Les nouveaux blockbusters

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Publié le 29 novembre 2008
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Big pharmas, blockbusters, marchés de masse… Le modèle de développement de l’industrie pharmaceutique ne ressemble plus tout à fait à ce schéma. Nombre de nouveaux médicaments sont désormais des médicaments dits « de spécialité » ou issus des biotechnologies. Un changement qui risque d’avoir des implications importantes sur le système de soins mais aussi sur la chaîne de distribution

Big is beautiful. C’était le slogan de la dernière décennie. Le développement de l’industrie pharmaceutique se caractérisait alors par une course à la taille, motivée notamment par le coût de la promotion et la multiplication des forces de vente (jusqu’à six réseaux parallèles de visiteurs médicaux pour certains laboratoires !). Symbole de cette période : la réussite de Pfizer, devenu numéro un mondial. Et la création du géant franco-allemand Sanofi-Aventis à coup d’acquisitions réalisées sur une quinzaine d’années. C’était aussi le temps des blockbusters, ces médicaments au chiffre d’affaires de plus de 1 milliard de dollars, ciblant des pathologies touchant une population très large de patients (hypertendus, asthmatiques, bronchitiques chroniques…).

Ce temps-là est-il terminé ? Oui et non. Certes, ce n’est pas la fin des blockbusters. « Il existe toujours des médicaments qui dépassent le milliard de dollars de chiffre d’affaires. Simplement, il ne s’agit plus des mêmes produits, précise Emmanuel Sève, directeur d’études du cabinet d’études Precepta. A l’origine, les blockbusters visaient des marchés de masse, aujourd’hui ce sont des marchés de niche, de spécialités. Aujourd’hui ces médicaments ne ciblent plus qu’un petit nombre de patients. » Et le chiffre d’affaires n’est plus atteint grâce au volume de ventes mais grâce au prix, d’emblée élevé, obtenu auprès des agences du médicament de chaque pays en raison du caractère innovant des produits.

La taille, en revanche, ne garantit plus la réussite. En tout cas, elle n’a pas forcément suffi face à la concurrence des génériques et la difficulté croissante à alimenter le pipeline de la recherche. Après coup, on constate que les laboratoires qui ont tiré leur épingle du jeu sont ceux qui ont pris le virage de la recherche à temps. Comment ? En attirant les meilleurs projets grâce à des partenariats avec des start-up spécialisées dans des technologies de pointe comme la génomique, la protéomique, la chimie combinatoire… « Le modèle le plus couramment cité est celui de Roche, souligne Claude Allary, fondateur associé du cabinet de conseil Bionest Partners. Le laboratoire a investi dès 1990 dans Genentech, devenu depuis la deuxième biotech mondiale. Pfizer a suivi l’exemple en multipliant depuis 2005 les acquisitions de biotechs et en arrêtant ses recherches sur le cardiovasculaire, tandis que des sociétés de biotechnologie ont tiré elles-mêmes profit de leurs découvertes comme l’Américain Amgen avec Aranesp, une EPO recombinée. »

Cette réorientation a conduit en corollaire les laboratoires à revoir leur organisation, ce qui s’est traduit par des restructurations. Avec, à la clé, la réduction des forces de vente, la vente de pôles jugés moins stratégiques et le resserrement du champ de la recherche & développement.

La pression sur les prix s’accentue

Le basculement est perceptible. Selon IMS Health, en 2007 les blockbusters de spécialistes ont dépassé en nombre les blockbusters dits « généralistes », soit 52 % des 106 molécules lancées sur le marché (voir graphiques ci-dessous). Ce développement pourrait ne pas être sans conséquences sur l’assurance maladie. Pourra-t-on continuer à rembourser tous les médicaments et à conserver un accès équitable aux soins à tous les patients ?

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Le débat a été posé récemment par le président de la Haute Autorité de santé, Laurent Degos, qui a remis en question le prix « exagérément élevé » des médicaments innovants*. Le gouvernement, lui, tente de résoudre cette équation en pinçant les dépenses sur d’autres postes, notamment en multipliant les déremboursements. Selon Frédéric Thomas, du cabinet de conseil Arthur D.Little, « la tendance, pour l’assurance maladie, sera de toute façon à la baisse des prix de ces médicaments – seule l’innovation majeure obtiendra un prix significativement plus élevé que celui du produit auquel elle est comparée – et un financement par les « économies » réalisées sur les autres médicaments via la baisse des prix induite par la pression des génériques ».

Cela suffira-t-il ? Pour Laurent Degos, il faut aussi se baser sur des outils d’évaluation médicoéconomiques des médicaments, la mise en regard de leurs bénéfices et de leurs coûts et le développement d’études post-AMM pour justifier le niveau de prise en charge des médicaments. Reste, a-t-il précisé, que « nous devons aider l’assurance maladie à dépenser mieux, mais pas forcément à dépenser moins ».

Vers une mutation de la distribution ?

Cette évolution pourrait aussi avoir des conséquences sur le mode de distribution : en raison de leur technicité, certains produits innovants requièrent des règles de stockage et de livraison particulières. « Ces produits sont dispensés en priorité à l’hôpital, souligne Claude Allary. Mais la volonté des pouvoirs publics est de les transférer en ville, comme on a pu le constater avec la sortie de la réserve hospitalière. »

Plusieurs scenarii se dessinent : dans le premier, on s’orienterait vers une spécialisation des pharmacies, un certain nombre seulement choisissant d’assurer la délivrance de médicaments pointus et très techniques. « Les laboratoires pourraient également vouloir garder la maîtrise de la distribution de ces produits, pour des raisons de traçabilité et de sécurité, en optant pour la vente directe aux officines », ajoute Lucien Bennatan, président du groupe PHR, qui a observé le phénomène en Angleterre avec le « direct-to-pharmacy ».

Maîtrise de la distribution mais aussi maîtrise des conditions commerciales et, pourquoi pas, à terme aussi, une sélection des officines ? Dans ce second scénario, on aboutirait également à une « spécialisation » mais cette fois-ci due aux laboratoires eux-mêmes. « Les pharmacies seront livrées si elles répondent à un code de bonnes pratiques », pense Lucien Bennatan, qui insiste sur la nécessité, plus forte que jamais, de garantir la qualité des pratiques officinales. Par l’obtention, par exemple, d’une certification qualité.

* Le prix élevé des médicaments innovants est dû notamment aux dispositifs inscrits dans la LFSS de 2003. Ils visaient à raccourcir les délais de mise à disposition des médicaments innovants auprès des patients et à rapprocher les conditions de commercialisation, notamment en termes de prix, des grands Etats européens.

Emmanuel Sève, Precepta

A l’origine, les blockbusters visaient des marchés de masse, aujourd’hui ce sont des marchés de niche, de spécialités. Ils visent un plus petit nombre de patients.