RÉUSSIR L’INTÉGRATION D’UN COLLABORATEUR ÉTRANGER

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Publié le 11 mai 2013
Par Chloé Devis
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Accueillir un collaborateur étranger peut à la fois répondre à des besoins stratégiques et faire souffler un vent d’air frais sur l’officine. L’aventure, pour être fructueuse, requiert disponibilité, souplesse et rigueur.

La part des diplômés étrangers dans les effectifs de la pharmacie d’officine reste aujourd’hui inférieure à 1,5 %, la majorité d’entre eux étant issus du continent africain, avant l’Europe. Si la démarche d’embaucher un salarié étranger n’est pas exempte d’embûches, elle peut répondre à de réels enjeux professionnels et commerciaux pour l’officine.

Miser sur l’ouverture culturelle

La première raison de recruter ce type de profil est liée au contexte de la pharmacie. « Un titulaire installé dans une zone touristique aura tout à gagner à disposer d’un collaborateur partageant la langue et la culture d’une partie de sa clientèle. De surcroît, certains étrangers parlent très couramment l’anglais », fait valoir Brenda Turnnidge, consultante-formatrice chez CSP. « On peut valoriser cet atout avec une mention ou un drapeau en vitrine », suggère-t-elle. Cet argument commercial vaut également dans un quartier caractérisé par l’implantation d’importantes communautés étrangères ou d’origine étrangère. « Il ne s’agit pas seulement d’attirer et de fidéliser une certaine clientèle, mais aussi de sécuriser la dispensation en s’assurant de la bonne compréhension des consignes d’observance », relève Brigitte Defoulny, directrice du cabinet de conseil Héliotrope. Par ailleurs, la maîtrise du français est une condition sine qua non « pour ne pas léser le reste de la clientèle », observe l’experte.

Un collaborateur étranger peut apporter une valeur ajoutée liée à son profil d’expatrié. « Un étranger venu travailler en France aura d’ores et déjà démontré sa motivation, sa capacité à se remettre en question et son ouverture d’esprit », note Brigitte Defoulny. Si Christine Ambrosi, titulaire à Versailles (Yvelines), a recruté une pharmacienne espagnole « c’est avant tout parce que sa personnalité m’a plu, même si ses origines sont aussi un plus par rapport à notre clientèle touristique », explique-t-elle. « Marié à un Français, elle parle très bien notre langue. Comme elle avait également vécu en Chine et en Irlande, je me doutais qu’elle ferait preuve d’une bonne capacité d’adaptation », témoigne-t-elle.

Être prêt à associer l’équipe en amont

« L’arrivée d’un collaborateur étranger risque de bousculer les habitudes, ce qui est une bonne chose, mais seulement dans la mesure où le titulaire est lui-même enclin à revoir son management, sa manière de communiquer », avertit Brigitte Defoulny. De même, les attentes du nouveau venu doivent rester conformes à celles de son supérieur : « Si la personne ne s’est pas expatriée que pour des raisons alimentaires mais pour trouver un poste correspondant à ses aspirations, il faudra être prêt à lui confier certaines responsabilités. » Par ailleurs, précise-t’elle, « il faut également associer son équipe à sa décision en amont, en étant à l’écoute des questions et des objections ».

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Remplir ses obligations administratives

La responsabilité légale de l’employeur est lourdement engagée lors du recrutement d’un travailleur étranger. « A l’exception provisoire, des Roumains et des Bulgares, les ressortissants de l’UE n’ont besoin d’aucune autorisation de travail en vertu du principe de la liberté de circulation et d’installation », indique Clément Bénaïm, avocat au barreau de Marseille. « En revanche, dans le cas d’un ressortissant d’un pays hors UE résidant en France, l’employeur doit exiger un titre de séjour et de travail en cours de validité, dont il est tenu de vérifier l’authenticité en transmettant copie à la préfecture. Il devra également s’assurer du renouvellement du titre à la date d’expiration », ajoute l’avocat. Dans le cadre du recrutement d’un étudiant étranger faisant suite à son stage, l’intéressé devra obtenir auprès de la préfecture une modification de son statut. L’exercice en France de la profession de pharmacien est ouvert à tout diplômé d’une faculté française sans condition de nationalité. A contrario, un diplômé d’un pays de l’UE ou hors UE devra produire l’équivalence de son diplôme, obtenue par une procédure spécifique à chaque situation. Il devra, comme tout pharmacien exerçant dans une officine française, être inscrit à l’Ordre des pharmaciens français (sauf cas de la libre prestation de services).

Passer le candidat au crible

Lors de l’entretien de recrutement, « il ne faut pas hésiter à poser des questions qui sortent du cadre des compétences professionnelles », affirme Brenda Turnnidge. « On peut évaluer le degré d’autonomie de la personne en lui demandant si elle a déjà quitté son pays, et chercher à savoir quelles seront ses conditions de vie en France, si elle a un point de chute, des repères… » Des aspects déterminants dans la mesure où « la précarité matérielle peut être également très dommageable à l’exercice professionnel ». Brigitte Defoulny préconise d’interroger le candidat « sur les motifs de son expatriation, car ce n’est pas la même chose de suivre son conjoint ou d’avoir envie d’une expérience en France, mais également sur le choix de votre officine. Demandez également quels sont ses projets à moyen ou long terme sans en faire un point de blocage. Même si la personne a décidé de ne rester que temporairement, elle peut être un élément intéressant pour l’équipe, d’autant que ses objectifs de vie peuvent évoluer. »

Un accompagnement sur la durée

L’embauche formalisée, il est préférable d’instaurer immédiatement un climat de confiance en rappelant, lors de la présentation à l’équipe, « les raisons d’un tel recrutement, l’apport qu’il représente pour l’officine et l’importance du travail d’équipe », conseille Brigitte Defoulny. La façon dont les premiers pas de la nouvelle recrue seront accompagnés. L’aider à appréhender les subtilités du système de santé national, à maîtriser la nomenclature française des médicaments, mais aussi à assimiler les règles de fonctionnement de l’officine passe par des efforts de pédagogie soutenus. « Ne craignez pas de vous répéter pour être sûr d’être compris », déclare Brenda Turnnidge. Durant les premières semaines, il faudra prévoir un entretien hebdomadaire d’environ une demi-heure afin d’évoquer avec le salarié ses difficultés et ses satisfactions, sans oublier là encore de prendre avis du reste de l’équipe. Brigitte Defoulny précise qu’il faudra être vigilant car « votre nouveau salarié pourra être tenté de privilégier ses compatriotes au comptoir, y compris par souci de fidélisation. Le cas échéant, il conviendra de lui rappeler que tous les clients doivent être traités de la même façon ». Brenda Turnnidge conseille quant à elle de rester vigilant durant les premiers mois, « le collaborateur peut chercher à faire bonne figure. A vous de vous assurer que l’essentiel est assimilé mais également que sa situation personnelle est stabilisée. »

La libre prestation de services

Une mobilité facilitée à l’échelle européenne

Recruter pour une mission temporaire un pharmacien d’un pays de l’UE sans nécessité d’inscription à l’Ordre, c’est désormais possible dans le cadre de la « libre prestation de services » prévue par le droit européen. Seule formalité, une déclaration accompagnée des pièces justificatives, à adresser à l’Ordre pour un pharmacien et au ministère de la Santé pour un préparateur. La disposition ne bénéficie qu’aux titulaires d’un diplôme bénéficiant d’une reconnaissance automatique entre la France et le pays d’origine, et inscrits auprès de l’Ordre ou d’autorité équivalente de leur pays d’origine.