Les vendeurs s’entêtent !

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Publié le 19 décembre 2009
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Malgré la dégradation – accentuée par la crise – de l’économie officinale et la détérioration de la situation financière, les vendeurs rechignent à baisser leur prix. Résultat, la demande se contracte et le nombre de transactions baisse. La chute est de 10 % sur le premier semestre 2009.

Le prix de vente moyen d’une officine n’a pas subi de variations significatives en 2008 (91 % du CA TTC) et il en sera sans doute de même pour 2009. « Les prix continuent à avoir les mêmes caractéristiques, les tendances observées sur 2008 sont confirmées sur 2009 », indique Luc Fialletout, directeur général adjoint d’Interfimo. Les prix augmentent proportionnellement au CA et les disparités entre les prix des petites et grosses officines s’accentuent. Les prix restent élevés sur les biens très recherchés, même si leur rentabilité est mauvaise. « Le Nord n’est pas la région la plus convoitée et pourtant nous avons enregistré encore récemment des cessions de grosses affaires à 100 % malgré nos mises en garde », constate Stéphane Poivre (cabinet Revigestion).

Et comme la rentabilité a encore pris du plomb dans l’aile, le prix exprimé en multiple de l’EBE continue de grimper dans la plupart des régions ! En 2008, il était de 8,7 fois l’EBE contre 8,2 fois en 2007 (source Interfimo).

« Acheter si possible moins de 7 fois l’EBE »

« Si l’on compare le niveau de l’EBE moyen des officines et les prix de vente moyens des fonds de commerce, on comprend mieux les difficultés de trésorerie que rencontrent de plus en plus de pharmaciens installés récemment, explique Lionel Canési, du cabinet C2C Pharma. Il est urgent de connaître une baisse des prix et de valoriser une pharmacie en fonction de sa rentabilité réelle. La profession risque de perdre son attractivité auprès des jeunes, lesquels ont déjà de grosses difficultés à s’installer faute d’apports suffisants. » Cet expert-comptable estime que la valorisation d’une pharmacie ne devrait jamais dépasser 8 ans d’EBE. « Compte tenu de l’évaporation des marges et de l’érosion de la rentabilité, il faut acheter si possible moins de 7 fois l’EBE de l’exploitation actuelle », recommande Patrick Gonzalez (cabinet Channels). Mais les vendeurs préfèrent attendre plutôt que de vendre à un prix qui ne leur convient pas ! « Ils ne cherchent qu’à céder le plus cher possible à un acquéreur qui serait mal conseillé », souligne Stéphane Poivre. L’immobilisme des vendeurs est aussi entretenu par les piètres évolutions du CA. La pandémie de grippe A pourrait leur être salvatrice ! « Ils espèrent une reprise d’activité fin 2009 pour consolider les chiffres de l’exercice et pouvoir vendre mieux », commente Stéphanie Carpentier (cabinet Norméco). Philippe Becker, directeur du département de Fiducial Expertise, confirme : « Beaucoup de vendeurs préfèrent maintenir leur prix de vente même s’ils doivent exercer une année de plus. Mais c’est prendre un risque car les départs en retraite vont déséquilibrer le marché pour plusieurs années. »

Attention aux cessions de parts de SEL !

Ce refus quasi général de transiger à la baisse, le manque de visibilité économique et le durcissement des banques concernant leurs critères d’octroi du crédit pèsent incontestablement sur la demande. « La crise de fluidité est toujours là, constate Luc Fialletout. La baisse du nombre de cessions est de 10 % sur le premier semestre 2009 par rapport au même semestre 2008. Acheteurs et vendeurs continuent à s’observer sans trouver de consensus. » Selon lui, la machine pourrait encore se gripper davantage avec les premières cessions de parts de SEL qui arrivent sur le marché.

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Michel Watrelos (cabinet Conseils et Auditeurs associés) ne voit pas poindre non plus un retournement de tendance. Selon lui, rien ne semble en mesure pour l’instant d’infléchir les prix du marché, pas même les quelque 4 000 à 5 000 départs à la retraite à l’horizon 2010-2012. « Les chiffres sont têtus, explique Luc Fialletout. Les acquéreurs ne peuvent plus compter sur une progression statistique du CA, les ratios prix/capitaux propres et capacité d’endettement/rentabilité se tendent alors que le recours à l’IS s’est généralisé. Et, à quelques exceptions près, les durées de crédit restent heureusement limitées à 12 ans. Dès lors, toutes les variables d’ajustement ont été épuisées. »

Le seul levier que peuvent encore actionner les jeunes avec un faible apport est l’association avec un titulaire en place qui a les moyens d’investir dans « la pharmacie d’à-côté ». « Les jeunes ne peuvent s’installer dans de belles affaires qu’avec l’aide d’un sponsor qui rachète l’officine par l’intermédiaire de sa SEL », maintient Michel Watrelos. Cet expert-comptable confirme que les critères d’octroi de crédit se sont durcis avec la crise. « Pour acheter aujourd’hui en nom propre une officine de taille moyenne 90 % du CA TTC, l’acquéreur doit avoir en poche 300 à 400 000 Euro(s) d’apport personnel et pouvoir compter sur le revenu d’un conjoint », indique-t-il. Ainsi, l’association a été la seule issue possible pour deux consoeurs qui ne disposaient que 200 000 Euro(s) d’apport pour acquérir une affaire de 1,8 millionEuro(s)vendue 88 %. « Les deux pharmaciennes n’ont pas de personnel et ont respectivement un conjoint qui travaille », précise-t-il.

Financement bancaire : un léger mieux

« Dans ces conditions, peu d’acquéreurs ont envie aujourd’hui de franchir le pas », souligne Patrick Bordas, responsable national du réseau professions de santé chez KPMG. Les prévisionnels prudents des experts-comptables ne sont pas faits non plus pour emballer. Ils sont établis à partir d’hypothèses de croissance faible ou nulle, voire de décroissance du CA, et d’une érosion de la marge sous les 27 %, ce qui n’est pas fait non plus pour emballer des prêteurs de fonds. « La qualité des dossiers qui nous sont présentés n’est pas toujours probante », observe Pascale Bancilhon (Interfimo). « Acquérir une officine sans perspectives de croissance relève de l’inconscience, sauf à acheter le fonds à un vrai prix économique », estime Philippe Becker.

L’attentisme des acquéreurs et la prudence nettement accrue des banques qui les rendent solvables règnent en maître sur le marché. Pourtant, il n’y a pas de pénurie du crédit bancaire en pharmacie. Philippe Becker relève même un léger mieux au niveau des financements des banques. « Le vieillissement de la population permet d’espérer un avenir intéressant pour la profession à condition que les prix de cession des officines deviennent plus raisonnables et qu’ils soient fonction de critères économiques, martèle Lionel Canési. De plus, les pharmaciens ne pourront pas longtemps se priver des structures juridiques adaptées au monde économique moderne tout en sauvegardant l’indépendance d’exercice du titulaire. »

Si la décision de la Cour européenne de justice sur l’ouverture du capital à des non-pharmaciens a étouffé une bulle spéculative en formation, il ne faudrait pas qu’elle soit relancée par les SPF-PL, en facilitant l’acquisition de parts de SEL.

Crédit : la pharmacie moins touchée

Les banques françaises ont pris l’engagement de faire progresser leurs encours de crédit de 4 % sur 2009. D’après des chiffres publiés par l’Observatoire du crédit de la Banque de France, en juin 2009, les encours ont progressé de 4 % par rapport à juin 2008 et de 1,4 % par rapport à septembre 2008.

Pour les seules PME, la progression est moindre. Entre juin 2009 et septembre 2008, les encours n’ont augmenté que de 0,7 % mais de 2,2 % pour les TPE. Il est probable que la progression ne sera que de 2 % sur l’ensemble de l’année. Selon Interfimo, la pharmacie serait moins touchée que d’autres PME par le durcissement des critères d’octroi de crédit constaté ces derniers mois.