• Accueil
  • Législation
  • Justice
  • Androcur : un pharmacien condamné pour défaut d’information, une première judiciaire
Androcur : un pharmacien condamné pour défaut d’information, une première judiciaire

© Getty Images/iStockphoto

Androcur : un pharmacien condamné pour défaut d’information, une première judiciaire

Réservé aux abonnés
Publié le 3 juin 2025 | modifié le 4 juin 2025
Par Christelle Pangrazzi
Mettre en favori
Jurisprudence inédite. Le tribunal civil de Poitiers a, pour la première fois en France, reconnu la responsabilité de trois laboratoires pharmaceutiques dans l’apparition de méningiomes liés à la prise prolongée d’Androcur. Une décision sans précédent qui pourrait faire boule de neige.

C’est une première judiciaire majeure dans le paysage du droit pharmaceutique français. Le 7 février 2025, le tribunal de Poitiers (Vienne) a condamné trois laboratoires pharmaceutiques (Bayer, Sandoz et Viatris) à indemniser une patiente de 55 ans victime de méningiomes après plus de vingt ans de traitement à base d’acétate de cyprotérone (Androcur et génériques). Une décision inédite, qui établit pour la première fois au civil la responsabilité conjointe de trois laboratoires pour défaut d’information, aux côtés du médecin et du pharmacien de la plaignante.

Les laboratoires, reconnus responsables à 97 %, ainsi que le médecin (2 %) et le pharmacien de la victime (1 %), ont été solidairement condamnés à verser environ 325 000 euros à la plaignante, dont 20 000 euros au titre du préjudice moral et 305 000 euros pour la perte de chance.

« C’est une grosse victoire », a réagi la patiente auprès de l’AFP, saluant un jugement qui impute l’essentiel des responsabilités aux industriels. 

Un risque connu dès 2008, mais communiqué trop tard

Entre 1991 et 2013, la patiente a pris successivement Androcur puis ses génériques pour traiter un syndrome des ovaires polykystiques. Diagnostiquée en 2013, elle souffre de plusieurs méningiomes, tumeurs cérébrales bénignes, mais pouvant entraîner de lourdes séquelles neurologiques.

Selon le tribunal, le lien entre l’acétate de cyprotérone et les méningiomes était documenté scientifiquement dès 2008, mais n’a été intégré à la notice du médicament qu’en 2011. Pire, cette modification n’a été communiquée qu’aux spécialistes, excluant médecins généralistes et pharmaciens.

Publicité

Sandoz et Viatris, pour leur part, n’ont modifié la notice de leurs génériques qu’après 2013, soit après le diagnostic de la plaignante, ce que les juges ont considéré comme un manquement manifeste à leur obligation d’information.

Un jugement aux effets systémiques

« Les laboratoires avaient les moyens de communiquer sur des effets secondaires graves, invalidants et irréversibles, qu’ils connaissaient depuis 2008 », dénonce Me Romain Sintès, avocat de la patiente. Pour Me Charles Joseph-Oudin, représentant l’association Amavea (Association méningiomes dus à l’acétate de cyprotérone, aide aux victimes et prise en compte des autres molécules), il s’agit d’une décision essentielle qui ouvre la voie à une série de recours : 750 dossiers sont en cours de constitution, dont une centaine déjà engagés.

En parallèle, des plaintes pénales ont été déposées à Paris, et une procédure devant le tribunal administratif de Montreuil vise à engager la responsabilité de l’État.

Bayer annonce un appel

Le groupe Bayer, qui conteste fermement la décision, a annoncé son intention de faire appel. Le laboratoire affirme que ce jugement va « à rebours des expertises techniques » et rejette la responsabilité sur l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qu’il accuse d’avoir tardé à modifier les autorisations de mise sur le marché.

Mais pour les juges de Poitiers, l’argument ne tient pas. Le devoir d’information est autonome, et ne dépend ni des décisions de l’ANSM ni de la chronologie réglementaire. Ce jugement pourrait donc faire évoluer en profondeur la jurisprudence sur la pharmacovigilance.

Vers un précédent Androcur ?

Prescrit dès les années 1980 pour l’acné, l’hyperpilosité, l’endométriose ou comme contraceptif, Androcur a concerné des milliers de patientes. Selon l’ANSM, une prise prolongée à fortes doses multiplie par 20 à 25 le risque de méningiome. Depuis la publication d’un rapport en 2018, les prescriptions ont chuté de plus de 70 %.

En reconnaissant la faute des laboratoires sur le terrain civil, ce jugement installe un précédent juridique, au potentiel structurant. Il impose une responsabilité renforcée des titulaires d’AMM et de leurs génériqueurs sur les effets secondaires graves, même lorsqu’ils sont connus de façon progressive et hors des procédures d’alerte officielles.

Sur le même sujet…
UDGPO : « Le tout honoraire serait un suicide pour la profession »
Les baisses de TFR et de prix annulées dix jours après leur entrée en vigueur
Génériques : « À présent aux industriels de jouer le jeu »