LA PROFESSION PRISE AU PIÈGE

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Publié le 10 octobre 2015 | modifié le 26 juin 2025
Par Francois Pouzaud
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Lors de contrôles sur l’affichage des prix des médicaments en officine, la DGCCRF a remis en cause la perception des honoraires de dispensation sur les médicaments à prescription médicale facultative hors ordonnance. Conséquence d’une réforme inachevée, la profession se trouve faceà une bombe à retardement. Comment la désamorcer ?

D’Ile-de France à PACA en passant par Rhône-Alpes, des pharmaciens se sont vus reprocher des manquements aux règles d’affichage des prix en vigueur depuis le 1er juillet dernier, suite à des contrôles locaux des services de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Mais ce n’est pas tout. Certains d’entre eux se sont faits épinglés pour avoir facturé des honoraires pour des médicaments remboursables à prescription médicale facultative achetés sans ordonnance. C’est le cas d’une adhérente du syndicat UNPF installée en Seine-et-Marne, contrôlée début septembre et avertie de manquements relevés dans sa pharmacie. « J’ai été très surprise par les observations écrites de l’inspecteur qui m’ont été adressées fin septembre, déclare-t-elle. Pour l’affichage des prix, je dispose d’étiquettes électroniques et sur Doliprane, j’ai continué d’appliquer le prix pratiqué antérieurement, sans avoir le sentiment d’avoir surfacturé une vente sans ordonnance. »

Une faille dans le dispositif

Pourtant, l’affaire était entendue pour la FSPF, seule signataire de l’avenant conventionnel sur la nouvelle rémunération et le ministère de la santé. Sur le site medicaments.gouv.fr, il est indiqué que les honoraires s’appliquent à l’ensemble des médicaments remboursables, prescrits ou non. Mais visiblement, la DGCCRF qui dépend du ministère de l’Économie a une lecture stricte du texte conventionnel. Elle précise que deux conditions sont nécessaires pour l’application des honoraires de dispensation : des médicaments remboursables et l’exécution d’une prescription. Pour la FSPF, c’est ni plus ni moins du « harcèlement administratif » à l’égard des pharmaciens. « Les honoraires sont dus dans les deux cas, et cela figure en toutes lettres dans le préambule de l’avenant conventionnel, souligne Philippe Gaertner, président de la FSPF. Par contre, si le pharmacien ne précise pas qu’il tarifie des honoraires en dehors de la délivrance d’une ordonnance et ne l’affiche pas, on peut lui en contester l’application ». Reçue le 6 octobre dernier par Etienne Chantrel, conseiller en charge des réformes structurelles et de la concurrence au cabinet du ministre de l’Économie, l’UNPF a profité de la présence de plusieurs représentants de la DGCCRF à cette rencontre pour s’enquérir de la bonne conduite à adopter. « Le pharmacien doit écrire dans son catalogue qu’il perçoit une marge complémentaire équivalente au montant des honoraires et l’afficher dans sa pharmacie », rapporte de cette réunion Éric Myon, vice-président de l’UNPF. Ce flou artistique n’avait pas échappé à ce syndicat qui avait dès décembre 2014 alerté sur l’absence de garantie juridique concernant les modalités d’application des honoraires pour les ventes directes sans ordonnance et demandé un moratoire sur sa mise en place le temps que les garanties nécessaires soient prises et qu’il soit complètement intégré dans les prix des médicaments. « Ce que nous craignions, au moment des négociations, apparaît clairement aujourd’hui, les pouvoirs publics ont créé les conditions pour faire baisser les prix des médicaments, faire le jeu des discounters et réduire les marges des pharmaciens », rappelle-t-il. Pourtant, « en signant l’arrêté d’approbation à la convention nationale pharmaceutique introduisant les honoraires à la boîte en décembre 2014, les ministères de l’Économie, des Finances et de la Santé s’étaient engagés à satisfaire la demande de mise en cohérence des textes règlementaires exprimée par les partenaires conventionnels, rappelle Philippe Besset, vice-président de la FSPF. Aujourd’hui, ces modifications se font toujours attendre, alors que la DGCCRF a mis en route des procédures de contrôle des prix en officine suite à la disparition de la vignette. »

Comment sortirdu guêpier ?

Face à cet imbroglio, la situation doit être clarifiée au plus vite sur le plan juridique. La FSPF annonce que le gouvernement va déposer prochainement un amendement lors des débats à l’Assemblée nationale sur le projet de loi de modernisation du système de santé. « Nous ne connaissons pas encore la teneur du texte mais il devrait permettre la perception de l’honoraire de dispensation sans ordonnance », reconnaît Philippe Besset. De son côté, Gilles Bonnefond, président de l’USPO, propose que les honoraires soient inclus dans l’arrêté fixant la marge sur les médicaments, « sinon il restera un facteur de fragilité pour la profession car la DGCCRF cherche à introduire des zones de concurrence partout, y compris sur les prix réglementés. » Enfin, l’UNPF a questionné la DGCCRF pour savoir comment mettre fin à cette situation. « Selon elle, il faudrait a minima signer un nouvel avenant mais cela ne suffirait pas, il devrait être complété par une modification du Code de la santé publique », rapporte Éric Myon. Mais pour lui, tant qu’à signer un nouvel avenant, « autant en profiter pour passer à un autre mode de rémunération plutôt que de s’épuiser à préserver un honoraire à la boîte aujourd’hui fortement décrié par la base ». Quant à Pascal Louis, président du collectif des groupements CNGPO, il n’y a pas lieu à débat. « Le changement de la rémunération était prévu à périmètre constant, donc sur le champ du remboursable et non du remboursé. De plus, les honoraires de dispensation se justifient d’autant plus que le médicament est délivré sur le conseil du pharmacien. » En attendant l’épilogue, le plus sûr pour le pharmacien est de respecter à la lettre les règles d’affichage des prix en vigueur depuis le 1er juillet 2015 et de bien informer les consommateurs sur la facturation des honoraires des médicaments sans ordonnance.

Les règles d’affichageà respecter

Depuis le 1er juillet 2015, ces règles sont les suivantes :

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• Médicaments exposés à la vue du public : affichage visible et lisible du prix

• Médicaments non exposés à la vue du public : étiquetage ou catalogue mis à jour à chaque changement de prix et au moins une fois par mois

• Libre accès : étiquetage ou affichage visible et lisible du prix

• Honoraires avec ou sans ordonnance: le montant des honoraires, différencié du prix margé, doit être visible et lisible, affiché en regard de chaque médicament remboursable ou mentionné dans le catalogue.

Un justificatif de paiement doit être remis au patient. Il précise: le nom de l’officine, la date d’achat, le nom et la quantité de médicament délivré, le prix TTC, et le montant des honoraires. Une affichette doit être apposée sur la porte de l’officine et à proximité des caisses. Elle reprend le texte prévu par l’arrêté du 28 novembre 2014. Le non-respect de ces règles peut donner lieu à l’application des sanctions pour pratique commerciale trompeuse: une amende de 300 000 euros et de 2 ans d’emprisonnement.

Anne-Charlotte Navarro