Le plein d’essences

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Publié le 2 décembre 2014
Par Charlotte Nattier
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Le parfum à l’officine a plus d’un tour dans son flacon. Offre diversifiée, qualité des fragrances, opportunité de recrutement, animation du point de vente… Sans parler du chiffre d’affaires, en croissance à deux chiffres. Rafraîchissant !

La progression des ventes de parfum en pharmacie est presque dix fois plus forte que celle de la dermocosmétique » se félicite Minh Tran Kim, directeur général France Roger & Gallet. En effet, le segment est en très forte augmentation, des chiffres qui font rougir les autres circuits : + 16,28 % en valeur et + 19,40 % en volume à fin septembre 2014 selon IMS Health. Alors que, sur la même période, le marché global hygiène/beauté en officine plafonne à + 2,59 % en valeur et se stabilise à + 0,94 % en volume (source IMS). « Le parfum dégage des marges appréciables et apporte un fort relais de croissance dans un contexte où les revenus des officinaux sont en péril », décrit Minh Tran Kim. Seulement voilà… le potentiel du marché est encore sous-exploité. « Peu de consommatrices achètent leurs fragrances en officine alors que toutes passent la porte de la pharmacie, observe notre interlocuteur. Notre enjeu à l’heure actuelle est bel et bien de faire se rencontrer le parfum et la femme sur le point de vente. » Car le parfum est encore un produit de niche en officine, puisqu’il ne représente que 18,32 millions d’euros (en cumul annuel mobile à septembre 2014), quand la parfumerie dégage près de 2 milliards de chiffre d’affaires (voir page 49). Kantar Worldpanel confirme la donne : seulement 1 % des Français achètent leur parfum en pharmacie. « C’est pourtant un circuit rassurant en période de crise, raconte Mathilde Remaud, directrice du trade marketing de Caudalie. Il offre aussi un magnifique réseau de distribution grâce à son fort maillage ».

Signe des temps, Nuxe et Caudalie, après avoir bouleversé le paysage du soin en officine, amorcent aussi ce changement sur la catégorie du parfum. Les deux marques glamours apportent clairement au circuit de la légitimité pour vendre aussi des fragrances. Elles se sont hissées rapidement et respectivement aux deuxième et troisième places du marché dans le classement Ospharm. Et ce, en attirant la clientèle séduite par la qualité de leurs soins visage et corps. Mathilde Remaud s’explique : « Après le lancement de nos quatre eaux fraîches il y a quatre ans, nous avons répondu à une attente de nos consommatrices qui souhaitaient retrouver la fragrance de notre Huile Divine dans un parfum à proprement parler. » Parfum Divin de Caudalie est composé autour de la rose, des muscs et de la vanille par le maître-parfumeur Jacques Cavallier, appelé depuis à l’exclusivité de la griffe Louis Vuitton. Nuxe a lancé en 2012 son eau de parfum Prodigieux avec la même stratégie; offrir à ses fidèles la fragrance mythique de son huile – un accord solaire autour de la fleur d’oranger, du magnolia et de la vanille. Avec Prodigieux le parfum, décliné en 50 et 100 ml, Nuxe n’en était pas non plus à son coup d’essai. Comme Caudalie, la marque a fait ses premiers pas dans le parfum par l’intermédiaire d’une eau délassante parfumante Body.

Effluves haut de gamme

En pleine mutation sur le marché du parfum, l’officine délaisse les eaux de cologne, les considérant comme ringardes. Alors qu’elles sont exploitées – et même tendance ! – ailleurs (Atelier Cologne, concept stores Muji…) Si la Cologne est un produit dynamisant synonyme de bien-être plus que de parfumage, sa consommatrice a aujourd’hui un peu vieilli. Les grandes gagnantes de cette nouvelle donne sont les eaux de toilette – concentrées entre 3 et 7 % – et de parfum – concentrées entre 8 et 15 %, mais aussi les eaux fraîches ! Ainsi, selon Ospharm, les eaux de toilette représentent 41,5 % des ventes (en volume) de parfums, les eaux fraîches 36,3 % et les eaux de parfum 16,5 %. Les raisons de l’essor du parfum en pharmacie ? Les industriels travaillent désormais avec le même cahier des charges que la parfumerie fine. Car les consommatrices habituées aux jus du sélectif sont aussi exigeantes lorsqu’elles franchissent la porte des officines. C’est pourquoi l’acteur historique Roger & Gallet a amorcé un tournant il y a trois ans dans le positionnement de sa marque. « Pour séduire une clientèle jeune, il faut aussi rajeunir le mix-marketing », explique Minh Tran Kim. Près de 90 % du catalogue a été retravaillé, packaging et formules inclus. La marque s’offre désormais les services de parfumeurs de renom. Ainsi l’année dernière, Roger & Gallet a fait appel au nez Francis Kurkdjian pour composer Fleur de figuier. Grand nom du sélectif, il a signé de nombreuses fragrances dont le Mâle de Jean Paul Gaultier ou encore Narciso Rodriguez For Her et For Him. Cette année, c’est Gingembre Rouge qui rejoint les quelque 17 lignes d’eaux parfumées du catalogue. Le célèbre parfumeur Alberto Morillas (à qui l’on doit, entre autres, le succès interplanétaire des années 90 CK One), aidé d’Amandine Clerc-Marie, a composé à quatre mains une fragrance inspirée d’effluves du Rajasthan autour du gingembre, bien sûr, mais aussi d’agrumes, de baume de benjoin et de muscs. Cette nouveauté se place d’ores et déjà à la deuxième place des meilleures ventes Roger & Gallet, derrière Fleur de figuier et devant l’Eau de Cologne Jean-Marie Farina, produit historique et emblématique. Le grand chantier a porté ses fruits. Résultat, Roger & Gallet enregistre, à lui seul, 39,9 % de parts de marché valeur selon Ospharm. Et ce en dépit de la concurrence grandissante. La marque est aujourd’hui distribuée dans 3 500 pharmacies en France, ainsi qu’en parapharmacies et grands magasins Printemps et Galeries Lafayette.

Prix essentiel

Autre explication de l’essor du marché officinal, le sélectif souffre beaucoup de l’inflation du prix des parfums (cf. encadré page 49). « La pharmacie doit faire de la haute parfumerie à prix raisonnable », explique Joël Meynadier, ancien pharmacien qui vient de créer sa marque de parfums, Instants de voyage, inspirée des senteurs de la Méditerranée. Preuve que la pharmacie attire de nouveaux acteurs… La marque présente quatre eaux de parfums aux noms décalés qui attirent l’œil à l’image de Baiser salé en mer Égée ou Main dans la main à Taormina. Lancée en mars dernier, Instants de voyage figure déjà dans 30 points de vente et son créateur vise 130 officines d’ici un an grâce au recrutement d’agents commerciaux. Une seconde collection et des produits dérivés parfumés sont déjà prévus. Joêl Meynadier recommande cependant « de ne pas dépasser les 40 € pour 100 ml pour se démarquer du sélectif avec une offre attractive ». Sur cette tendance, l’Essence des notes revendique un positionnement prix trois fois moins cher qu’en sélectif. Lancée en 2009 par Huong Mangin, filleule de Pierre Fabre, la gamme s’est à l’époque démarquée par la volonté de proposer en officine des parfums rémanents, alors peu développés dans le circuit. « La ligne d’eaux de parfum est construite autour des grands ingrédients naturels (agrumes, épices, fleurs et bois) plébiscités par les consommatrices », détaille Sylvie Nguyen, responsable formation, communication et opérations commerciales. Ses best-sellers ? Pamplemousse et Basilic, Vétiver et Patchouli ou encore Rose de Kelaâ. On retrouve aujourd’hui L’Essence des notes dans 600 points de vente dont 450 pharmacies et parapharmacies, et 150 parfumeries et instituts.

Zeste de sécurité

Outre ses tarifs attractifs, la pharmacie attire par ses formulations sécuritaires. Ainsi, ce n’est pas un hasard si Acorelle, marque bio, a choisi l’eau de toilette pour se développer en officine. Elle est arrivée cette année avec six références Les Naturelles, mettant en avant les grands ingrédients de la parfumerie fine comme Orchidée Rose, Jasmin Troublant ou encore Cœur de Rose. Acorelle a pour objectif de se développer à terme dans 300 pharmacies et 150 parapharmacies avec une offre qui a vocation à rester courte et accessible. Autre acteur jouant le jeu de la naturalité, Nature & Senteurs (racheté en 2007 par le groupe Horizane) a relancé toute sa large gamme d’eaux de Cologne, de toilette ou encore de parfum en mai dernier. La marque d’inspiration provençale revendique plus de 95 % d’ingrédients naturels (extraits de plantes et de fleurs) dans ses formules. Présente dans près d’une pharmacie sur quatre, elle compte bien étendre sa distribution et ses références en 2015. Dernière en date : l’eau de bébé Bebiou.

Fragrances démodées, ventes saisonnières… la pharmacie fait face à des stéréotypes qui n’ont plus lieu d’être. Même si les périodes festives se prêtent toujours à la vente de parfum en officine – selon Ospharm, les coffrets répandus à Noël et de la fête des mères représentent le quart des ventes du marché. Prochaine étape pour les acteurs ? Optimiser leurs outils d’aide à la vente toute l’année dans un point de vente déjà saturé. Joël Meynadier propose de travailler le parfum en tant qu’achat-cadeau. « Chacun de mes produits est vendu dans une pochette en organza. Je fournis aussi des pochons-cadeaux et du papier de soie pour recréer un esprit sélectif ». Le parfum a trouvé ses lettres de noblesse en officine.

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Top 3 des produits les plus vendus en valeur

Source Ospharm en CAM à fin juillet 2014.

N° 1

Nuxe Prodigieux

le parfum

9,9 % de PDM

N° 2

Arthur et Lola coffret

eau de senteur

5,2 % de PDM

N° 3

Caudalie eau fraîche

Thé des vignes

4,2 % de PDM

Consommation

Ça sent le roussi…

Le constat est sans appel. De moins en moins de consommateurs achètent du parfum (hors coffrets). En effet, selon Kantar Worldpanel, seulement 40 % des Français se sont offert une fragrance cette année (en CAM à mi-juin 2014) à raison de 2,5 unités par acheteur; ils étaient 45 % en 2011. Le principal lieu d’achat demeure le circuit sélectif comprenant les parfumeries indépendantes, les enseignes telles que Sephora, Marionnaud, Beauty Success ou encore Nocibé et les grands magasins, avec 35 % de parts de marché volume et presque 70 % en valeur. Le réseau officinal reste confidentiel avec aujourd’hui seulement 1 % des Français qui achètent leur parfum en officines.

Communication

Dans le sillage de l’officine

Le chiffre d’affaires de la catégorie ne permettant pas encore des plans média d’envergure, les marques ont donc choisi de se faire connaître en allant à la rencontre des consommatrices dans l’officine. Ainsi Caudalie, Roger&Gallet ou encore L’Essence des notes privilégient la PLV. Roger&Gallet réalise plusieurs fois par an des animations autour de ses parfums. La dernière en date s’est déroulée en septembre dernier. « Notre opération Grain de folie, qui mettait en avant notre dernier lancement Gingembre Rouge nous a permis d’exister alors que les produits pour les peaux à problèmes étaient au centre de l’actualité », raconte le directeur général de la marque. Roger&Gallet a aussi créé une table d’expériences sensorielles qui fait découvrir tous ses produits parfumés, aujourd’hui présente dans 500 pharmacies en France. « Cette théâtralisation favorise clairement l’achat d’impulsion, explique notre interlocuteur pour Roger&Gallet. Les pharmaciens doivent nous laisser l’opportunité de nous exprimer car nous apportons de la couleur et du bien-être et ceux qui jouent le jeu ne le regrettent pas ».

Bébés

Des odeurs qui recrutent

Avec son gage de sécurité, la pharmacie est un lieu d’achat pour les parfums bébé qui représentent, selon Opharm, près de 15 % des ventes du circuit (dont 8 % pour Mustela et 5,3 % pour Arthur et Lola). « Notre eau fraîche pour bébé parfume notre gamme, explique Stéphanie Lambey, directrice marketing de Klorane. Elle est bien souvent le premier contact de la jeune maman avec la marque et est offerte en cadeau de naissance. » Proposé sous forme de coffrets (le flacon est assorti d’un doudou), le parfum pour bébé permet de recruter de nouvelles consommatrices. Et Stéphanie Lambey de préciser que « la senteur du produit est le premier critère d’achat d’une gamme bébé ». Le parfum est donc une façon de faire découvrir l’univers de la marque et surtout de fidéliser.

Créatif

L’offre Roger&Gallet a été revisitée il y a trois ans avec succès. De Jean-Marie Farina à Gingembre Rouge, les créations séduisent.

Nouveau

Acorelle entre en pharmacie par une gamme d’eaux de toilette bio. Ou comment allier qualité et sécurité.

Divin

Après les eaux fraîches, Caudalie a lancé Parfum Divin, en écho à son Huile Divine.

Accessible

L’Essence des notes se positionne sur le parfum rémanent à prix trois fois moindre qu’en sélectif.

Dépaysant

Fondée par un pharmacien, la gamme Instant de Voyages s’inspire des senteurs de la Méditerranée.

Addictif

Musti rafle 8 % des ventes de parfum en valeur. Merci, l’indémodable odeur Mustela !

Naturel

Nature & Senteurs a rajeuni toute sa gamme aux formulations naturelles à plus de 95 %.

Glamour

Nuxe cartonne avec son Parfum Prodigieux, leader du marché, et son eau pour le corps, en 4e place.