Henri Lepage : « Le dossier patient matrialise l’analyse pharmaceutique»

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Publié le 7 septembre 2002
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L’opinion pharmaceutique fait son chemin pour appuyer l’acte pharmaceutique. Elle vient enrichir le dossier patient qui constitue une trace des analyses pharmaceutiques pour un suivi pharmacothérapeutique efficace. Explications d’Henri Lepage, président du Conseil régional de l’ordre des pharmaciens, région Centre.

« Le Moniteur » : Comment se positionne l’opinion pharmaceutique par rapport à l’assurance qualité ?

Henri Lepage : La réflexion sur l’assurance qualité est à l’origine de deux outils : le « Guide d’assurance qualité officinale » et l’opinion pharmaceutique. Le premier porte sur le cadre d’exercice professionnel. Il a pour but d’anticiper en douceur la mise en place de critères de qualité par l’autorité publique. L’opinion pharmaceutique quant à elle porte sur le coeur de l’exercice. Elle révèle en effet l’acte pharmaceutique et elle permet de le développer graduellement.

Quel est le contexte de la création d’un dossier patient ?

L’opinion pharmaceutique vise à rendre l’acte pharmaceutique lisible, traçable, évaluable, communicable et opposable. Mais pour répondre à ce besoin, elle doit correspondre à des exigences de forme (présentation, structure) et de contenu (précision, pertinence…). Grâce à l’expérience hospitalière, l’étude des opinions rapportées à un même patient a conduit à collectionner ces informations et à les rassembler en dossiers. Ceux-ci sont organisés dans les domaines d’intervention spécifiques du pharmacien puisque formatés par la structure de l’opinion.

Comment concevez-vous la création d’un dossier patient ?

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La dispensation d’un médicament prescrit ou conseillé n’est pas actuellement enregistrée autrement que par le biais de sa facturation par un logiciel comptable. Cette trace ne suffit pas pour conserver l’analyse pharmaceutique opérée par le pharmacien, ni pour communiquer, le cas échéant, sa décision d’accepter, de suspendre, de modifier, voire de refuser la délivrance du médicament. Pour remédier à cette lacune, la commission d’Assurance qualité associe en amont de la fonction classique de facturation la saisie systématique d’une opinion pharmaceutique qui constitue pour un même malade, d’une part,une photographie de l’acte grâce au contexte historique de la délivrance, d’autre part, après mémorisation, une page du dossier de suivi pharmacothérapeutique. Le dossier est ainsi nourri au fur et à mesure de l’information acquise par le pharmacien, selon la qualité de la relation établie tant avec le patient qu’avec les autres professionnels de santé éventuellement impliqués.

Quels sont les freins au développement de l’opinion pharmaceutique ?

Ils sont d’ordre technique, psychologique et économique. Sur le plan technique, le frein disparaît. La publication en 1999 de recommandations à l’usage des entreprises prestataires de services informatiques formalisait dans une première approche les conditions (professionnelles, légales et déontologiques) de mise en oeuvre de l’opinion pharmaceutique, sans lesquelles aucune application pratique n’est raisonnablement envisageable. Les première réalisations techniques commencent à apparaître. Une recherche de développement et d’évaluation d’un concept associant l’opinion et le dossier de suivi pharmacothérapeutique rapporté à des malades diabétiques de type 2 est en cours. Cet outil sera bientôt opérationnel. Sur le plan psychologique, l’opinion pharmaceutique permet au professionnel de santé à qui elle est destinée de réagir formellement en temps utile devant une situation inattendue ou insolite. Cette matérialisation de l’acte se heurte à une culture de dépendance, notamment vis-à-vis des médecins. Mais l’introduction du concept de l’opinion dans le paysage pédagogique est de nature à modifier profondément cette relation. Enfin, sur le plan économique, l’élaboration de l’opinion est un investissement à la fois intellectuel, en temps et en matériels, avec un profit objectif pour le malade et la santé publique. Cela permet d’introduire concrètement le débat sur la valorisation des actes.

Quelle est la place de l’outil informatique ?

Il est incontournable dans la mise en oeuvre du concept. C’est en effet lui qui permet de faciliter et d’approfondir l’analyse pharmaceutique et d’élever le niveau des décisions. Mais l’ordinateur est incapable de se substituer au pharmacien pour prendre une décision.

Comment procéder concrètement ?

L’Ordre n’a aucune vocation à fabriquer des logiciels. En revanche, la commission va soumettre aux entreprises prestataires de services informatiques des critères de mise en oeuvre de l’opinion et du dossier de suivi pharmacothérapeutique. Le terme d’opinion pharmaceutique a été déposé par l’Ordre comme marque communautaire auprès de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur. Le respect des critères posés permettra ainsi au pharmacien de disposer d’un outil assurant la réalisation de l’objectif professionnel poursuivi.

Quelles conséquences sur l’exercice officinal ?

C’est d’abord objectiver l’acte, lui donner une trace tangible. Ensuite, c’est une ouverture vers une coopération thérapeutique confiante et sécurisée avec les médecins pour la sécurité et l’intérêt de la santé du malade. Cela permet de revaloriser le rôle du pharmacien et la place de l’officine, et d’ouvrir une voie à la rémunération de l’acte.

L’hôpital valide l’opinion

– Les apports de l’opinion pharmaceutique pour la prévention de l’iatrogénie médicamenteuse à l’hôpital ont été étudiés à Nancy en 2000. Le programme mis en place à la pharmacie centrale du CHU avait un triple objectif : diminuer l’iatrogénie médicamenteuse, participer à une démarche d’assurance qualité dans l’analyse pharmaceutique des prescriptions, sensibiliser les étudiants de 5e année à l’importance de l’opinion pharmaceutique aussi bien à l’hôpital qu’à l’officine. Plus de 150 opinions pharmaceutiques ont été recueillies par quinze étudiants en deux mois : neuf fois sur dix le traitement a été maintenu.

« Mais dans 10 % des cas nous avons procédé à des modifications », souligne Sébastien Georget, un des praticiens hospitaliers responsables de l’étude. Les problèmes identifiés concernaient une fois sur deux des associations déconseillées ou à prendre en compte. Les problèmes de posologie, de contre-indication ou liés à la pathologie restaient marginaux (cinq cas).