L’OUVERTURE DU CAPITAL EST-ELLE INÉLUCTABLE ?

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Publié le 5 novembre 2011
Par Francois Pouzaud
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Le ministre de la Santé répète à qui veut l’entendre son attachement au principe d’indivisibilité de la propriété et de l’exploitation de l’officine. Dont acte. Faut-il pour autant considérer que ce principe, qui constitue le meilleur rempart contre toutes les dérives capitalistiques, ne sera pas menacé à terme ? Analyse du risque d’ouverture du capital par neuf personnalités.

En 2009, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu une conclusion favorable à la France : la détention et l’exploitation d’une pharmacie ne peuvent être réservées qu’aux seuls pharmaciens. Par ce jugement qui fait date, toute décision concernant l’organisation du réseau officinal revient de facto à l’Etat et le principe de subsidiarité redevient une réalité. Jusqu’ici, l’Etat français a donné des gages d’assurance à la profession, mais un revirement est toujours possible. Régulièrement, la qualité d’Etat membre, comme celle de citoyen européen, conduit légitimement les responsables politiques à s’interroger sur la pérennité du système français. Et penser que toute nouvelle initiative de dérégulation de la Commission européenne est définitivement écartée relèverait de l’inconséquence. Par ailleurs, la pharmacie de demain devra nécessairement conjuguer les évolutions dans le mode d’approvisionnement en médicaments et les impératifs économiques dont personne ne peut plus s’affranchir, et ce, quelle que soit la position juridique retenue par la CJUE. Le vrai danger pour la profession serait d’être dans l’incapacité de proposer de nouveaux modèles d’ouverture du capital et de laisser l’initiative à des financiers engagés dans la grande distribution ou ailleurs.

CHRISTIAN GRENIER,
PRÉSIDENT DE NÉPENTHÈS

« L’ouverture du capital n’est pas une solution pour la distribution des soins. Cependant, elle pourrait être décrétée dans l’urgence, sous la pression des déficits publics et de la résolution de la crise. Imaginons que l’Etat décide de baisser de moitié le prix des médicaments pour réduire celui abyssal de l’assurance maladie… Le seul moyen pour éviter que le réseau de proximité des officines ne vole en éclats serait alors de faire entrer des capitaux extérieurs. La présidentielle va suspendre le temps politique, mais après cette échéance, rien ne permet d’affirmer qu’il n’y aura pas une grande réforme du coût des soins pour sortir de la crise. Heureusement, il y a une alternative à cette perspective du pire : les contrats de franchise autorisés dans le cadre du commerce intégré organisé sous enseigne. La mise en place d’une politique commune d’achat, de vente et de communication peut être contractualisée avec les laboratoires pharmaceutiques qui recherchent une consommation organisée de leurs produits. Ils sont prêts à mettre des millions d’euros dans un réseau de pharmacies qui jouent collectivement le jeu. Si demain vous avez 1 000 points de vente pharmacie qui, tous ensemble, commandent, exposent sur les linéaires et communiquent en même temps sur le même produit, ils n’auront pas besoin d’ouvrir leur capital à des fonds de pension étrangers. Il faut bien comprendre que la qualité, la réussite et la performance ne s’obtiennent plus seul, mais en groupe organisé et uni par un projet global. »

JEAN-JACQUES ZAMBROWSKI,
PROFESSEUR ASSOCIÉ, UNIVERSITÉ RENÉ-DESCARTES, PARIS-V, CONSULTANT EN STRATÉGIES ET ÉCONOMIE DE LA SANTÉ

« Ceux qui soulèvent aujourd’hui cette question se rendent complices de ceux qui veulent en arriver là et profiter de cette ouverture. On sait en ce domaine que les appétits et les intérêts particuliers sont nombreux, qu’ils sont manifestés majoritairement par des tiers non pharmaciens […]. Ce sujet est un faux débat qui n’a pas de légitimité politique, économique et sanitaire. Remettre ce dossier sur le tapis ne pourrait être le fait que d’un politique corrompu. Le jugement de la Cour de justice de l’Union européenne (qui s’est prononcée en faveur de l’application des lois nationales) n’a aucune raison d’être remis en cause. A l’inverse des laboratoires d’analyses biologiques, le fonctionnement des pharmacies ne nécessite pas d’investissements lourds. Alors que s’accroissent les difficultés économiques, elles ne sont pas confrontées à un problème de capital mais de trésorerie, qui est conjoncturel. Confondre volontairement ces deux registres qui sont totalement différents, c’est chercher à prendre des vessies pour des lanternes. En revanche, on ne peut nier que le réseau officinal doit se restructurer dans les zones de surdensité. Je le redis avec force, l’ouverture du capital des pharmacies en France n’est pas d’actualité, prétendre le contraire relève d’une fiction coupable. »

GILLES BONNEFOND,
PRÉSIDENT DE L’USPO

« Sauf à jouer à se faire peur, ce sujet ne donne pas lieu à débat, il n’y a pas de volonté ministérielle d’ouvrir le capital à des non-pharmaciens. Ce chantier est totalement artificiel et le remettre à l’ordre du jour ne ferait que donner un prétexte à une minorité travaillant en sous-main pour se relancer. L’ouverture du capital est contraire aux intérêts et à l’équilibre du réseau, à l’installation des jeunes qui verront le ticket d’entrée augmenter. La profession s’est clairement exprimée en sa défaveur, tant sur le fond que sur le plan politique. Les pharmacies n’ont pas besoin de capitaux extérieurs, en revanche la trésorerie leur fait défaut et les syndicats sont en train de trouver l’alternative à ce problème en négociant avec l’Etat un nouveau mode de rémunération et les honoraires des nouvelles missions du pharmacien dans le cadre d’un mode d’exercice libéral exonéré de TVA. Ensuite, face à des difficultés de trésorerie, le pharmacien doit resserrer sa gestion au niveau de ses stocks, de ses commandes, revoir ses délais de paiement avec ses fournisseurs, nettoyer ses rayons de parapharmacie des produits ou gammes qui ne tournent pas. »

PHILIPPE GAERTNER,
PRÉSIDENT DE LA FSPF

« La loi Fourcade comportait des dispositions sur les SPF-PL mais elles ont été retoquées par le Conseil constitutionnel. Comme elles ne figurent pas dans la loi, le dossier revient dans sa situation antérieure. Il faudra avancer sur les SPF-PL pour parvenir à une stabilisation des textes sur le plan législatif, sinon on ne pourra jamais sortir les décrets d’application. La FSPF a la volonté de mettre les SPF-PL en ordre de marche pour que les pharmaciens puissent bénéficier de cet outil conçu essentiellement pour des raisons économiques. Elle sera attentive à ce que soit préservée la détention majoritaire des parts en capital et droits de vote aux mains de pharmaciens exerçant leurs fonctions au sein de la SPF-PL et de la SEL, en considérant le cumul des deux. Autoriser l’ouverture du capital à des tiers non pharmaciens, c’est prendre le risque d’avoir une restructuration complète du paysage pharmaceutique qui n’apporte plus les mêmes garanties de santé publique. A contrario, chaque fois que le maillage des officines évolue dans l’intérêt des Français, il a toutes les chances de perdurer. Il est donc essentiel de garder le capital aux mains des exerçants. De plus, les pharmaciens en place auront beaucoup plus de chances de transférer la propriété dans le cadre pharmaceutique qu’en dehors. Enfin, l’ouverture du capital va à contresens des évolutions de notre métier. Les enjeux professionnels de la loi HPST et des nouvelles missions nous conduisent à nous recentrer sur une logique métier et non pas sur une logique capitaliste qui n’a pas sa place. »

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OLIVIER DELÉTOILLE,
EXPERT-COMPTABLE, CABINET ARYTHMA

« Le sujet de l’ouverture du capital des pharmacies à des capitaux extérieurs est un sujet qui appartient avant tout aux politiques, dans lequel la question de l’indépendance du professionnel en exercice occupe une large part. Le présenter comme le moyen de sauver certains pharmaciens en difficulté me laisse dubitatif et, à mon avis, est un non-sens. C’est d’abord généraliser un peu rapidement les difficultés à l’ensemble de la profession (alors qu’en réalité, heureusement, la très large majorité des pharmaciens ne rencontre pas de problèmes financiers), et c’est confondre les causes et les conséquences. En effet, l’origine des difficultés de certains d’entre eux résulte de contextes commerciaux évolutifs, de l’accumulation d’erreurs de gestion ou encore de déséquilibres financiers structurels du fait d’un prix d’achat trop élevé de leurs fonds, et non pas de l’insuffisance d’argent injecté dans la profession. La palette des solutions à mettre en œuvre pour tenter de sauver les pharmaciens en difficulté est large, mais doit être anticipée. Au plan financier notamment, le recours au circuit bancaire traditionnel ou, à défaut, à d’autres professionnels pharmaciens en exercice – comme cela est possible depuis 1991 avec les SEL (c’est une forme maîtrisée d’ouverture du capital) – sont, à mon avis, suffisants. Enfin, il ne faut pas se leurrer : si ouverture du capital il y a, cela permettra de maintenir peut-être la valeur des fonds du fait de l’entrée en course de nouveaux acteurs. Ce ne sont pas les pharmaciens en difficulté qui seront aidés, mais bien plutôt les emplacements les mieux situés et à potentiel qui seront convoités. Que leurs titulaires soient en difficulté ou pas. »

MICHEL CAILLAUD,
PRÉSIDENT DE L’UNPF

« La subsidiarité des Etats n’est pas contestée mais il n’est pas dit que Bruxelles ne revienne pas à la charge. L’ouverture vers l’Europe est de plus en plus marquée, le débat sur l’ouverture du capital n’est donc pas arrêté définitivement et ce dossier n’est peut-être qu’en sursis. Cependant, compte tenu de la situation économique et de l’état de leur trésorerie, les pharmacies ne sont pas les placements les plus rentables aujourd’hui pour des investisseurs. Les dispositions du PLFSS pour 2012 vont contraindre à restructurer le réseau et à trancher rapidement sur les SPF-PL. Limiter la participation d’une SPF-PL à une seule SEL est irrationnel et risque même de créer un système de niche fiscale répréhensible. L’UNPF est ouverte à toutes les possibilités d’organisation qui apportent de la cohérence et permettent d’optimiser les coûts. La discussion autour d’une SPF-PL ayant jusqu’à quatre participations dans des SEL différentes me paraît un bon point de départ. Bien sûr, toute évolution expose au risque de dérives, mais elles peuvent être maîtrisées par la mise en place d’évaluations et de garde-fous. Elles ne doivent pas servir de prétexte pour ne pas avancer. Le sort des petites officines invendables doit pouvoir être réglé par des solutions de fond : regroupements, rachat des licences de ces pharmacies pour les faire disparaître et indemnisation de leurs titulaires. La participation d’une SPF-PL dans une petite officine en SEL présente aussi un intérêt au regard des amortissements qu’elle peut pratiquer et des éventuelles pertes qu’elle peut remonter au niveau de ses résultats. »

STÉPHANE BILLON,
ÉCONOMISTE DE LA SANTÉ ET DIRECTEUR ASSOCIÉ DU CABINET D’ÉTUDES KAMEDIS CONSEILS

« L’ouverture du capital des officines va dans le sens de l’histoire et les stratégies des prétendants à ce marché sont clairement dessinées. Elles peuvent être plus ou moins perfides, plus ou moins visibles, à l’image d’initiatives du type de celle de Galien Développement qui sécurise des projets de reprise d’officines en SEL avec des fonds garantis. De la même façon, l’attitude du gouvernement est très hypocrite : il rassure les pharmaciens sur le maintien de leurs fondamentaux, alors qu’il défend une logique d’entreprise libérale. Enfin, les lobbies exercés par la grande distribution auprès de Bruxelles, notamment par Michel-Edouard Leclerc, n’ont pas perdu de leur intensité. On ne pourra pas empêcher la constitution de chaînes comme au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas. L’offensive de la grande distribution pourrait même être facilitée par les difficultés des petites officines vouées à disparaître car devenues invendables. Or, une officine qui n’est pas rentable et attractive pour un pharmacien acquéreur peut le devenir pour un grand distributeur qui a les moyens d’en racheter plusieurs dans un secteur donné, de les fermer et de les regrouper en une seule qu’il installera dans ses locaux pour attirer les chalands. Cette concentration du réseau ne sera pas pour déplaire à l’Etat confronté à une maîtrise des dépenses de santé de plus en plus rude. Dans ce nouveau modèle économique et financier, où la participation des non-pharmaciens pourrait dans un premier temps se situer à des niveaux symboliques, les capitaux extérieurs se chargeront d’organiser le commerce et de négocier les marges et remises avec les laboratoires, tandis que les pharmaciens, dont la tutelle vient de se rappeler qu’ils étaient aussi des professionnels de santé, se recentreront en tant que tels sur des prestations et des nouveaux services. La marge de dispensation ne deviendrait alors qu’un complément de la rémunération de leurs actes. »

PHILIPPE BECKER,
EXPERT-COMPTABLE, DIRECTEUR DU DÉPARTEMENT PHARMACIE DE FIDUCIAL EXPERTISE

« Ce sujet occupe beaucoup les professions réglementées françaises et pas seulement les pharmaciens. Compte tenu de la baisse tendancielle des profits et de la stagnation de l’activité officinale, on semble se diriger à moyen terme vers des structures plus importantes en taille et liées par des prises de participations réciproques. Cette évolution, qui semble inéluctable, sera sûrement encouragée par les pouvoirs publics qui souhaitent rationaliser le secteur de la santé. La résultante sera l’apparition de structures pharmaceutiques pesant lourd sur un plan financier et qui auront des besoins permanents de capitaux pour financer leur développement. Les associés de départ ne pourront pas faire face et militeront eux-mêmes pour l’ouverture du capital. La revente des parts ou actions sera aussi une difficulté à gérer dans un contexte où il est déjà difficile de trouver des primo-accédants capables d’acquérir une petite officine. Les vendeurs trouveront donc – et cela sans états d’âme – que l’ouverture du capital est une solution à leur problème. Le réseau officinal a de plus en plus de mal à trouver du capital et chacun a compris que les robinets du financement bancaire ne sont plus ouverts comme auparavant. L’ouverture du capital peut transformer la présentation des bilans : on remplacera la ligne des prêteurs habituels que sont les banques par celles des investisseurs extérieurs à la profession. Toutefois, les investisseurs auront des exigences en termes de rentabilité et de dividendes et ils pourront, à la différence des banques influencer directement sur les décisions de gestion et peut-être sur les dirigeants eux-mêmes. En résumé, comme actuellement, l’argent ira toujours à l’argent et la mauvaise gestion sera toujours sanctionnée. Il n’y aura pas de chèque en blanc !

Le danger a déjà été mis en avant : c’est la perte d’éthique dans un domaine sensible : la santé. Il faut malgré tout être conscient qu’un pharmacien individuel qui ne fait plus face à ses dettes peut lui aussi être amené à contourner l’éthique pour payer ses employés à la fin du mois ! L’éthique s’arrête souvent dans les professions réglementées au seuil de la porte du tribunal de commerce. Il faudra certainement regarder comment les pays qui ont permis l’ouverture du capital s’en sortent avec l’éthique. Le vrai danger est que la profession ne propose rien en imaginant que l’Union européenne va laisser se figer les situations pendant de nombreuses années. Les décisions de la Cour de justice européenne sont, au fond, des messages dans lesquels elle dit aux officinaux français, et cela de façon assez subliminale : “Organisez-vous, faites évoluer les modèles, on vous laisse un peu de temps”… »

PASCAL LOUIS,
PRÉSIDENT DU COLLECTIF NATIONAL DES GROUPEMENTS DE PHARMACIES D’OFFICINE (CNGPO)

« Depuis plusieurs années maintenant, l’économie de l’officine est particulièrement malmenée. Des changements notoires sont à mettre en place d’urgence si nous voulons sortir la profession de l’ornière dans laquelle elle se trouve aujourd’hui. La réflexion sur les nouvelles missions semble intéressante. Pour autant, nous n’en sommes qu’aux balbutiements et les solutions économiquement significatives pour la profession ne pourront pas être mises en place avant un délai assez long. Un autre axe à développer pourrait apporter des solutions plus rapides, mais il ne semble pas être à l’ordre de jour des réflexions de la profession. Il s’agit de la réorganisation du réseau. Depuis des années nous attendons que les choses bougent. Or il n’y a aucune évolution alors que les besoins sont évidents. Cette situation devient inacceptable. Prenons l’exemple des holdings. Toutes les institutions professionnelles nous disent que ces dernières sont une bonne solution pour le réseau. Mais, à ce jour, nos représentants sont incapables de proposer la rédaction commune d’un décret qui permettrait de les mettre tout de suite en place. Si la profession ne prend pas en charge sa réorganisation, les tensions économiques vont devenir telles que l’ouverture du capital-risque d’être inévitable. Mais peut-être souhaite-t-elle une solution économique qui passe par la fermeture de plusieurs centaines ou milliers d’officines, comme la tendance engagée semble le montrer ?… Rappelons que 200 officines ont fermé l’an dernier. Il y a un réel danger à ne pas anticiper la restructuration du réseau. Dans sa recommandation n° 34, l’Inspection générale des affaires sociales souhaite « permettre aux pharmaciens, seuls ou en société, d’être propriétaires ou copropriétaires de plusieurs officines sans limitation ». Le CNGPO pense qu’une limite est indispensable. Toutefois, fermer le débat sur la multipropriété n’est absolument pas raisonnable. Espérons que l’attitude incompréhensible, pour ne pas dire totalement irresponsable, de nos instances professionnelles sur la multipropriété ne reflète pas une volonté de ne pas ouvrir un vrai débat sur la restructuration du réseau. Cette dernière est impérative et urgente pour notre équilibre actuel, pour notre organisation future et les missions que l’on attend de nous à l’avenir. »

Sondage directmedica

Sondage réalisé par téléphone les 12 et 13 octobre 2011 sur un échantillon de 100 titulaires représentatifs en fonction de leur répartition géographique et de leur chiffre d’affaires.

Pensez-vous que les chaînes de pharmacies soient inéluctables à terme ?

Si oui pourquoi ? (plusieurs réponses possibles)

Sinon pourquoi ? (plusieurs réponses possibles)

Si demain vous aviez le choix entre les profils d’exercice suivants, lequel choisiriez-vous ?

Si un investisseur non pharmacien vous proposant de prendre des parts de votre capital au-dessus du prix du marché, et à condition que ce soit légal, vous…