Comment prendre une longueur d’avance ?

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Publié le 1 mai 2019
Par Fabienne Colin
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A vos marques, prêts, partez… Depuis plus d’un an, le laboratoire de compléments alimentaires Stimium (groupe Biocodex) organise des sorties running chez ses clients pharmaciens. Vous avez dit « bizarre » ? Pourtant, les pharmaciens sont de plus en plus engagés dans la prévention. Alors, pourquoi pas les voir proposer des séances de courses à pied, de yoga ou de vélo ?

J’Y VAIS, j’y vais pas…

« Je ne vois pas en quoi les officines ne seraient pas légitimes pour organiser ce genre d’animations. Stimium ne propose pas de transformer le point de vente en terrain de sport… », rassure Henriette Lopy-Leparoux, responsable de la division sport de Biocodex, avant de préciser l’objectif de la marque : « nous souhaitons mettre les pharmaciens en contact avec ces consommateurs ». La démarche est récente et fait face à quelques réticences. « Je n’ai pas prévu ce genre de sorties, car je n’ai pas plus de légitimité qu’un Décathlon… », indique Kadeka Lim, titulaire de la Pharmacie des Cormiers à Noisy-le-Grand (93), qui souhaite pourtant développer son rayon sport déjà doté de marques comme les compléments alimentaires Science for you et les attelles Orliman. « Finalement, ça serait une bonne idée, car cela correspond au message que j’essaye de faire passer, en expliquant qu’une bonne hygiène de vie passe par le sport ». Même hésitation chez son confrère, Stéphane Brozicevic, co-titulaire de la Pharmacie de la Licorne, à Strasbourg (67). « Nous pourrions être légitimes, mais ça ne m’intéresse pas. Les magasins de sport le pratiquent déjà pour fidéliser. Ici, j’aimerais que les sportifs sachent que je suis là s’ils rencontrent des problèmes, mais mon rôle n’est pas de les promener », poursuit ce passionné de course à pied et de trail. Autrement dit, tous les titulaires, même les sportifs, ne voient pas forcément l’utilité de mouiller le maillot pour leurs clients.

GAGNER la bataille de l’image.

Pourtant, la sortie sportive permet de renouveler l’image de son officine. « Avec ces animations, nous souhaitons montrer aux pharmaciens qu’ils ont un vrai intérêt à le faire, car de nombreux sportifs ne pensent pas à se rendre en pharmacie pour leurs pratiques », explique Henriette Lopy-Leparoux. De fait, les coureurs ou les cyclistes, par exemple, ont plutôt le réflexe de se rendre dans les magasins de sport spécialisés dans leur pratique. Or, le pharmacien a la légitimité de son diplôme pour valoriser ses compétences auprès des sportifs. Et c’est d’autant plus facile pour les amateurs d’une discipline en particulier. Passionné de running, Xavier Candille, titulaire de la Pharmacie d’Amsterdam à Paris (8ème arr.), estime que le jeu en vaut la chandelle. « Quand on me parle du mur des 35 km durant un marathon, je sais ce que c’est, je peux adapter mes conseils », assure celui dont l’ancienne officine (la Pharmacie de Liège à Paris, lire l’encadré) a organisé une sortie avec Stimium. « Si ces animations donnent une autre image de votre officine, elles nécessitent aussi de s’en occuper, d’être présent sur les réseaux sociaux… ».

S’ORGANISER un programme.

Athlète et toujours compétitrice à 48 ans, Lucile Sublon, titulaire de la Pharmacie de la Cité à Strasbourg (67) a expérimenté la sortie avec Stimium. En habituée, elle est allée repérer un parcours. « Ce fut un peu galère de trouver les participants, mais heureusement j’en avais parlé à mon club », avouet- elle, tout en estimant que la communication réalisée par Top Chrono – le prestataire de Stimium – est trop faible. Elle garde, toutefois, un bon souvenir de ce moment. « Nous avions donné rendezvous à la fermeture de la pharmacie, à 19 h 30. Nous sommes partis 45 minutes, en faisant un échauffement ludique, des exercices, deux tours de 1000 m… Au retour, le commercial avait monté un stand dans l’officine pour faire goûter les produits ». Si les boutiques de running ou de cyclisme sortent carrément avec leurs clients, d’autres procèdent autrement. La chaîne alimentaire Bio C’ Bon a opté pour une méthode astucieuse. « Nous avons créé une communauté de running, car ce sport correspond à nos valeurs. Et en tant que magasins de proximité, nous nous investissons dans la vie de nos quartiers », explique Aude Jolivet, responsable du marketing sportif de Bio C’ Bon. L’enseigne organise des cessions depuis 2015 et revendique 50 magasins participants et plus de 1 000 sorties en 2018. Là, ce sont des amateurs de course à pied, bénévoles, qui mènent la danse (ou plutôt, la course !). Ils proposent une date et Bio C’Bon se charge de la communication sur les réseaux sociaux. « Ces ambassadeurs relaient aussi la sortie et nous touchons ainsi deux communautés », détaille Aude Jolivet, qui espère « faire entrer dans ces magasins des nouveaux clients, qui ne seraient pas venus spontanément ». Des enjeux assez similaires à ceux des croix vertes ! Alors, prêts ?

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LE CAS DU MOIS

40 % des Français déclarent s’être adonnés au moins une fois à la course à pied ou à la marche en 2018, selon le baromètre national des pratiques sportives réalisé par le Credoc. La gymnastique, les sports aquatiques et le cyclisme suivent avec 22 %, 20 % et 18 %. Mieux, 57 % des sportifs se mettent à leur pratique favorite deux fois ou plus par semaine. Bref, les Français ont plutôt une appétence pour le sport, même si celle-ci décroit nettement après 40 ans. Or, l’activité physique est primordiale pour la santé.

Alors pourquoi les pharmacies n’organiseraient-elles pas des sorties de running, de vélo ou autres pour mettre la clientèle sur la ligne de départ ?

Sont-elles légitimes pour ce type d’éducation thérapeutique ? Eléments de réflexion.

LES EXPERTS

Henriette Lopy-Leparoux

RESPONSABLE DE LA DIVISION SPORT DE BIOCODEX

Aude Jolivet

RESPONSABLE DU MARKETING SPORTIF DE BIO C’ BON

AH OUI !

Organiser une sortie sportive donne une image positive de l’officine, qui affiche son ancrage dans le sport de façon originale.

OH NON !

L’opération ne se limite pas à enfiler ses baskets trois quarts d’heure, il faut avoir communiqué en amont pour faire venir les participants.

TÉMOIGNAGE

Surfez sur la dynamique sport/santé

Arnaud Ruffel

Titulaire de la Pharmacie de Liège à Paris (8ème arr.)

A la tête de la Pharmacie de Liège à Paris, Arnaud Ruffel dispose d’un site marchand baptisé « Pharma Runner », et d’un rayon « sport » dans son point de vente, ciblés sur l’endurance. Alors, « quand Stimium m’a proposé une sortie running, ça m’a motivé ! », se souvient-il. « J’ai été mis en relation avec la société Top Chrono, en charge de l’organisation et de la communication de l’événement… En amont, elle avait beaucoup utilisé les réseaux sociaux et de notre côté, nous avons aussi pris des inscriptions auprès de notre clientèle que nous savions sportive, ou désireuse d’une remise à niveau. Au total, on a dû rassembler 20 à 25 personnes en deux sorties. Sur Facebook, plus de 150 personnes s’étaient inscrites pour la première. Je commençais à m’inquiéter d’une telle foule, mais finalement la plupart ne sont pas venus ! Après la sortie organisée à 18 h 30 et pendant 45 minutes avec un coach, nous avons poussé des meubles de la pharmacie et installé un présentoir pour une dégustation. Le commercial montrait les produits et moi j’étais au comptoir pour donner des conseils », détaille le titulaire, loin d’être refroidi. « Ça montre une image dynamique et que notre savoir s’étend au-delà du médicament. Nous sommes formés à la nutrition et nous sommes capables de conseiller pour la préparation, la récupération, la prévention et le soin… Peu d’achats ont été effectués ce jour-là, mais je compte refaire une sortie car cela fait connaître la pharmacie, anime la fin de journée… Le lendemain, des clients m’ont demandé ce qu’il s’était passé la veille. » La prochaine fois, Arnaud Ruffel pense rappeler les participants la veille, pour qu’ils soient plus nombreux. « Grâce à Stimium, la pharmacie avait réuni une équipe de 20 coureurs – des clients et des salariés de l’officine – pour les 20 km de Paris. Désormais, je songe aussi à aller chercher des amateurs pour les pousser à se mettre au sport, et pourquoi pas participer à une course, plus en lien avec la santé, comme l’Odyssea [contre le cancer du sein, NDLR ] ».