La collectivité se décharge sur l’officine

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Publié le 17 janvier 2004
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La collecte et l’élimination des déchets de soins – « piquants-coupants » d’abord – est à l’ordre du jour en ce début d’année. Ordre, syndicats, groupements affinent leurs positions sur la place de l’officine au sein de filières à organiser au plus vite, d’ici à fin 2004. Ici et là, des pharmaciens participent déjà à une vingtaine d’expériences de différente nature.

Veut-on transformer l’officine en déchetterie ? Sous la pression des pouvoirs publics et d’associations de patients, la question alimente actuellement un large débat dans la profession. Début décembre, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et l’Association française des diabétiques (AFD) ont précisé l’objectif : obtenir la mise en place de circuits de récupération de déchets de soins d’ici à fin 2004 sur tout le territoire français. Car dans notre pays, toujours en voie de prise de conscience environnementale et sanitaire, rien n’est encore sérieusement organisé en la matière : seringues, sang, pansements, dispositifs médicaux en tout genre et autres déchets anatomiques issus de soins à domicile prennent le chemin de la décharge. Avec et au milieu des ordures ménagères. Pour l’heure, suite à plusieurs incidents dans des déchetteries, seuls les « piquants » et « coupants » sont au centre du débat. Et des expériences locales sont menées un peu partout en France. Mais, sur fond de développement du MAD et de l’HAD, la question des déchets mous ne devrait pas tarder à suivre…

La loi de 1975 – désignant « tout producteur de déchets responsable de ceux-ci tout au long de la filière (tri, collecte, stockage, transport) jusqu’à leur élimination finale » – avait pourtant montré la voie. Mais il aura fallu attendre 2004 pour voir s’organiser l’application d’un décret de 1997 (lire p. 23) sur les déchets d’activités de soins à risques infectieux (DASRI). Entre-temps, un arrêté du 7 septembre 1997 a édicté les modalités très strictes d’entreposage des DASRI, notamment quant à leurs conditions de stockage (locaux adaptés) et à la durée maximale de celui-ci (trois mois). Enfin, une circulaire de la DGS du 9 juin 2000 a établi que « les DASRI produits par les ménages peuvent être considérés comme des déchets ménagers spéciaux et, à ce titre, être acceptés en déchetteries. Il appartient à la collectivité de déterminer les limites du service rendu, de se prononcer sur la possibilité d’accepter ou non ces déchets et dans quelles conditions ».

Mais, trois ans plus tard, aucune réponse n’a encore été officiellement apportée à deux questions essentielles : où les patients en autotraitement doivent-ils apporter leurs déchets et qui finance ? Car toutes les déchetteries ne sont pas, loin de là, équipées pour stocker des déchets ménagers spéciaux. Elles sont par ailleurs peu nombreuses en zone urbaine et des bornes automatiques d’apport volontaire constitueraient une solution plus onéreuse.

L’Ordre prépare sa copie.

Non producteur de DASRI, le pharmacien n’a aucune obligation légale à se préoccuper de leur collecte et de leur élimination. Mais, côté pouvoirs publics et collectivités locales, certains voient en lui un professionnel de santé de proximité tout indiqué pour collecter ce genre de déchets. Forts du succès de Cyclamed, les pharmaciens ne pourraient-ils pas tenir un rôle central en matière de DASRI ? « Le système Cyclamed n’est pas adapté au retour de produits souillés, contaminants, répondait Bernard Capdeville, président de la FSPF, à l’occasion des dix ans de Cyclamed. Je serais curieux d’interroger des épidémiologistes sur l’opportunité de concentrer des produits souillés dans un lieu public où il y a, en plus, beaucoup d’enfants. »

Du côté de l’Ordre, « le conseil central A mène en ce début d’année une réflexion approfondie sur le rôle que les pharmaciens pourraient avoir, dans le respect de la législation en vigueur », indique Isabelle Adenot, sa présidente (lire aussi p. 26). Avant de finaliser sa position au cours de ce premier trimestre, l’Ordre a avancé une proposition, début décembre, lors d’une réunion à l’initiative de l’AFD : le pharmacien pourrait remettre la première boîte de récupération de piquants-coupants aux clients demandeurs et les informer sur l’élimination de leurs DASRI « par apport volontaire en déchetterie ». Le financement de la distribution de boîtes serait pris en charge par les caisses de Sécurité sociale sur prescription, ou par les collectivités locales. Entre professionnel de santé non producteur de déchets, pas du tout concerné, et acteur de premier rôle dont la proximité lui vaudrait de devenir collecteur de déchets en tout genre, il y a sans doute une place à trouver pour le pharmacien d’officine.

Le Finistère a la solution.

Confrontés à la problématique, sinon au quotidien du moins régulièrement, certains officinaux ont décidé d’agir. François Rodas, installé à Plogastel-Saint-Germain, est de ceux-ci. Ce « pharmacien de base », comme il se définit lui-même, écrit au préfet du Finistère pour le saisir du problème dès 1998, suite à la création d’un réseau sida à Quimper. « A l’époque, le décret de la loi de 1997 n’était pas sorti et ma demande est restée lettre morte, raconte-t-il. En 2000, nouveau problème : avec la mise en place d’un réseau de cancérologie, nous nous sommes retrouvés bloqués pour la récupération de déchets de soins à domicile. Nous avons obtenu que les infirmières les récupèrent, sinon pas de chimio à domicile… Et puis, fin 2000, il y a eu un incident à la déchetterie de Paimpol : un agent s’est piqué avec une aiguille de seringue en triant de la ferraille. »

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Chargé du dossier DASRI par la chambre syndicale des pharmaciens du Finistère, François Rodas le porte devant la communauté urbaine de Brest pour commencer, puis devant les vingt-cinq autres communautés de communes du Finistère. A ce jour, seize d’entre elles ont opté pour le système de « collecte des déchets d’activités de soins piquants-coupants des particuliers en autotraitement » qu’il a fortement contribué à mettre en place.

En parfaite conformité avec la loi, le dispositif est entièrement financé par les communautés de communes. Dans toutes les officines du Finistère, sur présentation d’une ordonnance justifiant l’utilisation de seringues, les particuliers peuvent retirer gratuitement une première boîte de stockage de leurs seringues usagées. Une fois pleine, elle est apportée par l’usager en déchetterie et échangée contre une boîte vide. Par l’intermédiaire de prestataires spécialisés, les communautés de communes prennent également en charge le traitement et le transport de ces déchets jusqu’à un centre de valorisation agréé.

Mettre la pression sur les élus.

Une formule similaire de récupération de piquants-coupants fonctionne depuis février dernier dans le Lot. Les 70 pharmaciens du département distribuent aussi des boîtes à leurs clients qui les apportent ensuite en déchetterie. Seule différence notable : l’initiative revient ici à une structure fédérative intercommunale, le Syndicat mixte départemental pour l’élimination des déchets ménagers. En dix mois, quelque 1 400 boîtes ont été distribuées et 600 ont été déposées dans les dix-neuf déchetteries du Lot. « Tout le monde joue le jeu et le système fonctionne très bien », assure Danièle Fourniols, pharmacienne, conseillère ordinale et… maire de Castelnau-Montratier, commune de 2 000 habitants. Doublement concernée, Danièle Fourniols porte un regard affûté sur le dossier DASRI. Pour elle, la balle doit avant tout être portée dans le camp des collectivités locales : « Il faut faire pression sur les élus, estime-t-elle, c’est comme cela que l’on arrivera à régler le problème là où ce n’est pas encore le cas. »

Même son de cloche du côté d’Eric Ruspini, pharmacien à Gerbéviller (Meurthe-et-Moselle) et président de la commission Prospective de Giphar : « C’est aux collectivités locales de prendre en charge les DASRI. En novembre, nous avons adressé une lettre type à nos 1 200 adhérents pour qu’ils la fassent passer à leurs clients diabétiques et que ceux-ci l’envoient à des élus pour les inviter à mettre en route une politique de points d’apport volontaire sécurisé sans surcoût pour le patient. » Et de plaider « pour l’élargissement à toute la France de l’expérience du Finistère ».

Ecobox en stock chez Giropharm.

Depuis quelques mois, les 800 adhérents Giropharm sont, quant à eux, non seulement invités à distribuer à leurs clients diabétiques des boîtes de récupération fournies par le groupement, mais aussi à stocker les boîtes pleines rapportées. Celles-ci sont ensuite collectées dans les trois mois par une société spécialisée. « Parce que rien n’était fait depuis des années, nous avons voulu apporter ce service à des malades, en partenariat étroit avec l’AFD, explique Pierre Austruy, président de Giropharm. Aujourd’hui, une bonne moitié de nos adhérents participe à l’opération. Chaque pharmacie est équipée d’un Ecobox, un conteneur sécurisé dans lequel le malade dépose lui-même ses seringues. Pour la sécurité de l’équipe officinale, il est beaucoup plus dangereux de collecter des MNU à travers Cyclamed », estime Pierre Austruy. Un avis partagé par Hélène de Graeve, pharmacienne et cheville ouvrière d’une expérience semblable, récemment lancée en Haute-Garonne par le réseau officinal Pharmasoins 31 sur l’ensemble du territoire de la communauté des quinze communes du Muretain : « Dans ma pharmacie, au début de Cyclamed, nous mettions le nez dedans et c’était aussi propre qu’une cage de chimpanzé, une vraie poubelle ! Depuis, j’interdis à mon personnel d’ouvrir les sachets. Cela n’a rien à voir avec les boîtes des diabétiques qui arrivent hermétiquement fermées. »

A Rennes, en novembre dernier, la communauté d’agglomération a sollicité les représentants de la profession afin d’étudier un partenariat avec les pharmaciens. Elle leur propose un ramassage gratuit de conteneurs dans les officines, une fois par trimestre. Les conteneurs seraient déposés par les patients diabétiques au cours de la semaine précédant la collecte. Avant d’y répondre et bien que peu disposé à accepter la proposition, le syndicat des pharmaciens d’Ille-et-Vilaine a souhaité sonder la base en adressant un questionnaire aux 330 titulaires du département. Non sans présenter le système mis en place dans le Finistère et inviter les répondants à indiquer leur préférence. Avant d’être élargi à toute la Bretagne dans les prochaines semaines, ce premier sondage de la profession livre un verdict sans appel : « Au 10 janvier, sur 120 réponses, 90 % des pharmaciens ayant répondu s’opposaient au stockage de conteneurs à l’officine et autant à être plutôt partisans de la solution finistérienne », annonce François Lambelin, président du syndicat. Un « non » franc et massif à l’officine déchetterie.

Ce que dit la réglementation française

-Le décret n° 97-1048 du 6 novembre 1997 « relatif à l’élimination des déchets de soins à risques infectieux et assimilés et de pièces anatomiques » en donne une définition aussi large que précise. Il s’agit des « déchets issus des activités de diagnostic, de suivi et de traitement préventif, curatif ou palliatif dans les domaines de la médecine humaine ou vétérinaire ». Parmi ceux-ci, sont soumis aux dispositions prévues par ce décret ceux qui :

-#gt; « soit présentent un risque infectieux du fait qu’ils contiennent des micro-organismes viables ou leurs toxines ;

-#gt; soit, même en l’absence de risque infectieux, relèvent de l’une des catégories suivantes :

– matériels et matériaux médicaux piquants ou coupants destinés à l’abandon qu’ils aient été ou non en contact avec un produit biologique ;

– produits sanguins à usage thérapeutique incomplètement utilisés ou arrivés à péremption ;

– déchets anatomiques humains correspondant à des fragments humains non aisément identifiables ».

Toute personne qui produit des déchets de l’une ou l’autre de ces catégories est tenue de les éliminer. Cette obligation incombe :

– à l’établissement de santé, d’enseignement, de recherche ou l’établissement industriel lorsque ces déchets sont produits dans un tel établissement ;

– à la personne morale pour le compte de laquelle un professionnel de santé exerce son activité productrice de déchets.

Dans les autres cas, à la personne physique qui exerce l’activité productrice de déchets.

– Un arrêté du 7 septembre 1999 précise les conditions de stockage des déchets de soins : ventilation, protection et surtout délais de conservation. Pour des quantités inférieures à 5 kilogrammes par mois, le délai peut être de trois mois entre la « production » et le ramassage. Les filières d’élimination sont prévues par un autre arrêté de la même date.

L’arrêté rend obligatoire un contrat entre le « producteur » et l’entreprise de ramassage/élimination.

– Enfin, les emballages des déchets de soins à risques infectieux et assimilés viennent de faire l’objet d’un arrêté du 24 novembre 2003 publié au Journal officiel du 26 décembre. Cet arrêté distingue les sacs en plastique ou plastifiés, des caisses en carton doublées de plastique, des fûts en plastique et enfin des bennes de transport. Il indique les tailles, les matériaux, la solidité et le marquage.

La réglementation se met progressivement en place. Elle est déjà appliquée dans ses grandes lignes par les établissements de santé et les laboratoires d’analyses.

Les pharmacies n’ont pas de locaux conformes

« Le Moniteur » : Quel doit être le rôle du pharmacien en matière d’élimination des DASRI ?

Isabelle Adenot : Des initiatives locales partent un peu dans tous les sens concernant l’élimination des DASRI. Toutes ces expérimentations correspondent à un besoin mais, aussi louables soient-elles, n’engagent-elles pas le pharmacien trop loin ? Une certitude : le pharmacien n’est pas producteur de déchets. Bien évidemment, en tant qu’acteur de santé, il ne peut en rester là et est sensibilisé à la question de leur élimination. Mais de là à transformer nos pharmacies en déchetteries ! Et que dire d’y faire cohabiter un circuit sale et un circuit propre, ce qui n’est pas le cas avec les retours Cyclamed ? Et quand bien même nous aurions des honoraires pour supporter ces coûts d’élimination, souhaitons-nous des honoraires pour nos actes pharmaceutiques ou des honoraires d’élimination de déchets ?

L’officine pourrait-elle être adaptée au stockage de DASRI ?

Les pharmacies n’ont pas de locaux conformes à l’arrêté du 7 septembre 1999 : lesquels d’entre nous ont des locaux réservés à l’entreposage des déchets, avec une inscription apparente sur la porte, offrant une sécurité optimale contre les risques de dégradation, de vol et d’incendie, ventilés et éclairés, avec dispositifs pour prévenir la pénétration des animaux, avec un sol et des parois lavables, une arrivée d’eau et une évacuation des eaux de lavage vers le réseau des eaux usées dotée d’un dispositif d’occlusion hydraulique conforme aux normes en vigueur… ?

Vers qui faut-il alors se tourner ?

Nous avons écrit le 1er septembre à Mme Bachelot, ministre de l’Ecologie et du Développement durable, pour lui demander qu’elle donne une nouvelle impulsion aux collectivités locales afin qu’elles acceptent de rendre les déchetteries opérationnelles pour les DASRI, conformément à la circulaire du 9 juin 2000. Mais, bien sûr, les points d’apport volontaires automatiques sont chers et certains pensent que les pharmacies représentent les meilleurs lieux de collecte – et ce gratuitement – et envisagent même de rendre les pharmaciens collecteurs de déchets pour les autres professionnels de santé ! Alors que les collectivités locales sont responsables de ces déchets, il est bien tentant en effet de transférer cette responsabilité au pharmacien de proximité…

A retenir

– Non producteur de déchets de soins à risques infectieux (DASRI), le pharmacien d’officine n’a aucune obligation légale en la matière.

– Malgré une évolution législative importante et constante depuis 25 ans, le traitement des déchets n’est pas encore totalement organisé en France. Celui des piquants-coupants devrait l’être d’ici à fin 2004.

– L »Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie et la DGS, ont lancé un recensement national des expériences en cours pour définir fin 2004 ou début 2005 des solutions opposables à tous.

– Un diabétique insulinodépendant produit environ 4 kg de déchets (seringues, aiguilles, lancettes et bandelettes) par an.