ORDONNANCES COMPLEXES : SORTONS LES KLEENEX

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Publié le 5 septembre 2015
Par Loan Tranthimy et Francois Pouzaud
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Face aux baisses de prix massives, la nouvelle rémunération ne fait pas le poids. Et il ne faut pas compter sur les honoraires prévus pour les ordonnances complexes. Ils ne limitent pas du toutla casse. Tels sontles principaux enseignements d’une étude réalisée par OffiSanté auprès de 1 700 officines.

Le nouveau mode de rémunération compense-t-il les pertes subies par l’officine en raison des baisses de prix industriel des médicaments ? Pour le savoir, OffiSanté, société spécialisée dans l’accompagnement des officines, a analysé un panel représentatif de 1 700 pharmacies en intégrant les nouveaux paramètres de la marge dégressive lissée (MDL) et les baisses de prix publiées au Journal officiel*. Résultats ? S’il n’y avait pas les baisses de prix des médicaments remboursables, les effets du nouveau mode de rémunération après six mois d’application seraient « positifs » : « 94 % des pharmacies sont gagnantes, avec une hausse de rémunération moyenne de 1 552 € par pharmacie », explique Nicolas Buglio, directeur associé d’OffiSanté.

Mais cette moyenne cache des écarts importants. Une officine (située à proximité d’un hôpital d’une grande ville, délivrant beaucoup de traitement anticancéreux et anti-VIH) peut ainsi perdre jusqu’à 16 000 euros et une autre (de centre commercial de ville moyenne avec peu d’ordonnances) gagner plus de 11 000 euros. Au final, OffiSanté a identifié 6 % d’officines perdantes dès le début, qui ont comme caractéristique commune d’être particulièrement exposées aux produits chers, pour lesquelles la disparition de la dernière tranche de MDL entraîne une perte de marge significative. Pour Nicolas Buglio, « le changement du mode de calcul était donc calibré pour que le résultat soit à la fois gagnant pour l’immense majorité et à la fois économiquement neutre. C’est totalement ce que l’on constate ».

Reste que, dans la vraie vie, cette réforme ne peut se concevoir sans tenir compte d’autres facteurs comme les baisses de prix. Ainsi, en intégrant les baisses de prix publiées au Journal officiel, « l’impact des baisses de prix sur la marge est très négatif pour 99,6 % des pharmacies », indique OffiSanté. « En moyenne, par l’unique fait des baisses de prix, les officines accusent une baisse de marge de 4 857 € sur le premier semestre 2015, souligne Nicolas Buglio. Au final, en conjuguant à la fois réforme et baisses de prix, l’étude montre que chaque officine perd en moyenne 3305 euros sur le premier semestre 2015 par rapport à la même période de 2014. »

Des chiffres qu’il convient de relativiser

Mais les conclusions de cette étude ne s’arrêtent pas là. Elles révèlent une autre faiblesse de la réforme : l’insuffisance des honoraires par ordonnance complexe pour compenser les baisses de prix ciblés. Rappel : cette rémunération liée à l’ordonnance complexe (5 lignes et plus) a été créée pour ne pas pénaliser les pharmacies ayant un nombre important de patients chroniques soignés par des produits chers dont la marge a été dépréciée par le nouveau mode de rémunération. Or, les baisses de prix décidées par le Comité économique des produits de santé (CEPS) pour engranger les économies prévues dans la loi de financement de la Sécurité sociale 2015 ont porté prioritairement sur ce type de médicaments. « On observe l’effet inverse de celui recherché, les pharmacies qui bénéficient le plus des honoraires pour ordonnances complexes sont aussi celles les plus touchées par les baisses de prix massives », rapporte Nicolas Buglio.

Sur le premier semestre 2015, les 10 % d’officines qui delivrent le plus d’ordonnances complexes ont perdu 4 800 € en moyenne contre 2 400 € pour les autres, du seul fait des baisses de prix, lesquels ont concerné beaucoup des molécules prescrites dans des pathologies chroniques très répandues (HTA, diabète, cholestérol…). OffiSanté relativise en indiquant que « les ordonnances complexes pèsent 1 % de la rémunération du pharmacien. C’est donc une valeur d’ajustement marginale par rapport à des baisses de prix qui sont beaucoup plus importantes en valeur. On n’est pas sur les mêmes ordres de grandeur », explique Nicolas Buglio. Et de préciser que chez les 10 % de pharmacies de l’échantillon délivrant le moins d’ordonnances complexes, le gain tiré de ces honoraires s’élève à 360 € en moyenne par officine.

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Les syndicats veulent renégocier rapidement

Peu importe, ces résultats sont loin d’être réjouissants pour la profession à quelques semaines de l’annonce du plan d’économies de la Sécurité sociale pour 2016 (le fameux PLFSS). Seule signataire de la réforme de la rémunération, la FSPF, syndicat majoritaire, martèle une nouvelle fois sa position. Elle affirme que « le changement du mode de la rémunération reste favorable par rapport à l’ancien », même si « la réforme ne permet pas de compenser les baisses de prix industriels ». « Les baisses de prix ciblent tous les médicaments et les patients chroniques consomment 80 % des médicaments », reconnaît Philippe Gaertner, président de la FSPF, qui avoue ne pas avoir encore reçu « d’alerte sur la faible compensation apportée par les honoraires pour ordonnance complexe. » Il explique : « Nous allons être attentifs sur ce point. Comme l’année dernière déjà, après l’annonce du PLFSS 2015, nous allons demander un rééquilibrage – rapidement, sans attendre les résultats des élections professionnelles – suite aux effets collatéraux de ces baisses de prix sur l’officine. »

Cette position reste insuffisante aux yeux des deux autres syndicats, USPO et UNPF, non signataires de la réforme de la rémunération. Pour Gilles Bonnefond, président de l’USPO, les résultats dévoilés par OffiSanté corroborent toutes ses craintes. « Si on passe à l’étape de 2016 avec quelques petits réaménagements, alors on mettra en péril entre 3 000 et 4 000 officines qui ne sont pas forcément celles que les pouvoirs publics considèrent en surnombre », prévient-il.

L’UNPF est sur la même longueur d’onde. « La réforme prévoit un plafond de la marge à partir de 1 500 euros. Or l’augmentation de vente de cette tranche est de 86 % pour les médicaments de plus 1 500 euros et de 160 % pour ceux à plus de 2 000 euros. C’est une mauvaise réforme », considère Jean-Luc Fournival, président de l’UNPF. Ce dernier se dit aussi « inquiet » pour la prise en charge des patients chroniques, appelés à augmenter dans l’avenir. « Le pharmacien ne pourra pas assurer pleinement son rôle dans cette prise en charge tant que l’économie de son officine ne le lui permet pas », déclare-t-il. Tout comme l’USPO, il plaide pour une reprise rapide des négociations sur une nouvelle rémunération qui tient compte de la mutation de la profession.

A deux semaines de la présentation des chiffres consolidés par la CNAMTS du premier bilan de la nouvelle rémunération, plusieurs collectifs de pharmaciens (Ma Pharmacie ne fermera pas, Pigeons Pharmaciens…) appellent déjà la profession à une nouvelle mobilisation (lire l’article ci-dessous).

* Méthodologie de l’étude d’OffiSanté : le calcul de marge est réalisé à partir des données de ventes détaillées de chaque officine. L’impact est calculé à activité constante sur la base des ventes du premier semestre 2015 de chaque officine. L’étude a été menée en avril 2015 et réactualisée à la fin du semestre en août 2015.

REPÈRES

Janvier 2015

Mise en place de la nouvelle rémunération.

Septembre 2015

Réunion de l’observatoire sur la rémunération.

Juillet et août en berne

Les dernières données communiquées pour le seul mois de juillet par lMS Pharmastat sont loin d’être réjouissantes. Après une perte de marge de 52 millions d’euros au premier semestre 2015 par rapport au premier semestre 2014, le réseau accuse une perte de marge de 21 millions d’euros en juillet 2015 par rapport à 2014, soit une baisse de 4,48 %. Pour ce mois, les chiffres montrent plusieurs phénomènes : une baisse des unités vendues (- 3,23 %), une baisse des ordonnances (- 1,95 %) et, surtout, une baisse pour la première fois des ordonnances de 5 lignes et plus (- 4,04 %). Selon l’UNPF, les chiffres du mois d’août s’annoncent également « catastrophiques ». Reçue le lundi 31 août au ministère de la Santé, la FSPF rappelle que le syndicat continue à alerter les pouvoirs publics sur la répercussion des baisses de prix sur l’économie officinale. « Cette répercussion va se prolonger au travers du PLFSS 2016 avec un ONDAM à 1,75 %, déclare Philippe Gaertner, président de la FSPF. Au-delà des points de réglage à mettre en place rapidement pour la rémunération, nous devons avancer sur d’autres sujets, comme la ROSP génériques. »

L.T.