Ils sont en train de virer commerçants

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Publié le 6 septembre 2003
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La question est récurrente : le pharmacien est-il un professionnel de santé ou un commerçant ? Comme ce débat n’est toujours pas tranché au sein de la profession, « Le Moniteur » a demandé l’avis de commerçants « purs et durs ».

Alors, professionnel de santé, commer-çant, les deux ? Le débat au sein de la profession concernant la définition du métier de pharmacien est toujours aussi passionné. Et ce ne sont pas les nombreux articles ou courriers parus tout au long des 2 500 numéros du Moniteur qui le démentiront. Mais pour une fois, ce n’est pas vous qui vous exprimerez sur le sujet mais des… commerçants, des vrais. Ils nous donnent leur point de vue sur la question, mais aussi sur l’économie de l’officine et sur les enseignes et les chaînes de pharmacies.

Le pharmacien d’officine est-il d’abord un professionnel de santé ou un commerçant ?

« Ils sont encore professionnels de santé, mais ils sont en train de virer commerçants en essayant de plus en plus de vendre autre chose que des médicaments. » (Marie Roux, épicière)

« Aujourd’hui, le pharmacien donne l’impression d’être davantage un commerçant qu’un professionnel de santé. Le conseil devient peau de chagrin et le pharmacien est de moins en moins disponible. Ce n’est pas seulement le fait qu’il mette davantage son rôle de commerçant en avant mais, au comptoir, quand je viens chercher des ordonnances pour moi-même et mon mari, je suis toujours étonnée par la quantité de papier qu’il faut passer dans un ordinateur pour pouvoir se faire rembourser par la Sécurité sociale. » (Annick Duvallet, commerçante en fruits et légumes)

« Pour moi, le pharmacien est d’abord un professionnel de santé avant d’être un commerçant. Cette seconde facette me paraît très secondaire et en retrait par rapport à son rôle de conseil. Le pharmacien qui est à côté de chez moi est de bon conseil et je lui fais confiance pour prendre en charge mes petits maux quotidiens et m’expliquer comment prendre les médicaments prescrits par mon médecin. » (Louis Lemarié, boucher)

« Si je réponds en tant qu’opticienne, le pharmacien est en premier lieu un confrère, professionnel de santé. Maintenant, en tant que particulier, il ressort à mes yeux davantage comme un commerçant pur et dur. Les pharmaciens ne sont plus ce qu’ils étaient ou ce qu’ils devraient être. J’ai eu une expérience fâcheuse avec l’un deux, lorsque mon enfant a fait un oedème de Quincke. Celui-ci m’a délivré une ordonnance d’Anahelp sans me préciser qu’un suivi hospitalier était nécessaire dans les 3 heures suivant l’injection. A contrario, le côté « épicier » du pharmacien tend à disparaître. La parapharmacie filant à la concurrence, un certain nombre de pharmacies ont fait le distinguo et se sont recentrées sur leur pôle pharmaceutique. »

(Véronique Ravel, opticienne)

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« C’est d’abord un commerçant. A part quelques préparations, il ne fait que de la vente : il suffit de lire les ordonnances et les étiquettes des médicaments. » (Didier Hoteplin, boulanger-pâtissier)

« Avant d’être commerçant, qu’il est quand même, surtout en parapharmacie, le pharmacien est un professionnel de santé de qui on attend du conseil, qui établit des petits diagnostics, explique ce que l’on ressent et peut orienter vers une médication. A ces conditions, la pharmacie d’officine peut être un commerce enviable. Et pas seulement parce que ça a l’air très rentable. » (Stéphanie Cano, responsable d’un magasin de vêtements Etam)

« Le pharmacien est avant tout un professionnel de santé, mais qui est devenu depuis peu un vrai commerçant. » (Antoine Mateu, coiffeur)

Pensez-vous que les pharmaciens gagnent bien leur vie ? Avez-vous une idée du chiffre d’affaires moyen d’une officine, de ses marges et du revenu d’un titulaire ?

« Je n’ai absolument aucune idée du chiffre d’affaires que peut réaliser une pharmacie. Quant à la marge, je dirais 6 ou 8 % sur les médicaments et au moins 60 % sur tout le reste. Tenez, j’essaie d’arrêter de fumer et je suis allée voir le prix d’une boîte de cachets dans trois pharmacies, deux normales et celle des Arceaux [NdlR : la plus grande de Montpellier] : 84 euros dans les deux premières et 70 euros aux Arceaux où, forcément, ils doivent encore vendre ça avec une marge confortable. Alors, bien sûr, j’ai acheté aux Arceaux : je ne chipote pas pour 1 euro de moins, mais pour 10, j’oublie la pharmacie du coin et je me bouge. » (Marie, l’épicière)

« La pharmacie n’a pas trop à se plaindre, même si elle subit les conséquences des problèmes de la Sécurité sociale. Les pharmaciens qui tiennent de grosses officines et qui font beaucoup de parapharmacie doivent certainement avoir de gros revenus, mais je n’ai aucune idée des marges et des revenus qu’ils peuvent tirer de leur exploitation. A titre de comparaison, dans le secteur des fruits et légumes, le coefficient multiplicateur que l’on applique sur nos prix d’achat est en moyenne de 1,50 et peut parfois atteindre 1,82. A mon avis, une pharmacie moyenne réalise 4 à 5 millions de francs de chiffre d’affaires. Je veux bien croire que les petites officines sont moins prospères que les grosses. » (Annick, la maraîchère)

« Il ne faut pas se fier aux apparences. Les commerçants pensent toujours que les métiers des autres sont plus alléchants que le leur. Je n’ai pas d’opinion sur la pharmacie, d’autant que je ne connais rien aux marges et chiffres d’affaires de cette profession. En boucherie, les chiffres d’affaires moyens des entreprises indépendantes sont de l’ordre de 2 à 3 millions de francs. On parle de grosses affaires à partir de 6 millions. Nos coefficients multiplicateurs sont compris entre 1,60 et 1,80 mais il faut tenir compte du fait qu’il y a beaucoup de pertes de marchandises. Nous nous rattrapons en faisant beaucoup de tonnages. » (Louis, le boucher)

« Spontanément, je dirais que le pharmacien réalise le double du chiffre d’affaires d’un opticien. Dans notre profession, la moyenne se situe autour de 2 à 2,5 millions de francs et nos marges – supérieures à 60 % – ont fait les choux gras de Que choisir et de 60 Millions de consommateurs qui ont écrit que les opticiens avaient les plus gros salaires en France. Je peux vous certifier que nos salaires sont loin d’être équivalents à ceux des pharmaciens. Il n’y a pas beaucoup d’opticiens qui se prennent un salaire mensuel de 50 000 francs. Mais restons honnêtes, quand il faut parler des petits commerces en difficulté, mieux vaut éviter de parler des pharmaciens et des opticiens. » (Véronique, l’opticienne)

« Ah oui alors, il n’y a pas plus riche qu’un pharmacien ! Tous ceux que je connais, qui se sont mis à leur compte, le fric qu’ils se font… Ils n’ont pas d’investissements lourds comme nous pouvons en avoir. A mon avis, le chiffre d’affaires d’une officine moyenne doit tourner autour de 5-6 millions de francs, avec au moins 30 % de marge, ou alors c’est qu’ils ne savent pas se débrouiller… Un pharmacien, ça doit gagner facilement entre 50 000 et 100 000 francs par mois, mais ça doit tout de même varier s’il a des crédits sur le dos ou non. » (Didier, le boulanger)

« J’estime le chiffre d’affaires moyen d’une pharmacie à environ 1,5 à 2,3 millions d’euros. Mais pour une pharmacie comme celle d’en bas [NdlR : l’une des plus importantes de Montpellier, dans un centre commercial], ce doit être énorme, au moins 3 millions d’euros. Côté marge, je la situe autour de 60 %, car beaucoup de vieux médicaments doivent être très rentables depuis longtemps. Selon moi, le revenu moyen mensuel d’un pharmacien d’officine doit être de l’ordre de 3 800 euros. »

(Stéphanie, la responsable d’un magasin de vêtements)

« J’évalue le chiffre d’affaires d’une pharmacie moyenne autour de 5 millions de francs, une pharmacie, ça fait du chiffre ! Du côté de la marge moyenne, je pense que ce doit être de l’ordre de 40 à 50 %. Quant au revenu mensuel d’un pharmacien, je l’estime à environ 25 000 francs, autant qu’un médecin. » (Antoine, le coiffeur)

Etes-vous choqué par le fait que des pharmaciens se regroupent sous forme de chaînes ou d’enseignes ?

« Je ne suis pas du tout choquée à l’idée de voir des officines se regrouper sous une même enseigne ou au sein d’une même chaîne. Par contre, je le serais si on m’obligeait à acheter un produit de marque que je n’ai pas envie d’acheter : si je veux du Boiron, je veux du Boiron et pas autre chose ! » (Marie, l’épicière)

« Cela ne me gêne absolument pas, les chaînes, c’est dans l’air du temps. Je suis néanmoins attachée à ma petite pharmacie de quartier parce que ce sont toujours les mêmes personnes qui me servent, ce qui est rarement le cas dans les grosses pharmacies. Or, je pense que les chaînes ne concerneront que les grosses pharmacies de centre-ville et de centre commercial. Leur intérêt portera surtout sur les prix et sur les stocks, le client n’aura pas besoin de revenir chercher un produit. » (Annick, la maraîchère)

« Non. Je ne trouve pas choquant que les pharmacies évoluent vers un système de chaînes ou d’enseignes, c’est devenu tellement courant dans le monde du commerce d’aujourd’hui ! Par contre, je ne vois pas ce que cela peut apporter et quel intérêt cela peut présenter pour le client que je suis. Ce que je demande surtout à mon pharmacien, c’est de bien s’occuper de ma santé et de se montrer disponible. » (Louis, le boucher)

« Non. J’ai deux magasins, l’un indépendant, l’autre appartenant à l’enseigne Optique 2000. Je mesure les avantages et les inconvénients de chaque formule. En appartenant à une enseigne, l’opticien profite de la publicité qui est faite et des retombées commerciales. Le client n’hésite pas à faire 10 km en voiture pour se fournir dans un magasin sous enseigne car il recherche en priorité les prix et les produits. Il est moins attaché à la qualité de service qui dépend essentiellement de la personnalité du titulaire. L’inconvénient pour la pharmacie, c’est qu’elle n’a pas le droit à la publicité. Le client est davantage attaché à la personnalité de l’opticien quand celui-ci exerce en indépendant. Si vous êtes absent, le client reviendra plus tard, alors que dans une enseigne, ça lui est égal d’être servi par quelqu’un d’autre que le titulaire. Dégager du temps est un autre avantage de l’enseigne, ce que peut difficilement faire le pharmacien aujourd’hui. Celui qui travaille à côté de mon magasin a décidé d’être moins présent dans son officine. Aussitôt, cela s’est ressenti sur son chiffre d’affaires. »

(Véronique, l’opticienne)

« Je suis contre les regroupements, contre les franchises. Bientôt, dans ce pays, celui qui voudra monter un commerce tout seul ne le pourra plus. Il faudra être franchisé et payer tous les mois à l’enseigne, c’est lamentable ! » (Didier, le boulanger)

« Cela me semblerait une évolution normale pour une profession qui devient de plus en plus commerciale. » (Stéphanie, la responsable d’un magasin de vêtements)

« En chaîne, les commerces sont trop gros, trop déshumanisés. Quand j’étais franchisé Dessange, on ne connaissait pas assez la clientèle, ce qui me semble moins grave que pour une pharmacie. Pour moi, le pharmacien doit demeurer un professionnel de santé et il faut que sa relation avec les clients reste personnalisée. » (Antoine, le coiffeur)

Si c’était à refaire, auriez-vous aimé faire pharmacie ?

« La pharmacie est un commerce enviable mais c’est un métier qui n’est pas à la portée de tout le monde : les pharmaciens, ils ont de la tête, ils ont fait des études. Alors s’ils gagnent au moins 25 000 balles par mois, c’est normal, sinon c’est pas la peine de se casser la tête à faire des études. A ce compte-là, j’envie aussi mon toubib, mon kiné, des métiers que tout le monde ne peut pas faire. Non, vraiment, la pharmacie d’officine, ce n’était pas moi : voir des malades toute la journée, non merci, ça doit être mauvais pour le moral ! »

(Marie, l’épicière)

« Faire de l’officine ne m’aurait pas déplu car les conditions de travail sont tout de même plus agréables que sur les marchés. C’est un job sympa pour une femme, on peut discuter de beauté et de parapharmacie avec les clientes. En général, les gens qui entrent dans une officine sont agréables car ils ont besoin de quelque chose pour se soigner. Je suis également attirée par le conseil. Avec mes clients, j’ai toujours plaisir à leur faire profiter de mes connaissances en fruits et légumes et à les conseiller sur la préparation de bons petits plats ou de corbeilles de fruits. »

(Annick, la maraîchère)

« Je ne suis pas fait pour être derrière un comptoir de pharmacie et je n’envie pas du tout les pharmaciens. Je suis plus attiré par le travail manuel qu’intellectuel. Je ne me serais pas senti à la hauteur… De plus, je n’ai jamais aimé l’école et encore moins les longues études. » (Louis, le boucher)

« Faire pharmacie ne m’a jamais tentée. Je reste fidèle à l’optique qui est un métier aux aspects plus diversifiés et où le conseil occupe une place encore plus forte qu’en officine. En effet, l’opticien conseille le type de verre le plus approprié aux besoins de son client, effectue des choix esthétiques concernant les montures et réalise le montage des verres en atelier. J’aime aussi ce côté manuel que l’on ne retrouve pas non plus en pharmacie. Par contre, pharmaciens et opticiens ont en commun le travail paperassier lié au tiers payant, et sur ce plan, nos deux professions galèrent de la même façon ! »

(Véronique, l’opticienne)

« Alors ça oui, je préférerais être pharmacien mais il fallait faire de trop longues études pour vendre des boîtes ! Sinon, c’est un commerce nickel : ils font leurs heures, le soir ils baissent le rideau et c’est terminé, pas de ménage à faire. Le matin, ils ouvrent au plus tôt à 8 heures, sans avoir à commencer à travailler avant, le rêve ! »

(Didier, le boulanger)

« Si j’avais été meilleure en maths et en chimie, j’aurais aimé être pharmacienne d’officine, pour le côté humain, car c’est un métier où l’on essaie d’apporter plus de bien-être aux gens par du soin et de l’esthétique. » (Stéphanie, la responsable d’un magasin de vêtements)

« Il faut faire de longues études, contrairement à ma spécialité. Et puis, les pharmaciens vendent trop de choses pour tout bien connaître : moi, je ne vends que ce que je connais. J’aurais pu être tenté par ce métier, mais à l’ancienne, quand les pharmaciens faisaient beaucoup de préparations. Dans le métier d’apothicaire, il y avait une créativité qu’on ne connaît plus maintenant. Aujourd’hui, il me semble que les pharmaciens deviennent un peu des robots : bientôt, l’ordonnance passera dans l’ordinateur et les médicaments arriveront directement sur le comptoir. » (Antoine, le coiffeur)