Comment assigner des doses à résidence

Réservé aux abonnés
Publié le 10 octobre 2009 | modifié le 30 août 2025
Mettre en favori

A Clisson, les pharmacies se sont mises d’accord pour partager une machine à reconditionner et pour cosigner une convention avec l’EHPAD. Cette solution, dont les pharmaciens n’avaient pas vraiment le choix, évitera en tout cas des dissensions locales ainsi qu’une fuite du marché vers Nantes ou la Vendée.

N ous n’en voulions pas ! Alors nous y sommes allés, mais à nos conditions », reconnaît Vincent Méneux, titulaire, à Clisson, de la Pharmacie de la place Saint-Jacques depuis six ans. L’histoire remonte au 1er octobre 2007, quand Sylvette Rapicault prend la direction de la résidence Jacques-Bertrand, un EHPAD (établissement hébergeant des personnes âgées dépendantes) public de 55 lits. D’emblée, elle commande un audit, dont le point noir s’avérera être l’infirmerie. « Trop d’heures d’infirmières, du matériel obsolète, des risques d’erreurs et d’hygiène dus aux manipulations…, explique Sylvette Rapicault. Or, lors de mes précédents postes, j’ai observé les avantages d’un système de préparation des doses à administrer. » A la résidence Jacques-Bertrand, c’était souvent une résidente qui allait chercher l’ensemble des médicaments à la pharmacie…

Un premier appel aux pharmaciens locaux reste sans réponse. Le projet parvient rapidement sur le bureau de Jean-Pierre Coudrais, fraîchement élu à la tête de la ville et président du Centre communal d’action sociale, gestionnaire de la résidence. Sylvette Rapicault argumente auprès de l’édile. Un nouvel appel d’offres, élargi cette fois, est lancé. Des pharmaciens nantais et vendéens se positionnent… Apparemment convaincu, le maire revient vers les pharmacies clissonnaises.

Rédaction d’une convention entre les pharmaciens et la résidence

« Aucune convention n’existait à ce jour. C’était la jungle. J’avais même lu dans la presse que deux officines avaient été condamnées au pénal à ce sujet », rappelle Vincent Méneux, qui, comme ses confrères, aurait aimé obtenir une rémunération pour un acte supplémentaire. « Ce sera du boulot en plus. Intrinsèquement, ce n’est pas notre rôle. On s’aventure en terrain marécageux et je ne suis pas sûr que cela perdure », grogne Paul Mériau, titulaire de la Pharmacie des Halles depuis 25 ans. « Nous avons accepté le principe à condition que les résidents conservent leur libre choix. J’ai contacté l’ordre régional, qui ne s’est pas opposé au projet », indique Vincent. Mais aucun document écrit n’atteste cet engagement. Restait à notifier une convention. Pour ce faire, la directrice de la résidence s’inspire de ce qui se fait dans les départements voisins. Une première mouture circule entre les pharmaciens, est relue par la DDASS et finit à l’inspection régionale de la pharmacie, qui la peaufine pour être validée par la préfecture et se rapprocher de la probable future convention nationale qui devrait être officialisée en 2010 ou 2011.

Composé de 14 articles, le document officiel a été signé pour cinq ans, le 15 juillet dernier, pour une mise en service le 1er septembre. Solution retenue, après appel d’offres : celle de Manrex, fournisseur de matériels. Selon l’accord conclu entre les parties, la résidence prend en charge l’investissement de 7 000 euros (financé par la DDASS) pour les supports muraux et le matériel d’acheminement. Somme à laquelle s’ajoutent 2 000 euros par an de consommables, habituellement financés par les pharmaciens, lesquels ont, cette fois, réussi à négocier. Pour la première année du moins…

Publicité

« Pour nous, cela représente 4 à 5 % du chiffre d’affaires »

La Pharmacie de la place Saint-Jacques et celle des Halles se partagent les résidents et l’achat du matériel de préparation et de distribution (presse, plateau à charger les alvéoles, distributeur aluminium), soit 2 436 euros. « Et nous prenons en charge le temps de préparation, précise Vincent Méneux. Pour 30 résidents, cela représente l’équivalent de deux jours à temps plein par mois. J’ai failli recruter une assistante. Mon comptable me l’a déconseillé. Pas assez rentable. Tant pis, je le ferai entre midi et deux. » Lui… ou les quatre autres employés de la pharmacie formés par Manrex pour utiliser les logiciels, les protocoles et la presse à conditionner. Aussi minime soit-elle, cette activité représente 3 % du CA de l’officine, dont l’activité repose à 73 % sur le vigneté, à 16 % sur le médicament conseil et 11 % sur la para. « C’est négligeable, confesse Paul Mériau. Pour nous, cela représente 4 à 5 % du chiffre d’affaires. Mais, d’un point de vue strictement économique, ce système de conditionnement est négatif ! »

Pour la résidence, qui en a profité pour réaménager son infirmerie, le gain se mesure davantage en temps. Outre la mise en oeuvre de la traçabilité, l’amélioration de la sécurité et de l’hygiène, la directrice estime gagner 4 à 5 heures par semaine. Du temps que les 3 infirmières pourront mettre à profit pour améliorer le confort des résidents.

Concrètement, chaque résident – ou sa famille – a été consulté par courrier pour le choix de l’officine. L’EHPAD remet les ordonnances et cartes Vitale au pharmacien, qui dispose d’une semaine pour préparer les traitements pour le mois. Selon le principe retenu, il conditionne les médicaments sous blister thermosoudé de couleurs différentes pour le matin, le midi et le soir, à partir de boîtes nominatives pour garantir la traçabilité. Sur chacune des plaquettes figurent le nom, le prénom et la photo du patient, son numéro de chambre, le numéro de lot du médicament, son nom, le traitement, la posologie, la date de péremption, une aide à l’administration, un code-barre et un rappel pour le nombre de gouttes ou de sachets qui, comme les médicaments stupéfiants, ne sont pas reconditionnés en piluliers. L’ensemble est mis en place sur un distributeur mural accessible aux infirmières dotées de chariots spécifiques et de fiches pour répertorier la procédure de distribution.

Dubitative, la troisième pharmacie se retire du projet

Dans leur organisation, les deux officines, distantes d’une cinquantaine de mètres, se partagent la presse tous les 15 jours. Un compromis acceptable à petite échelle, mais qui se compliquerait avec un troisième acteur. « Peut-être faudrait-il envisager d’effectuer le conditionnement sur place à la résidence ? Mais ce sera encore plus de temps à passer, redoute Paul Mériau. On est toujours à la limite du hors-jeu. Ou alors on le fait à grande échelle et, là, ça ressemble à de la grande distribution du médicament. Or, notre métier c’est d’être derrière le comptoir ! »

Déjà, le troisième pharmacien, Carine Verrelle, installée au printemps dernier, a fait marche arrière. « Je m’interroge beaucoup sur le fonctionnement pratique », reconnaît-elle. Et son officine ne comptait qu’un seul résident venant lui-même chercher ses médicaments. Signataire de la convention par solidarité, elle a finalement décidé de se désister. « Pourtant, affirme Sylvette Rapicault, si les pharmaciens ratent le coche, comme pour le matériel médical, ils risquent de perdre le marché. Or, avec l’allongement de la durée de vie, les longs séjours seront plus fréquents et les malades et les traitements plus nombreux. » Comme les pharmaciens, elle craint l’intégration des médicaments dans les forfaits globaux. « On essaie de nous faire réguler les dépenses de santé. »

« Dans un an, le médicament sera inclus dans les forfaits des EHPAD », s’accorde à penser Paul Mériau, qui ne veut pas croire à la pérennité de cette opération. « Si une convention nationale sort, c’est le futur métier du pharmacien qui se dessine. La profession a besoin de se diversifier. Je ne me voyais pas passer à côté de cela », reconnaît pour sa part Vincent Méneux. D’autant que Sylvette Rapicault s’attelle à un nouveau projet : l’extension de 25 lits pour la résidence…

Envie d’essayer ?

Les avantages

– La garantie de traçabilité, d’hygiène et de sécurité.

– Chaque étape est validée.

– C’est le pharmacien qui déclenche les renouvellements.

– Un partenariat en faveur d’un service de proximité.

Les difficultés

– C’est une tâche supplémentaire non rémunérée.

– Ce nouveau service n’est pas encore reconnu.

– Le risque d’erreur est transmis aux officines.

Les conseils de Vincent Méneux

« Suivez notre exemple ! »

– « Ne vous lancez pas dans une guerre avec des confrères pour décrocher un marché. »