Comment se préparer à l’ouverture du capital ?

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Publié le 22 février 2017
Par Fabienne Colin
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Même si l’ouverture du capital des pharmacies en France est une éventualité que n’ignorent pas les représentants de la profession et les groupements, personne ne veut le commenter. Tabou ? Politiquement incorrect ? Ni l’Ordre, ni les réseaux organisés en chaînes dans d’autres pays n’ont donné suite à nos demandes. Les groupements avanceraient-ils masqués ? Reste que Laurent Filoche, président de l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO), estime que cette ouverture du capital est un « non sujet. Car elle est déjà latente quand les grossistes se portent garant pour aider à l’installation par exemple. » Selon lui, « les éventuels investisseurs sélectionneront les officines en fonction de leur rentabilité. [….] Comme dans tous les autres pays, plusieurs types de réseaux coexisteront : des intégrés comme Boots au Royaume-Uni, des franchisés et des indépendants. »

Du côté des titulaires français, peu se sentent réellement concernés par un tel retournement des cartes. Par ignorance ou par crainte ? Pour illustrer la réalité, nous sommes donc allés nous renseigner du côté de nos voisins helvétiques.

RESTER concurrentiel.

« Le marché sera perturbé. Ce qui entraînera forcément une certaine forme d’insécurité pour le pharmacien indépendant », affirme d’emblée le Suisse Paul Salmi, président du Groupe Pharmacie Populaire depuis 15 ans (lire son témoignage ci-contre). Autrement dit, la concurrence entre les pharmacies ne peut que s’accentuer avec la présence de puissants actionnaires dans les entreprises officinales. Ne l’ignorons pas : dans tous les commerces, la compétition entraine une bagarre plus intense sur les prix. Et dans le secteur de la pharmacie, l’arrivée d’investisseurs va de pair avec l’arrivée accrue de profes d’ansionnels du marketing et d’enseignes au positionnement tranché, perceptible par le patient-client. Alors autant se préparer. Envoyer ses troupes en formation selon un objectif défini et visible par les consommateurs, semble un bon début.

MISERsur la proximité

Mine de rien, l’apparition de chaînes de pharmacies peut être bénéfique pour la profession dans le sens où les nouveaux actionnaires investissent énormément dans la rénovation, l’informatisation, ainsi que dans de nouvelles prestations officinales. En attendant un retour sur investissement important. Et d’autant plus rapide que les groupes sont côtés en bourse. Cette course à la rentabilité faisant parfois de l’ombre à la qualité de l’accueil. Les grosses machines gagnent en professionnalisme, quitte à perdre en proximité… Rejoindre d’ores et déjà un groupement à taille humaine, serait-il une solution pour permettre au titulaire lambda d’anticiper ? « Seuls résisteront les réseaux capables de s’adapter, notamment avec des services différents et non des services « en série » comme dans les chaînes nationales. Seuls les groupements régionaux ont cette capacité à s’adapter à la clientèle locale », estime Frédéric Morise, ex titulaire membre du réseau de la région havraise Pharmaestuaire.

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SAVOIR se différencier

L’enjeu, face aux chaînes, reposerait donc sur la différenciation. Ainsi en Suisse, « les indépendants qui s’en sortent sont ceux qui vendent les produits naturels ». Pierre-François Hottelier, pharmacien gérant de la Pharmacie de Grenus à Genève (membre du groupement d’indépendants PharmaciePlus), sait de quoi il parle… Il s’est aussi spécialisé dans les produits vétérinaires.

Acquérir une expertise pour faire la différence implique les collaborateurs. Et l’ouverture du capital ne sera pas sans conséquence sur les équipes. À la tête du cabinet et recrutement Pharm-Emploi, Armand Gremeaux interroge : « À qui une chaine va-t-elle confier les rênes d’une officine, à l’adjoint planplan ou à celui qui souhaite s’impliquer ? Tout le monde n’a pas envie de devenir directeur. » Certains titulaires accepteront de devenir salariés et des adjoints grimperont les échelons pour s’occuper de la gestion d’une officine. À chacun d’anticiper en sachant ce qu’il veut, ce qu’il ne veut pas. En cas d’ouverture du capital, des groupes aux moyens financiers importants feront les yeux doux à certains officinaux. Il conviendra alors de garder son sang-froid pour prendre la bonne décision : rejoindre la chaîne et éventuellement faire entrer un investisseur dans son capital, tout vendre ou rester indépendant.

LE CAS DU MOIS

C’est un serpent de mer. La question de l’ouverture du capital des officines à des investisseurs non-pharmaciens revient régulièrement sur la scène socio-politicoprofessionnelle en France. En 2009, la Cour européenne de justice avait mis fin à l’éventualité de voir apparaître des chaînes de pharmacies dans l’Hexagone. Mais le sujet a de nouveau fait surface en 2014 dans le projet de Loi Macron. Loin de faire l’unanimité… Selon un sondage Viavoice de fin 2014, 59 % des Français pensent que c’est une « mauvaise chose ». Pourtant, une telle situation existe déjà dans le monde : aux États-Unis et même plus, près de nous, au Royaume-Uni ou encore en Suisse. Et les prochaines élections présidentielles dans notre pays pourraient ouvrir la voie à une certaine libéralisation du système de santé… Alors comment aborder un tel scénario ? À quoi faut-il s’attendre ? Réponses.

LES EXPERTS

Frédéric Morise EX-TITULAIRE

Armand Gremeaux TITULAIRE À ALFORTVILLE ET GÉRANT DU CABINET DE RECRUTEMENT PHARM-EMPLOI

Laurent Filoche PRÉSIDENT DE L’UNION DES GROUPEMENTS DE PHARMACIENS D’OFFICINE (UDGPO)

CONSEILS

Ne pas tomber dans le piège de la panique »

Paul Salmi est à la tête d’un groupement suisse de 21 pharmacies, fondé il y a 125 ans par les caisses maladie, et rejointes plus tard dans le capital par des associations à but non lucratif. « En Suisse, le capital de la pharmacie a toujours été ouvert. Cela fait désormais partie de notre culture. Cependant, depuis une vingtaine d’années, l’environnement économique de la pharmacie d’officine a changé suite à l’arrivée de grandes enseignes, regroupant plus d’une centaine d’officines. En effet, grâce à leur envergure et à leur assise financière, ces grands groupes ont amené une pression supplémentaire sur le prix des médicaments OTC et parapharmacie afin d’être plus concurrentiels et compétitifs. Cette pression vient s’ajouter à celle étatique visant à réduire les prix des médicaments réglementés. Or, plus le tarif de la médication baisse, plus les pharmacies indépendantes se retrouvent dans une situation économique et financière difficile. Face aux groupes, elles ont de moins en moins de capacité à investir. Néanmoins, pour le client, la proximité et la qualité du personnel restent deux critères importants dans le choix de sa pharmacie.

Mon premier conseil, si la France s’engage dans l’ouverture du capital de la pharmacie, serait que les titulaires évitent de tomber dans le piège de la panique et de la précipitation en cédant leur affaire au premier venu, de peur de ne pas pouvoir faire face à une telle concurrence. Certes, les grandes pharmacies résisteront mieux que les petites. Mais contrairement aux grands groupes, l’indépendant a la chance de pouvoir manoeuvrer son positionnement de proximité avec plus de souplesse et d’humanisme, pour devenir un acteur incontournable dans son quartier et dans la chaîne de soins. »

AH OUI !

Rester attractif. La meilleure défense restant l’attaque, l’officine d’aujourd’hui doit se donner les moyens d’être attractive, soit en vue de se faire racheter le moment venu, soit en vue de pouvoir maintenir sa rentabilité, pour rester indépendant dans un nouveau paradigme.

OH NON !

Faire l’autruche. Si l’ouverture du capital n’est pas une actualité en France, l’exemple de nos voisins européens pourrait être inspirant…