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Trentenaires et titulaires
Alors que le métier en officine est en train d’accélérer sa mutation, quelles sont les attentes des jeunes titulaires ? Cinq pharmaciens témoignent. Leurs souhaits sont souvent en lien avec les thèmes introduits dans la nouvelle convention nationale pharmaceutique (écologie, numérique, interpro), publiée au Journal officiel le 10 avril, mais pas seulement. Une chose est sûre : ils sont déterminés.
Finie l’officine à la papa qui ronronne, avec une ou deux blouses blanches rivées à leur comptoir, les rayonnages et un patron omniscient… Etre jeune titulaire aujourd’hui, c’est être immédiatement plongé dans une pratique en pleine évolution, à laquelle la nouvelle convention nationale pharmaceutique, publiée le 10 avril, apporte une dynamique supplémentaire. Le modèle économique entièrement fondé sur la délivrance de médicaments est dépassé et, en parallèle, les nouveaux diplômés aspirent à une autre façon de travailler. Les titulaires trentenaires interrogés ont souvent une vision tranchée sur la façon dont ils comptent mener leur officine, et toujours une opinion précise sur ce qu’ils refusent de faire. Comment veulent-ils exercer ?
EN ADOPTANT L’ESPRIT START-UP
Diplômé en 2015, Sébastien Bonnet ne s’imaginait pas devenir titulaire un jour. « Je ne me reconnaissais pas dans le modèle de management, dans ce patriarcat patronal, avec des équipes pas vraiment intégrées dans les décisions… », explique-t-il. Après ses études de pharmacie en Roumanie, il intègre l’Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales (Essec). En 2019, il cofonde le groupement MonOrdo, qui repose d’une part sur un système d’accompagnement omnicanal et permanent du patient (avec des entretiens pharmaceutiques en visioconférence, un suivi en continu notamment par SMS, un service de livraison, des préparations de sachets-doses, etc.) et d’autre part sur l’implication de l’équipe. Depuis l’été 2021, il est installé à Toulouse (Haute-Garonne) et entend, grâce au numérique, recentrer le pharmacien sur son cœur de métier, c’est-à-dire la prise en charge du patient. « On ne vend pas un pilulier mais une expérience client. Quand on le prend en charge, le patient n’a plus de contraintes en lien avec son traitement », explique-t-il. La personne peut ainsi se faire livrer ses médicaments, y compris sous forme de sachets-doses dont chacun correspond à une prise, facilitant l’observance. « Je voulais éviter le management à l’ancienne où l’on vouvoie le titulaire, où c’est la croix et la bannière pour obtenir une demi-journée de libre… Chez MonOrdo, nous fournissons à nos équipes des outils collaboratifs de start-up comme Slack, GitHub, Monday [plateformes de communication et de gestion de projets collaboratives, NdlR]… Tous les fichiers sont stockés dans le cloud. Le fonctionnement est fluide entre le siège et la pharmacie, les décisions sont prises collectivement, dans un système de management horizontal, en prenant en compte les remontées du terrain », poursuit Sébastien Bonnet. Et d’annoncer que 95 % des échanges avec ses patients se font par le biais du numérique.
EN CASSANT LES CODES
Diplômé en 2013, Antoine Prioux est titulaire dans le village corrézien de Bugeat, coordinateur du pôle de santé MilleSoins (constitué en société interprofessionnelle de soins ambulatoires, Sisa) et président de l’association P4Pillon, qui a donné son nom à un logiciel de gestion officinal adapté à la pratique du pharmacien correspondant qui s’oriente vers l’open source (code utilisable par tous). Lui conçoit son rôle uniquement au sein d’une équipe coordonnée de soins, en tenant « sa place d’expert du médicament » à côté des autres professionnels de santé. Avec une vision écologique au sens large sur la base d’une organisation des traitements en multiples de semaine pour éviter les ruptures, le gaspillage… « Le comptoir n’est pas adapté pour pouvoir faire notre métier », résume-t-il. Il ose casser les codes et imagine par exemple que le pharmacien puisse devenir rédacteur « de revue de littérature pour influencer la qualité des prescriptions des médecins » et « s’accomplir en tant que professionnel de santé en se focalisant à l’échelon de notre public et de notre territoire sur la prévention. Par exemple, en intervenant dans un collège ».
Antoine Prioux travaille aussi à la création d’une société coopérative d’intérêt collectif qui souhaite encadrer la production et l’usage de bases de données de soins de premiers recours. « C’est un peu une sorte d’alternative au Health Data Hub [ou plateforme des données de santé, la base nationale, NdlR] », résume Antoine Prioux. « Et à partir de là, l’idée est de créer un tiers-lieu de santé globale à Bugeat, de commencer à accueillir des équipes de recherche en soins de premiers recours et d’autres personnes sur des approches pluridisciplinaires – pourquoi pas un data scientist de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), par exemple ? ». Il entend faire de l’endroit un écosystème propice à la réflexion sur le système de santé et réfléchit déjà au transfert prochain de son officine. Ce sera dans « une autre petite structure qui va davantage ressembler à un cabinet qu’à un espace de vente, et où j’aurai par exemple des livres à vendre ». Il confie sans détour déjà dispenser à l’unité des médicaments comme les corticoïdes, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), certains antibiotiques, etc. « Je n’ai pas le droit, mais pour faire de la responsabilité sociale et environnementale, il faut passer par la désobéissance civile aujourd’hui ». C’est dit.
EN MISANT SUR L’INTERPRO
Dans un esprit qui rejoint par certains aspects le militantisme d’Antoine Prioux, l’interprofessionnalité est le combat quotidien d’Audrey Gautier qui a depuis plusieurs années développé son officine dans le but d’accueillir chacun de ses patients en entretien pour mieux les accompagner. Son projet va bien au-delà de sa pharmacie, celle de Saint-Domineuc (Ille-et-Vilaine) où elle s’est installée en 2009, l’année de l’obtention de son diplôme. En pleine pandémie, la pharmacienne a continué à participer activement à la construction d’une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) qui a finalement vu le jour en 2021. Et les actions concrètes sont déjà au rendez-vous : un centre de vaccination Covid-19, une solution de vaccination en ambulatoire, un centre de dépistage du Covid-19 et un module de formation à destination des professionnels qui veulent accompagner le sevrage tabagique. « L’interpro apporte aussi des temps d’échanges, de partage d’idées, de ressenti, etc. », insiste-t-elle. In fine, elle espère « qu’après avoir consulté son médecin, le patient prendra rendez-vous avec son pharmacien pour la dispensation, et que nous pourrons, à l’officine, dissocier l’accès sans rendez-vous de celui du renouvellement ». Pour mieux organiser les temps d’échange, mais cette fois avec la patientèle.
EN CULTIVANT SA FIBRE ENTREPRENEURIALE
Maxime Nouchi, diplômé en 2012, a, lui, commencé par monter une start-up dans la restauration, puis a investi dans quatre pharmacies, a acquis une expérience en matière de pilotage des transferts… « Je rêvais seulement d’être titulaire car je voulais exercer un métier où j’étais indépendant », dit le serial entrepreneur, titulaire de la Grande Pharmacie de Sartrouville (Yvelines) depuis 2019, qui ne s’imaginait pas salarié. Et cette fibre continue à le motiver chaque jour. Il a monté, avec un autre titulaire trentenaire, une structure baptisée MN Corporation pour accompagner les jeunes pharmaciens dans leur première installation, notamment financièrement, en leur assurant, par contrat, de quitter le capital avec la revente de ses parts au bout d’un nombre d’années défini. « Au départ, nous apportons à la fois notre aide pour trouver l’affaire, le financement, la logistique, ainsi que notre expérience de la gestion quotidienne », détaille celui qui constate que les candidats sont particulièrement réceptifs au fait d’être épaulés par des pharmaciens de leur génération.
EN S’ASSOCIANT
Sylvain Jann a suivi tous ses stages à la pharmacie du Centre de Plaisance-du-Touch (Haute-Garonne), dont il est aujourd’hui cotitulaire. « Tout juste diplômé en 2013, j’ai eu la chance d’intégrer l’équipe comme assistant, et les titulaires, M. et Mme Roux, m’ont tout de suite proposé une association avant un transfert. Je pensais un jour devenir titulaire mais pas si rapidement. Au départ, on ne se sent pas légitime, on n’apprend pas le métier de l’officinal à la fac. Celle-ci ne nous forme pas à la vraie vie ». Depuis le début, Sylvain Jann mesure la chance qu’il a eue de s’associer à des entrepreneurs expérimentés, et, qui plus est, depuis longtemps engagés dans le suivi des patients, notamment concernant l’homéopathie. Cet engagement avait permis, dès le transfert, il y a sept ans, de décider d’anticiper les nouvelles missions avec l’automatisation de l’officine pour gagner du temps, de prévoir deux salles de confidentialité… Passionné d’informatique, Sylvain Jann a aussi encouragé un changement de groupement (de Giropharm à Elsie Santé) et accepté d’en assumer les conséquences concernant notamment la gestion des suivis de coopération.
En 2020, un quatrième associé, Vincent Alquier, de la promotion de Sylvian Jann, a rejoint l’entreprise dont le dernier exercice affiche 6,7 M€ de chiffre d’affaires, et il s’est mis à l’homéopathie. « Nous avions pu bénéficier d’une progression de l’activité et cela nécessitait de s’associer », estime Sylvain Jann, qui entend bien apprendre au maximum de ses aînés avant leur sortie progressive. « Quand je suis arrivé, ils faisaient tout, mais je me suis occupé de la technique, puis un peu du management, puis des achats. Petit à petit, Vincent et moi récupérons tout », résume celui qui souhaite, grâce à cette organisation, pouvoir rester concentré sur le « cœur de métier et les nouvelles missions, ne jamais oublier le patient ». Déjà, l’officine recherche des adjoints « voire des futurs associés », précise Sylvain Jann. Avec un objectif majeur : pouvoir exercer plus sereinement et efficacement en se répartissant les rôles.
Des pharmaciens nouvelle génération qui cherchent à combiner leurs missions de santé publique avec les évolutions de la société. Sans forcément renverser la table.
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