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Tabac chauffé : casse-pipe ou nouvelle ère ?
Ils veulent faire du tabac chauffé une alternative à la cigarette. Les industriels du tabac vantent, Philip Morris en tête, les avantages de cette nouvelle forme galénique et flirtent de plus en plus avec le domaine de la santé. De l’enfumage ?
Le tabac chauffé est en plein boom. Selon la Commission européenne, les ventes ont explosé dans plusieurs Etats membres entre 2018 et 2020 : 406 % d’augmentation en France, 180 % au Portugal, 153 % aux Pays-Bas, etc. Avec le snus, un produit à base de feuilles de tabac séchées et réhumidifiées, et les pouches, des sachets contenant de la nicotine sous forme de sels mais sans tabac, le tabac chauffé est l’une des solutions alternatives mises sur le marché ces dernières années par les industriels engagés dans des stratégies de sortie de la cigarette. Le premier à l’avoir lancé, c’est Philip Morris en 2016 avec Iqos. En 2021, le géant américain revendiquait 22 millions d’utilisateurs à travers le monde. « Iqos se présente sous la forme d’un dispositif doté d’une lame pour chauffer à moins de + 350 °C des sticks contenant du tabac, de la glycérine, du propylène glycol, de la gomme de guar, de la cellulose, de l’eau et du menthol pour les versions mentholées, mais sans les brûler afin d’éviter toute combustion, explique Karim Tifratene, médecin spécialisé en santé publique responsable des relations scientifiques de Philip Morris France. Afin de reproduire l’expérience de la cigarette, l’appareil est programmé pour une utilisation de 6 minutes ou 14 bouffées. »
Les résultats d’études en substance
La cinétique de délivrance de la nicotine d’Iqos est comparable à celle de la cigarette. « Mais l’absence de combustion modifie l’aérosol du produit, assure Karim Tifratene. Les travaux sur la chimie de l’aérosol réalisés par Philip Morris Science, ainsi que de nombreuses études indépendantes, ont montré une réduction moyenne d’environ 90 % des concentrations en composés toxiques. Une étude clinique américaine menée sur 500 fumeurs adultes ayant continué de fumer et 500 fumeurs passant au tabac chauffé a par ailleurs mis en évidence, au bout de six mois, une amélioration significative de cinq biomarqueurs associés aux complications du tabagisme. » La réduction des concentrations en composés toxiques est corroborée par une étude in vitro réalisée dans le cadre du programme scientifique Impact de l’environnement chimique sur la santé humaine (Impecs) à l’université de Lille (Nord). « Afin de mesurer et de comparer la toxicité des aérosols induits par le tabac chauffé, la cigarette électronique et la cigarette classique, nous avons travaillé sur une lignée de cellules épithéliales bronchiques humaines que nous avons exposées aux émissions d’aérosols via une machine à fumer, confie Sébastien Anthérieu, professeur de toxicologie à l’université de Lille. Nous avons observé une réduction de l’ordre de 80 à 90 % de certaines substances toxiques [dans le tabac chauffé, NdlR] par rapport à la cigarette classique. Mais la cigarette électronique contient 90 % de composés toxiques en moins que le tabac chauffé. »
Pas une alternative aux substituts nicotiniques
Cependant en l’absence d’études in vivo sur le long terme, il est pour l’heure impossible d’associer la diminution des composés toxiques à une réduction des risques sur la santé. « D’abord, parce que l’argument de l’absence de combustion ne tient pas, estime Nicolas Bonnet, pharmacien de santé publique et directeur du Réseau des établissements de santé pour la prévention des addictions (Respadd). Lorsque vous chauffez à + 350 °C en mode pyrolyse, vous générez des substances toxiques et cancérigènes. » L’étude Impecs semble confirmer ses propos. « Nous avons démontré que les aérosols d’Iqos induisaient du stress oxydant, des inflammations et certaines lésions oxydatives au niveau de l’ADN qui pourraient potentiellement poser problème, note Sébastien Anthérieu. On retrouve en effet, dans les aérosols d’Iqos, des composés carbonylés ou des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) tels que l’acétaldéhyde, le formaldéhyde ou le benzo [a] pyrène… Certes en plus petites quantités, mais ils présentent tous un risque par rapport à des mécanismes de cancérogenèse. Nous avons aussi trouvé de l’hexanal et du benzo [c] phénanthrène en plus grande quantité que dans la cigarette classique. Sur le plan scientifique, il faudra donc de nombreuses études in vivo pour évaluer l’impact sur la santé. » Son équipe s’apprête d’ailleurs à lancer un projet de recherche financé par l’Institut national du cancer (INCa) qui consistera à étudier sur un modèle de souris l’impact d’une exposition réitérée au tabac chauffé, à la cigarette électronique et à la cigarette classique.
Philip Morris est sur la même longueur d’onde. « Ce n’est pas parce que vous réduisez les expositions aux composés toxiques que vous diminuez automatiquement d’autant les risques, reconnaît Karim Tifratene. Ce produit reste nocif, et il n’a pas vocation à concurrencer le sevrage tabagique. Il s’adresse à une population d’adultes fumeurs à qui l’on propose une alternative qui évite la combustion et diminue de manière significative les émissions de composés toxiques. Nous sommes d’ailleurs les premiers à souhaiter que les risques pour la santé individuelle et la santé publique soient évalués par des études indépendantes. Ce sera à la communauté scientifique et aux autorités de santé de déterminer la place éventuelle du tabac chauffé dans le parcours du fumeur. »
Transfert de dépendance
En attendant, les acteurs de la lutte antitabac tirent déjà la sonnette d’alarme. « Avec le tabac chauffé, l’industrie du tabac est en train de transférer la dépendance des fumeurs d’un modèle à un autre, car le mode de délivrance de la nicotine va maintenir, voire renforcer l’addiction des utilisateurs », estime Nicolas Bonnet. Pour Karine Gallopel-Morvan, professeure des universités en marketing social à l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), ce positionnement sur la diminution des composés toxiques relève même de la pure stratégie marketing. « Cela fait maintenant plusieurs années que les industriels du tabac essayent de redorer leur image en développant de nouveaux produits censés être moins dangereux pour la santé, explique-t-elle. En s’appuyant sur ce seul argument de la réduction de 90 % des substances toxiques, sans aller plus loin pour ne pas s’exposer à la loi sur les publicités mensongères, les industriels misent sur le fait que les gens vont inconsciemment associer ce chiffre à une diminution des risques. C’est très malin, mais cela ne doit tromper personne. Ils avaient procédé de la même manière dans les années 1970 avec les cigarettes légères, avec des messages ambigus assurant qu’elles contenaient moins de goudron et de nicotine. Ce qui pouvait laisser à penser qu’elles étaient moins dangereuses. On le sait aujourd’hui, cela s’est avéré totalement faux. » Pour cette spécialiste du marketing social, la réalité est tout autre. « Dans un contexte de baisse généralisée de la consommation de tabac, cette stratégie cache une volonté de maintenir sous dépendance des fumeurs qui auraient pu essayer d’arrêter de fumer, et d’attirer une clientèle de jeunes CSP + », conclut Karine Gallopel-Morvan.
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