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« NOUS SOUHAITONS ÊTRE DES PHARMACIENS DE PROXIMITÉ »
Walgreens, une chaîne de pharmacies représentant 20 % du marché américain, a racheté 45 % des parts d’Alliance Boots en juin 2012. Le président de la division Pharmacie de Walgreens, Kermit Crawford, défend un service de proximité.
A quoi ressemble une officine aux Etats-Unis ? Parfois à un vaste supermarché, avec un comptoir pour retirer ses médicaments sur ordonnance. Les pharmacies indépendantes représentent 45 % du marché, les autres font partie de chaînes ou de structures commerciales plus larges. Une évolution que l’on n’aurait pas envie de voir arriver en France ? Et pourtant… Dans le monde anglo-saxon, on parle de « pharmaciens cliniciens », les relations avec le médecin sont bonnes et la coopération interprofessionnelle effective, bordée par l’Obamacare.
LE MONITEUR DES PHARMACIES : Comment sont formés les pharmaciens aux Etats-Unis ?
KERMIT CRAWFORD : Dans des écoles de pharmacie faisant partie de structures universitaires publiques ou privées, ils reçoivent une formation clinique poussée qui va au-delà de l’information sur les produits et aborde l’organisation des soins dans une équipe de professionnels de la santé. On peut parler de « pharmaciens cliniciens ». Par ailleurs, le fait qu’une partie des universités soit privée entraîne une compétition pour répondre aux besoins de la société. Enfin, une fois en exercice, les pharmaciens sont tenus de compléter leurs connaissances par de la formation continue, afin de conserver leur licence professionnelle. Chez Walgreens, nous proposons également à nos pharmaciens un programme de formations afin qu’ils soient informés des dernières évolutions de la profession (programmes de vaccination, bilans de santé, entre autres).
Pouvez-vous nous expliquer l’organisation du travail dans un point de vente Walgreens ?
Nos 8 300 pharmacies sont ouvertes 24 heures sur 24 et emploient 70 000 professionnels : 40 000 techniciens – l’équivalent de vos préparateurs –, 3 000 infirmières et 27 000 pharmaciens. Ils sont tous salariés. Nos techniciens en pharmacie préparent la prescription (laquelle a été envoyée électroniquement à la pharmacie).? N’est délivrée que la quantité exacte de médicaments prescrits. Les préparateurs réalisent l’essentiel du travail administratif consistant à « remplir » l’ordonnance. Ils recueillent tous les renseignements personnels relatifs au patient, saisissent le contenu de l’ordonnance dans nos systèmes informatiques, vérifient la couverture sociale du patient pour le paiement du médicament. Le pharmacien relit ensuite l’ordonnance ainsi préparée, vérifie que tout a été rempli correctement et que les renseignements relatifs au patient et au médecin sont exacts. Il s’assure de la bonne dispensation des médicaments, conseille le patient, contacte le médecin en cas de doutes. Quant aux infirmières, elles réalisent un grand nombre de soins traditionnellement réalisés par les médecins comme des check-up ou encore la vaccination contre la grippe. Elles sont présentes dans 370 cliniques « en soins de santé », au sein de nos pharmacies.
Vous avez en outre dans votre groupe des « centres d’excellence ». S’agit-il de lieux virtuels ou physiques ?
Les centres d’excellence sont des pharmacies d’officine Walgreens ordinaires, où les pharmaciens ont suivi une formation spécialisée dans certains domaines. Nous disposons ainsi de plus de 750 pharmacies reconnues centres d’excellence pour le VIH et de plus de 800 pour les préparations magistrales. Les patients peuvent s’y rendre comme dans n’importe quelle autre pharmacie. Nous communiquons avec les médecins traitants sur des questions traditionnelles assez simples, mais les maladies plus complexes appellent un échange plus nourri parce que le patient a besoin de soins complémentaires. L’intervention du pharmacien s’avère indispensable pour combiner, par exemple, un cocktail de médicaments : c’est lui qui connaît le mieux les traitements et, finalement, qui passe le plus de temps avec le patient. Le pharmacien devient le lien entre le patient et son médecin traitant.
C’est pour cette raison que vous parlez de « pharmacien clinicien » ?
Oui, je pense que le terme est adéquat et c’est dans ce sens que nous souhaitons faire évoluer la profession. Nous demandons de moins en moins à nos pharmaciens de réaliser des tâches administratives et attendons d’eux qu’ils consacrent plus de temps au suivi individuel des patients, pour aider ceux-ci à mieux prendre en charge leur santé. Nos pharmaciens proposent ainsi des vaccinations contre 17 maladies différentes. Ou encore, ils assurent fréquemment la mesure de la pression artérielle des patients ou les tests de dépistage du diabète. A cet égard, la tendance actuelle du développement de tests en supermarché est mauvaise. Nous souhaitons être des pharmaciens de proximité, que nos clients nous envisagent comme un interlocuteur de confiance à la différence des supermarchés. En déclinant toute une offre de services, nous disons volontiers que nos pharmaciens exercent au « ? maximum de leurs qualifications », autrement dit qu’ils fournissent les soins auxquels ils ont été formés durant leurs études de pharmacie. Comme ils sont également parmi les professionnels de santé les plus accessibles et les plus disponibles, ils sont particulièrement bien placés pour répondre aux besoins du patient d’aujourd’hui.
Quelles sont les relations entre pharmaciens et médecins ?
La défiance du médecin vis-à-vis du pharmacien nous inquiétait un peu au départ, mais la pénurie de généralistes est telle que les fonctions que les pharmaciens s’approprient sont celles que le généraliste n’a tout simplement pas le temps d’effectuer. Les relations entre les deux sont plutôt bonnes, ils s’entretiennent régulièrement par téléphone. Le numéro du médecin est clairement identifié, il peut nous joindre facilement car nous y répondons en priorité. Médecins et pharmaciens se rencontrent, dans les quartiers par exemple, notamment à l’initiative des pharmaciens. Nous allons vers eux, dans les cabinets, les centres médicaux, essayons d’alléger leur charge de travail, d’être une ressource supplémentaire dans un esprit de construction d’échanges, de bonnes pratiques et de savoirs. Les temps de concertation et de coordination sur les cas de patients un peu plus lourds ne sont cependant pas payés en plus.
Comment organisez-vous la vente de médicaments sur ordonnance sur Internet ?
Si nous assurons effectivement la délivrance de médicaments sur Internet, la vaste majorité des commandes effectuées représentent des demandes de renouvellement d’ordonnances des patients ; ceux-ci viennent ensuite chercher leurs médicaments dans le point de vente. Nous pouvons également traiter sur Internet de nouvelles ordonnances et envoyer directement les médicaments au domicile du patient, mais cela ne représente qu’une infime partie des demandes. Après avoir vérifié les renseignements auprès du médecin, nous transmettons les ordonnances à notre service d’envoi postal où elles sont préparées et envoyées au patient. La grande majorité de nos patients utilise Internet pour des raisons de commodité : ils apprécient de pouvoir faire une demande de renouvellement d’ordonnance en ligne et d’aller ensuite récupérer les médicaments dans le point de vente le plus proche.
En quoi les nouvelles technologies (smartphones, tablettes) ont-elles modifié les pratiques des pharmaciens chez vous ?
Les smartphones et les tablettes sont en train de modifier nos rapports avec les patients. Nous avons par exemple des applications permettant aux patients de nous faire parvenir des demandes de renouvellement d’ordonnance en scannant le flacon du médicament avec leur dispositif mobile. Nous pouvons également envoyer un SMS à nos patients pour leur signaler que le moment est venu de demander un renouvellement d’ordonnance, puis pour les informer que leur médicament peut être retiré dans le point de vente. Nous proposons, en outre, un service, Pharmacy Chat, grâce auquel un patient peut poser en ligne des questions à un membre de notre équipe pharmaceutique concernant son ordonnance.
Signez-vous des contrats avec des assureurs afin qu’ils vous adressent des patients ?
Il faut d’abord préciser qu’il existe quatre catégories de patients aux Etats-Unis : ceux pour lesquels le gouvernement paie (25 % de la population), ceux qui sont pris en charge par une assurance fournie par leur employeur (60 %), ceux qui souscrivent eux-mêmes à une assurance très chère (10 %) et ceux qui ne sont pas du tout couverts… Nous passons en effet des contrats avec tous les tiers payeurs commerciaux et avec le gouvernement. L’Etat fixe un montant de prix pour les services des pharmaciens et les assurances s’alignent sur ces tarifs. C’est le cas lorsque les pharmaciens réalisent de nouvelles prestations : l’Etat s’engage financièrement, et une fois qu’il y a retour sur investissement prouvé, l’assureur suit… Bien sûr, l’assureur négocie les prix, nous étrangle, et il nous arrive de refuser des contrats à cause des conditions financières exigées…
Les « accountable care organizations » (ACO) sont l’un des changements de la nouvelle organisation des soins de l’Obamacare. Que vont-ils permettre ?
Les ACO sont des partenariats constitués entre les hôpitaux, les médecins et les autres professionnels des soins de santé afin d’assurer une meilleure coordination des soins et de réduire ainsi le coût des soins de santé. Dans un ACO, le pharmacien alertera par exemple le médecin traitant s’il constate un changement dans l’état de santé du patient, à l’occasion d’un test de pression artérielle, pour un changement de traitement médicamenteux. Ces ACO reçoivent une rémunération liée à leurs résultats. Il s’agit en fait d’un paiement à la performance : ainsi, lorsqu’un patient hypertendu observe son traitement et n’a pas besoin d’être hospitalisé pendant une année entière, les économies réalisées sont réparties entre le pharmacien, le médecin et les autres membres du réseau ACO. Le paiement à l’acte prédomine aux Etats-Unis et le fait de se concerter entre professionnels autour de cas difficiles pour rechercher des stratégies communes n’était jusque-là pas encouragé financièrement. On peut penser que ce nouveau mode de rémunération le favorisera. Il existe à présent un barème (Healthcare Effectiveness Data and Information Set) qui prend en compte certains critères*. Les réadmissions à l’hôpital (qui s’élèvent en moyenne à 33 %) en sont un par exemple. Si vous pouvez ramener le taux de réadmissions à 20 %, par exemple, vous serez mieux rémunéré… A cet égard, la création des ACO favorise la coordination entre les soins hospitaliers et à domicile. Pour nous qui disposons de près de 200 pharmacies dans des établissements hospitaliers, cela va nous permettre de renforcer nos relations avec ces structures.
* 33 indicateurs dans les 5 domaines suivants : expérience vécue du patient et des professionnels (ou encore, ressenti des patients et de ceux qui ont administré les traitements), coordination des soins, sécurité et qualité des soins, actions de prévention, et des mesures spécifiques pour les cas complexes comme les personnes âgées fragiles en risque de perte d’autonomie.
Kermit Crawford
Président de la division Pharmacie, Santé et Bien-être de Walgreens.
Entré chez Walgreens comme stagiaire en 1983, il est promu en 2010 président de la division. Elu en 2009 « Dirigeant de l’année du secteur pharmacie » par Chain Drug Review qui le nomme 2012, l’un des « 100 cadres les plus influents des entreprises américaines ».
LA SANTÉ EN CHIFFRES AUX USA
10 000 Américains atteignent leurs 65 ans chaque jour.
36 % des Américains auront dépassé les 65 ans en 2020.
13 % des revenus des personnes âgées sont consacrés à leurs dépenses de santé, deux fois plus que les autres usagers.
17 % des dépenses de santé des personnes âgées concernent les médicaments.
80 % : c’est le taux de substitution en moyenne.
Le coût des dépenses de santé est passé aux Etats-Unis de 35 à 45 billions de dollars en trois ans.
50 millions d’Américains n’ont pas d’assurance santé.
60 millions d’Américains n’ont pas accès à un médecin généraliste.
REPÈRES
275 000 pharmaciens en 2010 aux Etats-Unis.
Taux de croissance de 25 % (70 000 postes) à l’horizon 2020.
23 % de pharmaciens exercent à l’hôpital
43 % exercent en officine et drugstore, 8 % dans les épiceries, 6 % dans des grands magasins, 5 % dans d’autres commerces de proximité.
Les drugstore vendent des produits très variés. Généralement, seuls les médicaments sur ordonnance sont délivrés au comptoir.
Source : EPF Newsletter, mars 2013
La réforme de santé aux Etats-Unis
Débutée le 1er janvier 2011, la mise en place progressive d’une assurance de santé publique va permettre aux 32 millions d’Américains qui ne sont pas assurés d’avoir une garantie minimale. Jusqu’alors, de nombreuses personnes étaient trop « aisées » pour prétendre aux aides publiques gratuites (Medicaid et Medicare pour les plus de 65 ans), mais trop pauvres pour s’offrir une couverture privée. Cette réforme nationale est subventionnée en partie par le système fédéral, chaque Etat devant participer à la subvention d’une partie de l’assurance. La réforme oblige également tout Américain à cotiser à une assurance santé, les contrevenants étant condamnés à payer une amende de 750 dollars par an à partir de 2014. Les assurances privées n’auront plus le droit de refuser un patient sous prétexte de problèmes de santé, de faire payer plus cher les personnes malades ou l’ayant été.
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