Opportunité ou mirage pour l’officine

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Publié le 25 juin 2016
Par Francois Pouzaud
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La réécriture de la loi autorisant la substitution par les pharmaciens des médicaments biosimilaires permettra-t-elle de faire décoller ce marché prometteur pour l’officine ? Possible, à condition de surmonter des limites économiques et des freins réglementaires.

Alors que la dégradation économique des officines s’accélère, le marché des médicaments biosimilaires, prometteur, est convoité par les pharmaciens. Avec l’espoir de rééditer le même succès qu’avec les génériques et d’en faire un nouveau levier de croissance. En 2015, le chiffre d’affaires réalisé en ville par les biosimilaires s’élève à 88 millions d’euros en prix industriels (+ 13,2 %), alors que leur taux de pénétration n’est que de 2,3 % au sein d’un marché des médicaments biologiques évalué à 4 milliards d’euros en ville et 7 milliards à l’hôpital (source : IMS Health). Sur la scène européenne, le marché français des biosimilaires reste contrasté. On peut même dire qu’il est en retrait par rapport à d’autres pays voisins comme le Danemark ou la Norvège. Mais de nombreux développements de biosimilaires sont en cours, directement liés aux pertes de brevets. Selon le Gemme, l’association des professionnels du médicament générique, avec l’arrivée d’une nouvelle molécule par an, le marché des biosimilaires est promis à une croissance à deux chiffres sur les cinq ans à venir. «   A l’horizon 2020, il représentera un pan important du marché de l’officine, de l’ordre de 20   % en chiffre d’affaires   », évalue Stéphane Billon, économiste de la santé.

Une rémunération similaire aux génériques ou pas

Mais avant que le biosimilaire ne devienne la poule aux œufs d’or, les syndicats de pharmaciens vont devoir s’employer à créer les conditions d’un marché porteur pour l’officine. « Il faut définir un répertoire des biosimilaires et fixer des règles de substitution, tenant compte des indications de chaque médicament   », propose Philippe Gaertner, président de la FSPF. Sur le plan économique, transposer les règles de rémunération des génériques aux biosimilaires. Gilles Bonnefond, président de l’USPO, demande les mêmes règles en matière de marge et de conditions commerciales qu’avec les génériques : égalité des marges, plafonnement des remises à 40 %. «   Il faut pouvoir disposer des mêmes effets amortisseurs des baisses de prix. A défaut d’être un levier de croissance pour l’officine, il faut éviter que le biosimilaire devienne un facteur de décroissance pour notre économie.   » Philippe Gaertner réclame a minima l’extension du principe « marge générique – marge du princeps » aux biosimilaires. «   Cela doit être un point de départ dans la négociation   ». Mais compte tenu des prix très élevés de ces produits, il estime prématuré d’envisager une politique de remises calquée sur celle du générique. Jean-Luc Fournival, président de l’UNPF, doute que les pouvoirs publics accèdent à ces demandes. Un avis que partage Stéphane Billon : «   L’Etat ne va pas rééditer les mêmes largesses qu’au moment du lancement du droit de substitution   », explique-t-il. «   Une telle politique ne serait pas tenable pour les laboratoires qui doivent supporter des coûts de développement et de production incomparablement plus élevés que pour les génériques, elle serait par ailleurs probablement sérieusement challengée par les payeurs   », ajoute Frédéric Girard, vice-président du Gemme en charge des biosimilaires. Indépendamment des limites économiques évoquées, il y a des freins réglementaires et politiques qui ne seront pas simples à faire lever. A commencer par le droit de substitution. Tel qu’il est prévu dans l’article 47 de la LFSS 2014, il est inapplicable en pratique.

L’interchangeabilité risque de freiner la substitution

La tâche s’annonce rude pour les syndicats. L’USPO veut profiter de la réécriture du texte annoncé par Gérard Bapt, député PS de la Haute-Garonne pour «   demander que les pharmaciens obtiennent un droit de substitution pour le biosimilaire, comme ils l’ont eu en 1999 pour le générique, c’est-à-dire sans avoir besoin de l’accord préalable du médecin.   » « Le pharmacien doit pouvoir faire un véritable acte de substitution, sinon cela ne marchera pas », estime Gilles Bonnefond. La FSPF a les mêmes revendications. «   Ces produits font partie des marchés de demain, l’officine ne doit pas les négliger   », déclare Philippe Gaertner qui trouverait «   aberrant d’interdire la substitution aux officinaux alors que les pharmaciens hospitaliers, chargés des appels d’offres d’achat des médicaments dans les hôpitaux, remplacent le produit biologique prescrit par celui qu’ils ont référencé.   »

Mais les syndicats risquent de déchanter. «   L’objet n’est pas de réécrire la loi en faveur ou contre la substitution, mais de faire en sorte qu’elle ne soit plus un frein à l’interchangeabilité   », souligne Frédéric Girard. Le rapport de l’ANSM, rendu fin mai sur le sujet, préconise de lever l’interdiction sur l’interchangeabilité. Mais la nouvelle stratégie place les prescripteurs au centre de l’action et se prononce indirectement en faveur d’un renoncement ou tout au moins d’une restriction du droit de substitution, se rangeant ainsi à l’avis de nombreux industriels et médecins qui s’inquiètent d’une telle facilité pour le pharmacien.

Avec l’interchangeabilité, la diffusion des biosimilaires s’entoure d’une extrême prudence qui l’emporte sur les objectifs d’économies, ce qui n’augure pas d’un essor rapide du marché en ville. «   La confiance du patient est essentielle si l’on veut vraiment que le déploiement des biosimilaires soit un succès, elle ne sera acquise que par la concertation entre médecins et pharmaciens   », explique Frédéric Girard. Une bonne façon pour les laboratoires de tenir le marché via la prescription médicale.

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Opposition des laboratoires et des médecins

Philippe Gaertner n’est pas surpris par l’opposition des industriels du biosimilaire à la substitution du pharmacien. «   Ces molécules ont nécessité des investissements énormes, il est normal que les laboratoires veuillent en récolter les fruits   », confie-t-il. Freins réglementaires, pressions des industriels, hésitation, voire refus d’évincer des médecins qui ne prendront pas de risques (évoquant de mauvaises réponses sur l’immunogénicité, etc.) pour une simple question économique, réticences des patients à accepter les biosimilaires, pour toutes ces raisons Jean-Luc Fournival pense que ce marché ne sera pas une opportunité économique à court terme pour l’officine. «   La substitution en initiation de traitement sera confrontée à des problèmes de communication au comptoir encore plus complexes qu’avec les génériques   », craint-il. 

À RETENIR


•  Les médicaments biosimilaires devraient représenter, à l’horizon de 2020, un pan important du marché de l’officine, de l’ordre de 20 % du chiffre d’affaires.

•  Les syndicats de pharmaciens voient dans ce nouveau marché un levier de croissance pour l’officine et demandent la transposition des mêmes règles que pour les médicaments génériques (égalité des marges, plafonnement des remises…).

•  La profession espère une réécriture « favorable » aux pharmaciens de l’article 47 de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS 2014) qui autorise la substitution.

REPÈRES 

LE B A BA DES BIOSIMILAIRES


1 QUELLE EST LA DIFFÉRENCE ENTRE UN GÉNÉRIQUE ET UN BIOSIMILAIRE ?

Un biosimilaire est un médicament biologique mis au point de manière à ce qu’il soit similaire à un médicament biologique existant (le « médicament de référence »). Il ne remplit pas les conditions pour être considéré comme un générique en raison de différences liées notamment à la variabilité de la matière première ou aux procédés de fabrication. Sa mise sur le marché obéit à des exigences renforcées avec des études précliniques et cliniques. Les génériques, eux, ont des structures chimiques plus simples et sont considérés comme identiques à leurs médicaments de référence. Pour être mis sur le marché, le dossier de qualité et l’étude de bioéquivalence pharmacocinétique suffisent.


2 POURQUOI NE PEUT-ON PAS PARLER DE SUBSTITUTION POUR UN MÉDICAMENT BIOSIMILAIRE ?

Tout médicament biologique dont le brevet est tombé dans le domaine public peut être copié. Cette copie est désignée comme biosimilaire. Les produits biosimilaires ne pouvant être strictement identiques à leur produit de référence, le principe de substitution, valable pour les génériques, ne peut donc pas s’appliquer automatiquement.


3 QUE VEUT DIRE INTERCHANGEABILITÉ ?

L’interchangeabilité est une pratique médicale consistant à échanger un médicament contre un autre qui est censé produire les mêmes effets cliniques dans un cadre clinique donné et pour chaque patient, à l’initiative ou avec l’accord du prescripteur. Alors que la substitution est une pratique consistant à délivrer un médicament à la place d’un autre équivalent, au niveau de la pharmacie, sans consulter le prescripteur. Interchangeabilité et substitution répondent donc à des logiques très différentes.


4 UNE DES CONDITIONS DE L’INTERCHANGEABILITÉ EST UNE SURVEILLANCE CLINIQUE APPROPRIÉE DU PATIENT. QU’ENTEND-ON PAR LÀ ?

Ce dispositif de surveillance n’est pas spécifique au biosimilaire, mais inhérent à la prescription d’un médicament biologique. Il comporte donc les mêmes mesures particulières que pour le médicament biologique de référence, mais aussi la surveillance du profil immunologique du produit biosimilaire.


5 QUELS SONT LES MÉDICAMENTS BIOSIMILAIRES AUTORISÉS À LA VENTE EN OFFICINE EN FRANCE ?

A ce jour, vingt spécialités biosimilaires sont autorisées, dont 13 commercialisées actuellement. Les demandes d’AMM de ces spécialités, en moyenne 20 à 30 % moins chères que les produits de référence, sont obligatoirement soumises à une procédure d’examen centralisée par l’Agence européenne des médicaments. L’AMM qui en résulte est valable dans tous les Etats membres de l’UE. 
François Pouzaud