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Les innovators
Les pharmaciens européens, à l’instar de leurs confrères nord-américains, ont pris conscience que la profession aurait encore un avenir qu’à la condition de proposer de nouveaux services aux patients. Les initiatives se multiplient dans ce sens, en attendant une rémunération meilleure…
Eviter les médicaments contrefaits
Belgique
Initiateurs ? En 2006, la société britannique Aegate a proposé à l’Association pharmaceutique de Belgique (APB) d’équiper les officines du pays d’un système d’authentification des médicaments dans le cadre de la lutte contre la contrefaçon. Deux raisons à ce choix : l’important taux de connexion des officinaux belges à l’époque et la présence d’un code-barre unique à 13 chiffres (Barcode) sur les boîtes de médicaments remboursables, permettant une authentification boîte par boîte. Après un an et demi de discussions pour convaincre les membres qu’il ne s’agissait pas d’un nouveau big brother mais bel et bien d’une aide précieuse, le système Aegate a été intégré dans la plupart des logiciels de gestion de nos confrères belges.
De quoi s’agit-il ? Au moment de la délivrance, l’officinal scanne systématiquement les médicaments. Il va alors recevoir en ligne, en trois cents millièmes de seconde, un signal émanant d’Aegate lui assurant que le produit est bien authentique. Le message indique également la date de péremption, le numéro du lot et un message complémentaire s’affiche si besoin sur l’écran si le produit est périmé ou proche de l’être.
Combien de pharmacies le proposent ? « La moitié des officinaux belges, et bientôt la quasi-totalité, a aujourd’hui accès à cette messagerie qui les informe en outre automatiquement de tous les produits retirés, des médicaments nouveaux mis sur le marché, des avertissements lancés par les laboratoires sur leurs produits (modification des formes et de couleurs) », explique Dirk Broeckx, secrétaire général néerlandophone de l’APB. Et de se féliciter qu’un système d’authentification des médicaments ait pu déboucher sur un partenariat à même de contribuer sensiblement à l’amélioration de la qualité des soins pharmaceutiques.
Valeur ajoutée ? Selon Dirk Broeckx, ce système est à la fois positif pour les pharmaciens mais aussi pour les laboratoires. Les premiers peuvent ainsi contribuer grandement à sécuriser le circuit de distribution du médicament, alors que les seconds peuvent communiquer plus facilement vers les pharmaciens et s’adresser plus rapidement à eux en cas de problème. Ce système est également opérationnel en Italie et en Grèce, demain peut-être en Allemagne, avec l’avantage de pouvoir permettre des liens entre professionnels de plusieurs pays.
Gratuit ou payant ? Ce service est offert sans frais supplémentaires aux pharmaciens. Ce sont les fabricants qui payent au prorata de leur chiffre d’affaires et du nombre de boîtes mises dans la base de données.
Quel bilan en tirer ? « Le code-barre unique nous permettait déjà la traçabilité complète des médicaments que nous délivrons. Ce système nous aide aussi maintenant à mieux gérer nos stocks, ajoute Dirk Broeckx. Nous avons également développé ce service comme messagerie utile. » Mais c’est l’APB qui gère ces messages avec Aegate, qu’ils soient envoyés par les autorités, les laboratoires ou l’association elle-même. Le pharmacien peut toutefois choisir de les activer ou de les désactiver. Enfin, ces messages arrivent toujours au bon moment, c’est-à-dire quand le pharmacien est face au patient concerné.
Ce service sera-t-il demain généralisable au niveau européen ? Dirk Broeckx craint que le projet émanant de la Fédération européenne des associations de l’industrie pharmaceutique de lancer son propre système d’authentification, avec notamment un code-barre en 2D et non plus unidimensionnel, ne débouche sur la gestion des bases de données par les seuls industriels. Les pharmaciens belges, eux, préfèrent la confier à des parties neutres.
Jean-Luc Decaestecker
Eduquer les patients diabétiques
Allemagne
Initiateurs ? Le diabète, véritable fléau de santé publique en Allemagne, touche 300 000 personnes supplémentaires par an. Le type II concerne 90 % des sept millions d’Allemands souffrant de cette maladie, premier poste des dépenses de santé avec 18 millions d’euros, pathologies connexes comprises. Autant de raisons pour qu’une caisse d’assurance maladie s’intéresse de près au suivi des patients. En juin dernier, la Barmer (6,9 millions d’assurés), qui n’est pas à ses premiers essais de coopération avec les officines, a signé un contrat avec la DAV (Deutsche Apothekerverband), le syndicat des titulaires, pour un accompagnement rapproché du traitement du diabétique.
De quoi s’agit-il ? Le pharmacien a une mission éducative, en apprenant notamment aux patients les bons gestes pour que l’automesure de la glycémie soit faite correctement. « Nous sommes en présence d’une population que nous connaissons bien et dont le profil est particulier : des personnes âgées avec souvent des problèmes cognitifs. Une correction des erreurs ne suffit pas, il faut sans cesse leur rappeler les bons gestes, au plus tard tous les deux, trois mois, car ils oublient vite », constate Eleftherios Vasiliadis, titulaire de la Apotheke Marktgasse à Waiblingen (Bade-Wurtemberg). Ce confrère allemand suit depuis juin une dizaine de clients dans le cadre de ce programme, soit la totalité des personnes concernées.
Combien de pharmacies ? Seul un pharmacien qui a suivi une formation d’au moins huit heures (à ses frais !) est habilité à proposer ce service « standardisé », selon un protocole de contrôle de la qualité établi par la Barmer. Tous les résultats sont consignés par le pharmacien.
Valeur ajoutée ? Tout d’abord de suppléer le médecin, débordé, ou l’hôpital, rarement en contact avec le patient. Ensuite, ce programme vise à diviser par deux les fautes fréquentes lors des automesures et de l’administration des médicaments afin de mieux équilibrer le traitement des diabétiques. Il permet aussi de prévenir des souffrances inutiles lors de l’automesure. Enfin, cette intervention du pharmacien permet d’éviter une aggravation de la maladie (amputation, cécité…), pour le plus grand bénéfice des malades mais aussi de la Barmer qui voit ses dépenses baisser.
Gratuit ou payant ? La caisse rémunère ce service 22 euros par semestre et par patient.
Quel bilan en tirer ? Il est encore trop tôt pour mesurer les effets de ce programme aussi bien sur la qualité de vie des patients que sur les économies générées. Cependant, des pharmaciens qui y participent regrettent que cette initiative ne soit pas reprise par l’ensemble des caisses d’assurance maladie.
Marie Luginsland
Ajuster l’INR
Québec
Initiateurs ? En 2004, le Collège des médecins québécois a élaboré avec l’Ordre des pharmaciens un guide de l’ajustement de la « coagulothérapie » à destination des officinaux pour décharger de cette tâche les cardiologues de ville et les services hospitaliers. Parallèlement, le syndicat des pharmaciens entamait une négociation avec le ministère de la Santé pour obtenir des honoraires à hauteur de 20 à 25 $ canadiens par intervention. L’arrivée d’un nouveau ministre, hostile au principe, a depuis bloqué la négociation.
De quoi s’agit-il ? En général, l’initiation du traitement anticoagulant se fait à l’hôpital. Puis le médecin prescrit à son patient un monitoring de l’INR par son officinal. Ce suivi mensuel, à partir d’un examen pratiqué dans un laboratoire ou à la pharmacie par le biais d’un Coagucheck, a lieu dans un bureau. Si l’INR est dans la cible, le pharmacien fixe un nouveau rendez-vous dans un mois. S’il est hors cible, il cherche à en trouver la cause en interrogeant le patient avant d’ajuster le traitement anticoagulant en suivant des protocoles très précis. Le changement est immédiatement opéré avec la remise d’un nouveau pilulier hebdomadaire. Un rendez-vous plus rapproché – sous 15 jours – est alors fixé. Certains médecins veulent être systématiquement informés, d’autres uniquement quand l’INR dépasse une certaine fourchette de valeurs.
Combien de pharmacies ? Seuls les officinaux volontaires proposaient ce service, après avoir suivi une formation (d’environ 30 Euro(s)) d’une journée organisée par l’Ordre. Sur les 5 500 officinaux que compte le Québec, 3 000 l’ont suivie. Mais alors que la plupart s’étaient lancés sans attendre la confirmation qu’ils recevraient bien des honoraires en échange, la rupture unilatérale des négociations avec le ministère en a refroidi plus d’un. Certains s’étaient même équipés de logiciels spécifiques et avaient acheté un Coagucheck (500 à 1 000 $, + 3 à 4 Euro(s) par bandelette).
Valeur ajoutée ? Ce service a permis d’économiser des consultations médicales et du temps infirmier. Selon l’Ordre, il a également amélioré l’atteinte des INR cibles et donc diminué le nombre de décès dus à des accidents iatrogènes. Au niveau des patients, le niveau de satisfaction est très élevé : gain de temps, plus pratique, plus humain…
Gratuit ou payant ? Certains pharmaciens ont fait payer les patients dont ils ont la surveillance à hauteur de 20 à 30 $ par mois. Selon l’Ordre, suivre un patient sous anticoagulant équivaut à un jour de travail par mois !
Quel bilan en tirer ? Diane Lamarre, présidente de l’Ordre, espère bien qu’un jour prochain les pharmaciens reçoivent des honoraires pour un tel service.
Thierry Philbet
Préparer des semainiers pour les polymédiqués
Espagne
Initiateur ? Le Collège des pharmaciens de Barcelone (COFB), à la fois Ordre et syndicat, propose depuis 2001 ce service pour améliorer l’observance chez les personnes âgées ou fragiles, polymédiquées.
De quoi s’agit-il ? Le Sistema Personalizado de Dosificacion (SPD) – la marque est déposée – propose le reconditionnement hebdomadaire sous blister de tous les médicaments solides (comprimés et capsules offrant une stabilité suffisante). Les éventuelles autres formes sont délivrées en parallèle mais également hebdomadairement. Dans le cadre d’un protocole, le pharmacien contrôle ainsi le bon suivi du traitement (en vérifiant les blisters déjà délivrés) et assure un suivi plus global pour détecter d’éventuels problèmes (effets indésirables…). Ce service ne peut être proposé qu’après avoir suivi une formation spécifique (chaque pharmacie doit désigner un responsable, qui reçoit la formation spécifique SPD). Il nécessite une autorisation expresse du patient ou de son représentant. Certaines pharmacies offrent également ce service à des patients dépendant de résidences pour le troisième âge.
Combien de pharmacies ? Il s’agit d’un programme spécifique du COFB, ce qui limite son rayon d’action à la Catalogne. Seules peuvent donc participer les pharmacies membres de la COFB. Actuellement, 925 pharmacies (sur les 1 000 qui existent !) offrent ce service et 1 400 pharmaciens ont reçu une formation spécifique.
Valeur ajoutée ? Au-delà de faciliter la vie des patients, ce programme améliore l’efficacité de la thérapie prescrite et favorise la coopération entre pharmaciens, médecins et infirmiers pour une prise en charge globale.
Gratuit ou payant ? La COFB procède actuellement à une étude afin de quantifier la valeur du service qui, à terme, pourrait devenir payant. Compte tenu de son efficacité, le SPD est en effet de plus en plus demandé tant par les patients que par les médecins !
Quel bilan en tirer ? La mise en place d’un tel programme montre, selon le COFB, l’attitude pionnière de la Catalogne dans la mise en place d’initiatives plaçant le pharmacien au coeur de la vie sociale et du système de santé.
Armand Chauvel
Proposer un mini-bilan de santé
Pays-Bas
Initiateurs ? Le groupe de pharmacies Kring, auquel adhèrent 325 des 1 900 pharmacies néerlandaises, et son partenaire Achmea (un assureur privé) proposent depuis cinq ans à leurs adhérents respectifs un programme complet de prévention.
De quoi s’agit-il ? En dehors des campagnes initiées au niveau national par l’Ordre, notamment celles du diabète (mesure du glucose), ou des propres initiatives du groupe Kring en matière de mesure de la tension artérielle ou du cholestérol, les pharmacies adhérentes peuvent proposer à leurs clients un programme complet de prévention deux fois par an pendant deux semaines. « Il permet de contrôler à la fois le cholestérol, la pression sanguine, le glucose, l’IMC et la fonction pulmonaire. Des infirmières libérales sont rémunérées par Achmea pour former le personnel officinal à ces différentes mesures », explique Marinke Vegter, qui a exercé en officine avant d’être recrutée par Kring pour proposer ce service aux adhérents. Cette démarche de fidélisation des patients est renforcée par la proposition, depuis 2008, d’un bilan personnalisé destiné aux personnes âgées de plus de 65 ans utilisant plus de 5 médicaments, en particulier ceux qui sont liés au traitement du diabète ou d’une maladie cardiovasculaire. Les pharmaciens doivent être volontaires et avoir suivi une formation d’une journée.
Combien de pharmacies ? Près de la moitié des officines du groupe proposent ce service.
Valeur ajoutée ? « La dispensation des médicaments étant en principe gratuite, le coût de la santé n’est pas toujours réellement perçu par les gens qui, parfois, s’accommodent à leur guise des conseils d’utilisation de ces médicaments. Il en résulte des problèmes de santé fréquents qui se résolvent à l’hôpital. D’où l’intérêt de cette démarche de prévention, affirme Marinke Vegter. Sur les 11 000 patients qui ont bénéficié d’un healthcheck, près de la moitié a été orientée vers un médecin pour des examens approfondis ! Le dispositif coûte cher et prend du temps mais les résultats, en termes de prévention, sont probants. »
Gratuit ou payant ? Le patient paie 25 Euro(s) (15 Euro(s) pour les adhérents d’Achmea) le bilan. L’assureur rembourse aux pharmaciens 45 Euro(s) par bilan pour les assurés adhérents.
Quel bilan en tirer ? Le coût fait réfléchir Achmea mais aussi les pharmaciens (le bilan peut s’étaler sur 4 h !). Ce qui n’empêche pas Kring de travailler, en partenariat avec l’Université, sur les éléments physiologiques pouvant déterminer pour le patient le choix de tel ou tel médicament : mesure de la fonction rénale pour les diabétiques, de la capacité hépatique à métaboliser les médicaments, etc.
Serge Trouillet
Dépister les diabétiques
France
Initiateurs ? On dénombre plus de 20 000 diabétiques en Vendée mais une partie non négligeable de la population, comme au niveau national, ignore qu’elle est atteinte de cette maladie. La CPAM a donc décidé de convier le 13 novembre dernier* les Vendéens à se rendre dans des centres de dépistage spécialement créés pour l’occasion. La chambre syndicale des pharmaciens de Vendée était partenaire de cette opération.
De quoi s’agit-il ? Les officines participantes étaient invitées à réaliser un maximum de dépistages lors de cette journée en ciblant de préférence les personnes à risque. Elles s’engageaient, en fonction de leur activité, à proposer un contrôle de la glycémie à jeun ou, à défaut, 2 heures après la prise d’un repas. Après accord du patient, cet acte de dépistage était réalisé dans un local adapté pour l’accueil des clients et dans le respect de la confidentialité des échanges. Le matériel nécessaire au dépistage (lecteur de glycémie et bandelette à usage unique) était fourni par le pharmacien. En cas de glycémie supérieure à 1,20 g/l, le pharmacien devait remplir une fiche individuelle (en deux exemplaires) à transmettre au centre d’examen de santé dépendant de la CPAM. Une autre fiche, récapitulative celle-là, devait recenser le nombre de tests réalisés et de tests positifs et négatifs.
Combien de pharmacies ? 146 pharmacies (sur les 224 de Vendée) se sont associées à cette opération. Pour ce faire, chacune a signé une convention avec la CPAM.
Valeur ajoutée ? Il est essentiel de dépister le diabète avant que ne surviennent ses complications. Le diabète est en effet la deuxième affection de longue durée en termes de prévalence et représente donc un enjeu de santé publique considérable. Les pharmacies, qui sont les espaces de santé les plus facilement accessibles au public, peuvent jouer un rôle considérable pour lutter contre ce fléau et démontrer que leur intervention est source d’économies.
Gratuit ou payant ? La CPAM indemnise chaque officine participante par une indemnité forfaitaire de 75 euros, versée par l’intermédiaire du Fonds national de prévention, d’éducation et de d’information pour la santé.
Bilan ? Selon les premiers résultats obtenus à partir des données de la moitié des pharmacies participantes, 750 tests ont été réalisés au total, dont 59 étaient positifs ou douteux. Le record de glycémie lors de cette journée : 6 g/l ! Le patient a été immédiatement dirigé vers l’hôpital. « Il me semble difficile de coller davantage à la réalité des nouvelles missions rémunérées qui pourront nous être confiées dans le cadre de la loi HPST ! », lance Thierry Roussin, coprésident de la chambre syndicale. L’opération a d’ailleurs été suivie avec le plus grand intérêt par la FSPF…
Thierry Philbet
* En relais de la Journée mondiale du diabète du 14 novembre.
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