur effet sur le patient. Les médecins peuvent aussi exclure du calcul de leur atteinte d’objectif les patients non observants ou marginaux. Dans ce contexte, personne ne s’est étonné que les seuils aient très vite été atteints par tous les généralistes, avec un maximum de droit à rémunération. D’où un plus grand intérêt à sélectionner une cible et des indicateurs plus pertinents, pour lesquels les marges de progrès sont encore conséquentes. « En matière d’exigences, elles peuvent être toutes relatives, parfois inférieures à celles du CAPI », observe néanmoins Frédéric Van Roekeghem, reconnaissant que le seuil d’objectif est difficile à fixer.

D’autres innovations sur les modes de rémunération sont encore à l’état de réflexion ou d’expérimentations limitées dites de « bundle payment », « episode-based payment » ou « shared savings », consistant à verser un forfait englobant la prise en charge d’une pathologie aiguë ou chronique par plusieurs professionnels, sur l’ensemble d’un épisode pathologique ou durant l’année. Dans le cadre d’expériences menées dans quelques organisations de soins intégrés aux États-Unis et aux Pays-Bas, le forfait s’accompagne toujours d’un complément de rémunération à la qualité, mais leur intérêt et les résultats restent à évaluer.

F.P.

Pay for Performance

Dans beaucoup de pays, la rémunération des généralistes évolue vers des modes de paiement mixtes combinant paiement à l’acte, capitation ou forfaits pour des services spécifiques et paiement à la « performance ». La partie forfaitaire va croissante et le principe d’incitations financières à la performance pour les médecins généralistes (Pay for Performance ou P4P) acceptant d’atteindre des cibles de qualité s’est répandu dans presque tous les pays occidentaux, en commençant par les pays qui s’appuyaient traditionnellement sur un système de capitation ou équivalent, tels que les Etats-Unis notamment. La généralisation de ce dispositif à l’ensemble du système de santé américain est d’ailleurs en voie d’achèvement. En 2007, plus de la moitié des plans d’assurance santé privée avaient mis en œuvre des mécanismes de P4P dans le cadre de contrats avec les professionnels ou les hôpitaux concernant plus de 60 millions d’assurés. Plus de 100 de ces programmes s’appliquaient aux médecins et groupes de médecins. Dans le secteur public, plusieurs expérimentations sont en cours de finalisation. En 2008, le congrès a entériné le Medicare Improvement Act, qui lance des travaux pour une mise en œuvre de mécanismes de type P4P auprès des praticiens et organisations de santé à partir de 2010. Le chantier a pris un peu de retard en raison de la réforme Obama qui renforce encore cette exigence.