Voyage en cabine depuis Roanne

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Publié le 18 juin 2016
Par Myriem Lahidely
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Une cabine de télémédecine a été installée fin février dans la pharmacie mutualiste de Roanne. Télésurveillance de patients chroniques ou consultation médicale à distance, cette expérimentation cherche à démontrer l’intérêt d’une « révolution numérique » en médecine.

Blanche aux vitres opaques, la cabine est ovale et imposante, avec ses 2,30 mètres de haut et son 1,90 mètre de long. Elle intrigue, tel un Ovni posé dans un angle de l’officine, à l’écart des comptoirs. A l’intérieur, un homme âgé s’est installé sur le siège incliné. Thermomètre appliqué sur la tempe, il lit la marche à suivre, doublée en voie off, sur un écran d’ordinateur. En dix minutes, à l’aide des appareils à gauche et à droite des accoudoirs, il va pouvoir prendre – gratuitement, pour l’instant – sa tension artérielle, son pouls, sa température, son taux d’oxygène (saturométrie). Il peut aussi se peser, se mesurer, calculer son indice de masse corporelle, et repartir avec ses données biométriques imprimées en deux exemplaires, un qu’il gardera, l’autre destiné au médecin. Données disponibles aussitôt – en accès sécurisé – sur jemesurveille.com, un site agréé par le ministère de la Santé et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). « Le patient les interprétera avec son médecin traitant qui l’invitera, si nécessaire, à consulter », observe Emmanuel Guillot, gérant de l’officine mutualiste (ci-contre). « Pour l’instant, la cabine est utilisée en télésurveillance pour des malades chroniques. A terme, son usage sera d’accompagner les médecins du territoire. Elle ne les remplace pas, mais diffère leur exercice », prévient-il d’entrée. Le projet est conduit par la Mutualité française (Eovi Usmar services et soins) très présente dans ce département (5 officines sur 53 en France) et ses partenaires – Agence régionale de santé (ARS), centre hospitalier de Roanne, filière gérontologique du Roannais, etc. – en collaboration avec des acteurs institutionnels et économiques du territoire que sont Roannais agglomération, l’Agence de développement économique de la Loire (ADEL42) et l’université Jean Monnet. « Cette expérimentation est, de fait, accessible à tous les patients, mutualistes ou pas, qu’ils soient malades ou cherchent à prendre leur santé en main et se responsabiliser », précise Emmanuel Guillot. L’agglomération de Roanne concentre 70 % de la population départementale, et plus d’un tiers des habitants est âgé d’au moins 60 ans. De plus, elle compte plus de 110 médecins, soit 89 praticiens pour 100 000 habitants, en dessous du ratio national de 93,5. Le nord du département est classé zone prioritaire par l’ARS. Le pharmacien note aussi que deux praticiens sur trois ont plus de 50 ans. « Beaucoup sont débordés, ils ne prennent plus de patients. Donc, 4 000 personnes sont actuellement sans médecin sur ce bassin. »

« En ville aussi, les généralistes qui partent ne parviennent pas à se faire remplacer. Nous cherchons des solutions », résume Thierry Bouvier, directeur de la Mutualité Loire. « Mais nous y allons sur la pointe des pieds car ces nouvelles pratiques bousculent les usages », évoque-t-il. Depuis l’installation de cette « consultation » en février dernier, jusqu’à trois ou quatre personnes par jour l’ont utilisée. Ce sont le plus souvent des personnes de plus de 60 ans, hypertendus ou diabétiques ainsi que des habitués de l’officine et des patients extérieurs, curieux de tester ce « minicabinet médical connecté » largement commenté par les médias. « Les pharmacies sont ouvertes six jours sur sept, et il y a toujours un professionnel de santé pour recevoir les patients en première intention », justifie Rémy Bouvier. L’équipe officinale, formée à l’utilisation de la télécabine, peut les accompagner, la première fois, et les rassurer si nécessaire.

Etape suivante : la consultation par visioconférence

Avant que cette cabine ne prenne place dans son officine, le titulaire, conseiller ordinal depuis 2012, a sollicité l’avis du Conseil national de l’ordre des pharmaciens. « Le projet a été bien accueilli parce qu’il se montait à titre expérimental », confie-t-il. En effet, certains confrères auraient pu y voir « un coup de pub ou une concurrence. Il a fallu démontrer que ce n’était pas l’objet », mais aucun ne s’y est opposé officiellement. A l’inverse, quelques généralistes, déjà mobilisés l’an dernier contre la nouvelle loi santé, désapprouvent. François Guillet, directeur du Laspi (laboratoire de l’université Jean Monnet spécialisé dans les systèmes d’organisation en santé) reconnaît que « tous n’ont pas été informés au même moment, mais cela se met en place. Il faut un peu de temps pour définir les priorités autour de ce projet, les cibles et les protocoles. » Le Conseil de l’ordre des médecins, pour sa part, conçoit que ce nouvel outil puisse participer à « soulager la charge des généralistes, mais sur un parcours de soins donné, et selon un protocole de surveillance bien cadré ».

L’étape suivante du projet expérimentera la consultation par visioconférence. Elle permettra à un patient d’échanger, depuis la cabine, avec son médecin et de se faire prescrire, si nécessaire, une ordonnance qu’il recevra chez lui. « Il gardera ainsi le libre choix de son pharmacien », précise-t-on. Et à terme, de bénéficier d’une télétransmission automatique à l’assurance maladie par le biais de la carte Vitale. « La cabine est prête. Elle est aussi dotée d’un stéthoscope, d’un otoscope, d’un dermatoscope pour filmer des lésions ou des plaies, et d’un rétinographe pour envoyer des images de fond d’œil », détaille Emmanuel Guillot. Dans ce département qui est aussi l’un des plus touchés par la pénurie d’ophtalmologistes, et dont le nombre de diabétiques de type 1 et 2 est supérieur à la moyenne nationale, l’ARS vient de donner son agrément pour un suivi des rétinopathies diabétiques. Lequel s’organise. Des ophtalmologistes du centre hospitalier de Roanne, du CHU de Saint-Étienne et de la Mutualité ont donné leur accord pour analyser les clichés. « En fonction de la demande, une infirmière formée au rétinographe, accompagnera le patient », prévoit le pharmacien.

A l’essai jusqu’en septembre

Avec la cabine installée dans son officine en 2012 (dans le cadre de Télémedinov), Sophie Toufflin-Rioli, titulaire à Commequiers (Vendée) s’est organisée pour proposer deux demi-journées de téléconsultations par semaine, soit une cinquantaine depuis le lancement. « Nous avons signé un protocole avec les médecins locaux afin qu’aucune téléconsultation ne se fasse sans accord », indique-t-elle. Ces téléconsultations fonctionnent particulièrement bien avec un dermatologue et un ophtalmologue, mais d’autres professionnels de santé des environs s’y intéressent. « Tôt ou tard, les officines vont y arriver. A défaut, cela se mettra en place à la Poste ou à la mairie ! C’est l’occasion de faire apparaître enfin ce pharmacien prévu dans la loi HPST et qu’on n’a toujours pas vu ! », ajoute la pharmacienne.

A Roanne, la cabine financée par des fonds Feder (Fonds européen pour le développement des régions) est à l’essai jusqu’en septembre. Les patients remplissent, en sortant, un questionnaire conçu avec le Laspi et qui va être analysé. « L’évaluation des usages et de l’outil permettra de définir des priorités, une cible de population et les protocoles. Cela demande du temps », résume François Guillet. Reste que, rien n’est prévu en matière de rémunération. « Dans la loi HPST, toute nouvelle mission dit nouvelle rémunération. Mais faute de décret d’application, pour l’instant, c’est le vide », conclut Emmanuel Guillot.

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EMMANUEL GUILLOT EN QUATRE DATES

1983 Diplômé de l’université Claude Bernard, Lyon.

1992 Première installation, cotitulaire à Bressuire

1998 Gérant de la pharmacie mutualiste de Roanne

2016 Participe à l’expérimentation de la cabine de télémédecine.

ENVIEDE VOUS LANCER ?

AVANTAGES

– Maintenir une offre de santé de proximité

– Développer des services innovants en officine

– Acquérir des savoir-faire nouveaux

– Faciliter le suivi des traitements et rassurer les patients

INCONVÉNIENTS

– Une absence d’indemnisation

– Un accompagnement du patient chronophage

– La nécessité d’être entouré d’infrastructures et de partenaires

– La difficulté de gestion

– Une maintenance « hygiène » systématique après chaque passage

– Le coût : le prix d’une cabine comme celle-ci varie de 70 000 à 130 000 euros en fonction des configurations ;la location mensuelle oscille entre 1 500 et 3 000 euros HT

LES CONSEILS D’EMMANUEL GUILLOT

– Concevoir l’agencement de son officine en conséquence

– Former son équipe, y compris aux règles d’hygiène

– Nommer un responsable de cabine

– Choisir un endroit isolé pour assurer une bonne confidentialité

– Prévoir une connexion internet spécifique