Votre rémunération sous pression

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Publié le 7 septembre 2019 | modifié le 13 septembre 2025
Par Francois Pouzaud
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Chercherait-elle à remettre les compteurs à zéro ? L’Assurance maladie considère que la rémunération officinale va «   surperformer   » fin 2020 sur les honoraires pour médicaments spécifiques et souhaite reprendre au réseau cet excédent dès le début de l’année prochaine. Tandis que d’autres signes de tension se font jour.

L’annonce, fin août, de Nicolas Revel aux syndicats pharmaceutiques promet une rentrée piquante. En effet, le directeur général de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) menace de reprendre l’excédent d’honoraires de dispensation pour médicaments spécifiques ajouté in extremis en décembre 2018 à la demande des syndicats. Leurs contrôles avaient permis de démontrer que plusieurs centaines de médicaments manquaient à la liste éligible à cet honoraire mis en place en janvier. Un « excédent » non négligeable dont le montant, dans l’hypothèse où les choses resteraient en l’état, sera de 130 à 150 M€ à fin 2020 selon les prévisions de l’Assurance maladie.

Un syndicat tire la sonnette d’alarme…

S’il n’y a encore eu ni annonce officielle ni arbitrage ministériel, mieux vaut prévenir que guérir. Pour Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), «   il n’est pas possible de maintenir ce cap et il faut envisager des mesures correctives   ». Il ne conteste cependant pas que la rémunération liée aux honoraires spécifiques pourrait être plus importante que prévu. « Je suis à peu près d’accord sur son chiffrage mais pas avec les conséquences que Nicolas Revel compte en tirer. » D’autant que Philippe Besset persiste à dire, à propos de l’avenant n° 11 à la convention nationale pharmaceutique de juillet 2017, que le compte n’y est pas. « On ne peut parler des honoraires sans évoquer l’impact des baisses massives de prix sur la marge, la baisse de la rémunération sur objectif de santé publique (ROSP) des génériques, la suppression du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE)… »

… l’autre souhaite négocier avec l’Assurance maladie

Voilà une annonce de l’Assurance maladie qui met Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), dans l’embarras. Juste après celle du déremboursement de l’homéopathie, qui perdra son honoraire à la boîte pour un coût de 135 M€. « L’USPO s’oppose à toute mesure remettant en question l’accord conventionnel signé avec l’Assurance maladie en juillet   2017, annonce-t-il. Je vais faire des propositions constructives en faveur de la profession, dans le cadre conventionnel et dans le prolongement de l’avenant déjà signé et faire en sorte que l’addition soit moins lourde que prévu. »

Afin de contrer une modification arbitraire de l’arrêté de marge qui est l’autre voie possible pour reprendre au réseau officinal l’excédent d’honoraires, Gilles Bonnefond souhaite ouvrir rapidement la négociation conventionnelle avec l’Assurance maladie. « Je ne m’estime pas mandaté pour signer un quelconque avenant portant sur la baisse des ressources des pharmaciens », avertit Philippe Besset, également opposé à une modification de l’arrêté de marge. Et le fera savoir à Agnès Buzyn, ministre de la Santé, lors de la prochaine commission des comptes de la Sécurité sociale.

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La signature d’un seul des 2 syndicats suffit pourtant pour rendre applicable un nouvel avenant. « Les enjeux sont énormes, l’unité est obligatoire », rappelle le président de la FSPF, voyant venir depuis quelque temps l’intention du gouvernement de reprendre de la main gauche ce qui a été donné de la main droite. La réunion du 2 octobre de l’ensemble des instances professionnelles pourrait alors augurer une nouvelle bataille sur l’économie et un bras de fer avec l’Etat.

Sigles et chiffres cinglants

Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2020 s’annonce, quant à lui, « croquignolesque » avec, à la clé, probablement encore plus d’un milliard d’euros d’économies prévues sur les produits de santé. Mais, plus concrètement, c’est le paiement à l’acte des pharmaciens réalisant des tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) angine à compter du 1er janvier 2020 qui divise. Pour l’instant, Nicolas Revel propose 4,82 € TTC : 4 € pour l’acte, estimant le temps passé à la réalisation du TROD à 4 minutes, + 0,82 € pour le matériel, ce qui correspond au prix d’achat du test actuellement obtenu par l’Assurance maladie et mis à la charge du pharmacien. La FSPF demande 10 € et la fourniture du matériel par l’Assurance maladie et l’USPO 12 €, TROD compris. Une nouvelle proposition de Nicolas Revel est attendue le 10 septembre mais «   il nous a déjà prévenus qu’elle ne sera pas à la hauteur de nos espérances   », indique Philippe Besset.

Autre sujet qui fâche et pas des moindres : la mise sous tarifs forfaitaires de responsabilité (TFR) à compter du 1er novembre de la metformine, tous dosages et tous conditionnements confondus, décidée sans concertation par le Comité économique des produits de santé (CEPS). « Elle pénalise injustement l’économie de l’officine, les excellents taux constatés sur cette molécule (90,93 % pour le dosage 1   g, 87,98 % pour le dosage 850   mg et 95,82 % pour le dosage 500   mg) ne justifient pas une telle décision », proteste Philippe Besset. Une mesure arbitraire qui pourrait être lourde de conséquences : une perte supplémentaire de 1 M€ selon la FSPF, faisant passer l’impact des décisions prises lors du dernier comité de suivi des génériques sur la marge de l’officine à 47 M€. La FSPF et l’USPO ont appelé le président du CEPS à revenir sur sa décision.

Quelle monnaie d’échange ?

Gilles Bonnefond souhaite se servir de l’engagement des pharmaciens dans les nouvelles missions, de l’interprofessionnalité et de la coordination des soins comme monnaie d’échange avec l’Assurance maladie, dans l’espoir qu’elle revoie à la baisse le montant d’honoraires spécifiques à récupérer. «   C’est là où je peux discuter   », explique-t-il. Ces turbulences qui frappent l’avenant n° 11 pourraient-elles faire replonger les pharmaciens dans l’expectative et casser une dynamique déjà fragile sur les nouvelles missions ? C’est le risque, reconnaît Philippe Becker, directeur du département pharmacie du cabinet d’expertise Fiducial. « Aujourd’hui, la part des nouvelles missions est très symbolique dans le compte de résultat d’une officine, il est donc difficile pour des raisons économiques mais aussi organisationnelles de passer d’un modèle économique de dispensation à un modèle économique établi sur des services et des missions dont la valeur ajoutée n’est pas suffisamment reconnue. Ainsi, la pharmacie traditionnelle de proximité (par opposition à la mégapharmacie commerciale proposant des prix et des produits de parapharmacie) qui veut faire son métier correctement est pénalisée, c’est assez injuste », remarque cet expert-comptable.

Les dernières statistiques de Fiducial (voir Repères page   16) ancrent un constat : le réseau des officines se disloque de plus en plus et environ la moitié d’entre elles, correspondant aux plus petites, ont du mal à surmonter une crise liée à la baisse des prix et à la stagnation des volumes. D’où la volonté de Philippe Besset de signer avec l’Assurance maladie une rémunération spécifique en faveur des pharmacies les plus fragiles. En contrepartie de certaines missions, bien sûr. 

Source : statistiques de Fiducial réalisées à partir d’un échantillon représentatif de 527 pharmacies ayant clos leur exercice entre le 30 juin 2018 et le 31 décembre 2018.

•   Fin août, la Caisse nationale de l’assurance maladie a manifesté auprès des syndicats son intention de récupérer un excédent d’honoraires de dispensation pour médicaments spécifiques dont le montant pourrait s’élever entre 130 et 150 millions d’euros à fin 2020.

•   Les négociations sur la mission « TROD angine » sont pour l’instant bloquées à 4,82 € TTC, facturation du test comprise.

•   Les syndicats de titulaires ont demandé au Comité économique des produits de santé (CEPS) de revenir sur sa décision de mise en place d’un tarif forfaitaire de responsabilité (TFR) sur la metformine à compter du 1er novembre.

REPÈRES 

Par François Pouzaud – Infographie : walter barros