LES OFFICINES AU CŒUR DES CONVOITISES
Les données de santé des officines représentent une mine d’informations pour nombre d’acteurs de santé. Encore faut-il savoir dans quel but. Etudes de santé publique ou de marketing ?
Alors que l’ouverture des bases de données publiques de santé (opendata santé) fait débat depuis plusieurs mois, avec notamment la pétition d’Initiative transparence santé qui appelle à la « liberté pour les données de santé » (www.opendatasante.com), les officines apparaissent comme un eldorado en la matière. « Le pharmacien est un centre investigateur et il peut être un vecteur de données », a résumé le Dr Charles Taieb, directeur des relations scientifiques extérieures et du market maintenance de Pierre Fabre Médicaments, lors d’une conférence de l’Amips (Association des médecins de l’industrie pharmaceutique) le 4 juin dernier. La thématique de cette matinée reflète d’ailleurs la problématique : « L’officine, nouveau collecteur de données de santé ? ».
3,4 milliards de lignes de prestations
Les données recueillies par les officines constituent en effet une mine d’informations depuis des années pour l’Assurance maladie. Seul problème : la base de données ainsi constituée, le Sniiram, continue d’être une « chasse gardée » ou presque. En outre, compte tenu de la volumétrie de ces données, près de 20 milliards de lignes de prestations dans le Sniiram dont 3,4 milliards avec le CIP collectées en 30 mois (chiffres 2011 de l’Assurance maladie), leur traitement nécessite du temps. Or, dans notre société où les crises sanitaires s’enchaînent, disposer rapidement de données fiables paraît une nécessité. Et nombre d’acteurs publics n’ont pas accès à la fameuse base de données de l’Assurance maladie de manière exhaustive. C’est le cas de l’ANSM qui fait donc appel à Celtipharm, prestataire privé spécialisé dans « l’ingénierie médicoéconomique & marketing-ventes », pour fournir son point mensuel sur les chiffres de ventes de pilules (voir article p. 20).
Celtipharm, également présent à la conférence de l’Amips, œuvre sur le marché depuis plus de 10 ans maintenant. La société a constitué un panel de 3 004 officines, représentatives du réseau officinal avec un focus sur les pharmacies dont le CA est supérieur à 2 millions d’euros, et utilise trois flux d’informations : les tickets de vente, les ordonnances anonymisées ou « pseudonymisées » et les questionnaires. Selon le protocole, le pharmacien est rémunéré ou non. « Nous fournissons des chiffres à J + 1 et c’est ce qui intéresse les utilisateurs », explique David Syr, directeur des études de Celtipharm, au sujet des chiffres fournis à l’ANSM.
Sur le site Internet de Celtipharm, son P-DG, Patrick Guérin, explique : « La Santé Raisonnée(r) parie sur l’intelligence, l’analyse fine des données, le partage des connaissances, l’innovation, pour décrypter les dépenses, les optimiser et les potentialiser au service de tous les acteurs concernés : patients, financeurs, professionnels et laboratoires. » On peut donc s’interroger sur la finalité des études en fonction des « acteurs concernés ». S’agira-t-il uniquement de santé publique ou bien d’études marketing ? L’autorisation accordée en septembre 2011 par la CNIL à Celtipharm porte sur la réalisation d’études épidémiologiques à partir de données issues des FSE avec plusieurs finalités dont « le suivi longitudinal de la consommation médicamenteuse en temps réel des médicaments prescrits ou non ». Si l’anonymisation est prévue pour les patients, elle ne l’est pas pour les pharmacies. « L’intérêt est de réaliser une veille, une pharmacovigilance, en temps réel et non a posteriori. A l’étranger, de tels systèmes existent déjà », explique Yann Aube, directeur associé de Celtipharm, pour qui ces études seraient destinées à l’ANSM ou la HAS.? Et les laboratoires ? « Ils pourraient être intéressés à surveiller s’il n’y a pas de dérives », répond Yann Aube. Et si ces études démontraient qu’un nouveau médicament est moins prescrit dans tel département, n’inciteraient-elles pas le laboratoire concerné, si elles tombaient entre ses mains, à agir auprès des prescripteurs locaux ? Pour l’heure, la société Celtipharm se heurte au fait que la CNAMTS et le GIE SESAM-Vitale refusent de lui fournir les clés de déchiffrement dont elle a besoin.
Et les pharmaciens ? Leur mine d’informations peut-elle se transformer en manne grâce à des conventions et contrats rémunérant leur participation ? Une donnée qu’il faut également prendre en compte…
REPERES
• Le traitement des données de santé est soumis à des règles définies par la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978.
• La CNIL doit être avisée de toute collecte ou de tout traitement de données de santé par une déclaration (norme simplifiée n° 52 pour les officines).
• La CNIL peut autoriser le traitement de certaines données de santé à condition d’anonymiser les informations sur les patients.
• L’Ordre a publié un guide sur le respect de la confidentialité des données de patients en informatique.
Lien d’intérêt
• 9 députés (UMP, PS et NDI) ont posé une question écrite à Marisol Touraine sur l’analyse des consommations et prescriptions des médicaments afin de déceler les anomalies ou prescriptions hors AMM (JO du 5/3/13). 8 de ces députés font référence à l’autorisation de la CNIL délivrée à Celtipharm et à ses difficultés d’accès aux données des officines sans nommer la société. Interrogé, Jean-Pierre Door, député UMP, affirme qu’il n’y a aucun lien d’intérêt entre Celtipharm et lui. Yann Aube, directeur associé de Celtipharm, répond que ces députés ont posé la question incidemment.
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