Sérialisation des médicaments : retard prévisible !

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Publié le 1 juin 2018
Par Francois Pouzaud
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Si la procédure semble simple, la mise en œuvre se révèle d’une complexité bien plus grande qu’il n’y paraît et représente, au-delà des enjeux stratégiques, à tous les niveaux de la chaîne de distribution, un vaste chantier informatique contraint par les délais du calendrier.

Le compte à rebours est lancé. À partir du 9 février 2019, les laboratoires pharmaceutiques devront respecter la directive « Médicaments falsifiés », 2011/62/UE, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain. Soit un pedigree « à la boîte » pour prévenir l’introduction de médicaments falsifiés dans la chaîne d’approvisionnement légale. Même si à ce jour, « il n’y a aucun cas connu de falsification dans la chaîne de distribution légale du médicament en France », fait remarquer Christelle Maréchal, directrice des Affaires européennes et relations extérieures du Leem. Les médicaments concernés par la sérialisation en France sont les médicaments soumis à prescription, sauf les médicaments homéopathiques, les gaz à usage médical, certains produits de contraste ou extraits d’allergènes.

SIMPLE en principe

Techniquement, la sérialisation consiste à attribuer à chaque boîte de médicament un numéro de série unique qui est imprimé sur la boîte (code Datamatrix). Ce numéro sera enregistré dans un système de stockage de données français pour être envoyé au répertoire européen (voir encadré cicontre). Les numéros de série de cette base de données européenne seront transmis dans le répertoire national de chaque pays. L’objectif : lutter contre la circulation de faux médicaments dans chaque territoire. L’enregistrement de ce numéro d’identité permet, lors de chaque transaction ou mouvement au sein de la chaîne d’approvisionnement, de tracer le cycle de vie du médicament, de sa conception à sa vente au patient.

« Si la dimension du projet est collective au niveau de l’ensemble des acteurs de la chaîne de distribution, l’installation du système de sérialisation en France est entièrement financée par les industriels du médicament. Ces derniers doivent également adapter leurs lignes de production, les connecter aux systèmes d’information, apposer un numéro de série sur les médicaments concernés ainsi qu’un dispositif antieffraction et, enfin, payer un droit d’accès au système européen qui centralise les données », précise Christelle Maréchal. Coût de l’investissement pour les entreprises du médicament : entre 100 000 et 400 000 € par ligne de produits.

QUEL CHANGEMENT au comptoir ?

Concrètement, lors de la dispensation au patient, le pharmacien devra désactiver l’identifiant unique et vérifier l’intégrité de chaque boîte délivrée. C’est bien en bout de chaîne que se situe le principal enjeu du numéro de série : sécuriser davantage le patient en lui délivrant un médicament ni périmé, ni contrefait, ni défectueux. La sérialisation apporte également la garantie que la boîte de médicament n’a pas déjà été vendue ou ne fait pas l’objet d’un rappel. En pratique, la désactivation/vérification du numéro de série se fera « en temps réel » au moment de la dispensation. Si tout est conforme, aucune alerte ne devrait apparaître à l’écran. Dans les autres cas, l’informatique indiquera que, selon, la boîte de médicament a déjà été vendue (par exemple, un médicament non utilisé recyclé), qu’il s’agit d’un médicament falsifié ou encore qu’il fait l’objet d’un retrait de commercialisation. Il est interdit de délivrer un médicament dont l’identifiant unique a été désactivé (sauf exceptions).

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Si la pharmacie est équipée d’un automate ou d’un robot, « le pharmacien ne sera pas, sauf dans le pire des cas, obligé de scanner manuellement les produits à la délivrance, ces derniers étant scannés au chargement », explique Olivier Résano, directeur commercial de Mekapharm. « Lors de chaque délivrance, le logiciel de l’automate ou du robot communiquera le numéro de série unique au LGO qui se connectera alors au système France MVS et/ou EMVS pour désactiver ce même numéro validé lors de la réception de la commande », poursuit notre interlocuteur.

ÇA BLOQUE au niveau des éditeurs

La sérialisation va demander une adaptation des logiciels officinaux pour procéder aux vérifications et avoir une interface de connexion au système de vérification de l’identifiant unique (NMVS). Mais ce dossier est politiquement bloqué au niveau des éditeurs de logiciels regroupés au sein de la Fédération des éditeurs d’informatique médicale et paramédicale ambulatoire (FEIMA). Les travaux à réaliser achoppent sur le financement, le nerf de la guerre. « La prise en charge de la sérialisation s’arrête à l’entrée de la pharmacie. Or ce n’est ni aux pharmaciens ni aux éditeurs de LGO d’en supporter le coût », estime Denis Supplisson, directeur général délégué de Pharmagest, en charge de la division pharmacie Europe et vice-président de la FEIMA, et responsable du collège pharmaciens. « Un coût estimé à 200 jours homme », précise-t-il pour la partie développement, sans compter les hausses de frais de maintenance à prévoir en cas de panne du système. « Si le serveur central ne répond pas, le pharmacien va s’adresser à son éditeur, pas à l’industriel, d’où des coûts de support téléphoniques », explique-t-il. « Le règlement délégué UE dit que tout est à la charge de l’industrie y compris le coût de la connexion à France MVS, sauf les scanners », complète Philippe Besset, vice-président de la FSPF. Faute d’entente avec les industriels, « nous n’avons intégré à ce jour aucun développement sur la sérialisation dans nos plannings de travail », ajoute le viceprésident de la FEIMA, affirmant que les officines ne seront pas prêtes pour le 9 février 2019.

France

Rouages de la sérialisation

L’écosystème global de la sérialisation repose sur la mise en place d’un organe de gouvernance au niveau européen (appelé EMVO, European medicines verification organisation) et d’organes de gouvernance nationaux dans chaque état membre (NMVO, National medicines verification organisation), chargés de gérer, respectivement, le système au niveau européen (hub européen appelé EMVS European medicines verification system) et celui de chaque état membre (NMVS, National medicines verification system).

Le LEEM, pour les princeps, le GEMME, pour les génériques, et le LEMI, pour les importateurs parallèles, ont décidé de confier la mission du NMVO au CIP (le Club inter pharmaceutique qui est à l’origine de la codification des médicaments – codes CIP et UCD – et de l’utilisation du Datamatrix pour la traçabilité) au sein duquel a été créé France MVO, l’organe de gouvernance national. Sa responsabilité est de mettre en place, d’administrer et d’assurer la sécurité des données stockées et de faire fonctionner le système de vérification français appelé France MVS.

L’ESSENTIEL

→ Le 9 février 2019 seront mises en application les règles européennes relatives à la lutte contre la falsification des médicaments à usage humain.

→ Ces règles reposent sur la mise en place d’un dispositif antieffraction et d’authentification à apposer sur les conditionnements de médicaments soumis à prescription.

→ Les données de sérialisation seront véhiculées via un système européen impliquant des data nationales interopérables au hub européen.

→ La désactivation de l’identifiant unique se fait en temps réel au comptoir lors du scannage de la boîte. Le pharmacien peut être dispensé d’utiliser la « douchette » en cas d’automatisation du stock.

1 sur 10

c’est la proportion de médicaments falsifiés vendus dans le monde.

Sérialisation, est-ce bien utile ?

Philippe besset doute de l’utilité de cette directive. « Le contrôle aurait été plus judicieux au moment de la réception de la commande en amont. Par contre, il devra être transparent au moment de la dispensation, sans entraîner de surcharge de travail pour le pharmacien. »

130 000

C’est à peu près le nombre de médicaments qui ont été saisis par les douanes françaises en 2017.

Source : Ministère de l’Action et des Comptes publics