La spécialisation à pied d’oeuvre

Réservé aux abonnés
Publié le 19 avril 2008
Mettre en favori

Une spécialisation bien mise en place est toujours un facteur de fidélisation et de développement. La preuve avec Jacques Callanquin, installé à Metz, en Moselle, qui a très vite élargi ses compétences pour devenir un spécialiste du pied.

Quand on demande à Jacques Callanquin pourquoi il a développé la podologie, il vous répond : « C’est le hasard et la nécessité. » La nécessité, car c’est à la demande de certains patients qu’il décide de développer l’orthopédie dans son officine. Pour cela, il obtient le diplôme universitaire d’orthopédie en 1990, diplôme nécessaire à cette époque pour la délivrance d’orthèses (ce n’est plus le cas maintenant depuis la convention de 2006 et les arrêtés de février 2007). Le hasard, car c’est lors de ce DU qu’il découvre la podologie et qu’il s’y intéresse : « J’ai creusé, creusé et ça me passionnait. » Il se consacre très vite à cette activité, déléguant l’orthopédie à son adjointe.

Aujourd’hui, force est de constater le bien-fondé d’une telle spécialisation. « La podologie m’a permis de maintenir l’activité de l’officine », estime Jacques Callanquin. Cette activité apporte une autre forme de rémunération et fidélise une nouvelle clientèle sans pour autant exiger un investissement énorme, que ce soit en termes d’étude ou d’investissement financier : « Paradoxalement, ça demande des connaissances plus circonscrites que l’étude des médicaments. » Par ailleurs, la podologie a apporté à Jacques Callanquin une approche différente et une meilleure reconnaissance du patient et du corps médical par rapport à la délivrance de médicaments. Le pharmacien est reconnu par les médecins et même par des rhumatologues. « Je me suis trouvé, construit à travers ces activités-là. Ça m’a apporté un épanouissement personnel et une identité, une reconnaissance. »

A l’heure actuelle, Jacques Callanquin reçoit une dizaine de patients par jour dans le cadre de son activité de podologie. Chaque patient vient au moins trois fois à la pharmacie pour la conception des semelles.

Lors du premier rendez-vous, Jacques Callanquin examine les pieds de son patient sous toutes leurs coutures : en décharge, au cours de la marche… Il y découvre d’ailleurs souvent des traits de caractère : « A travers l’examen des pieds, je peux connaître le caractère des patients. Par exemple, les personnes toniques et nerveuses ont le plus souvent le pied creux. Elles sont toujours stupéfaites que cela transparaisse dans leurs pieds. »

Jacques Callanquin observe ensuite la statique et les zones d’appui à l’aide d’un podoscope, ce qui lui permet de déterminer les corrections à apporter pour soulager le patient. Il prend également les empreintes à l’aide d’un podographe pour confirmer son diagnostic. Les empreintes permettent aussi de choisir le gabarit de la semelle, de déterminer la taille et la position des pièces correctrices de la semelle. « Il faut prendre le temps de discuter avec le patient car il est impératif de soulager en priorité ce qui lui fait mal. »

Publicité

« On ne pensait pas que ça prendrait cet essor-là »

Pendant cet échange, Jacques Callanquin lui explique ce que les semelles vont lui apporter. « Les personnes tendues ont tendance à présenter un pied enraidi. Celles qui ne veulent jamais rien entendre nous affirment que leurs chaussures sont larges et confortables alors qu’elles y introduisent très difficilement leurs pieds. Elles viennent à l’essayage avec des chaussures qu’elles ne peuvent plus mettre parce que trop étroites, en espérant qu’il y aura plus de place avec les semelles orthopédiques. Cet exemple illustre la nécessité de bien informer le patient sur les objectifs de l’appareillage avant de l’entreprendre. »

Le local qu’a aménagé Jacques Callanquin pour l’orthopédie s’avère trop petit à l’heure actuelle : « On ne pensait pas que ça prendrait cet essor-là. » La réputation de Jacques Callanquin s’est faite au fur et à mesure grâce à son sérieux et à un prix tiré au plus juste. « J’achète les semelles à mon façonnier 50 Û pour les revendre 105 Û. La Sécurité sociale prend en charge 30 Û environ. »

Pour développer cette activité, Jacques Callanquin a d’abord rencontré des façonniers pour trouver celui en lequel il aurait confiance. Il a ensuite acheté 600 euros de matériel (podoscope, podographe encreur…) et aménagé un local. Une fois installé, il a commencé par commander des semelles entièrement fabriquées par le façonnier. Actuellement, il effectue lui-même les corrections et il pense même à les fabriquer pour améliorer sa marge.

Les pharmaciens moins chers que les podologues

Pour se faire connaître, Jacques Callanquin a placé des affiches sur le comptoir, puis le bouche-à-oreille a fait le reste : « Ça ne se fait pas du jour au lendemain, mais ça permet de monter progressivement en puissance. Il ne faut pas avoir peur ni faire de complexe par rapport aux podologues. Grâce au DU, les pharmaciens ont les mêmes compétences (diplôme d’Etat de podologue-pédicure, sur 3 ans). Mais les officinaux ont en sus une formation scientifique plus importante qui permet d’avoir un regard plus critique. De plus, les pharmaciens sont souvent moins chers que les podologues car la podologie n’est pas leur seule source de revenus. »

Enfin, la podologie a conduit Jacques Callanquin à élargir ses domaines d’activité : « Quand on repasse un diplôme à 42 ans, on travaille autrement que quand on est étudiant. » Conquis par sa nouvelle activité, il décide d’écrire sa thèse sur la podologie, thèse dont il n’a pas besoin car il est déjà installé depuis 1973 : « J’ai voulu faire une thèse pour trouver toutes les réponses qui se posaient à moi dans la pratique quotidienne. » Le travail théorique appris le dimanche était mis en pratique dès le lundi. Sept ans après, en 2000, ce travail aboutira à un livre, coécrit avec son maître de thèse, mélange de théorie et d’expérience. « Il n’existait pas d’ouvrage dans ce domaine. » Entre-temps, Jacques Callanquin effectuera le diplôme universitaire de maintien à domicile… et écrira aussi un livre sur le sujet, en 1998 !

Comme quoi, le pied c’est bon pour la tête.

Envie d’essayer ?

Les avantages

l Une activité comme la podologie permet de fidéliser une nouvelle clientèle.

l A cette activité peuvent se greffer des conseils associés (chaussures, soins dermocosmétiques pour les pieds…) et servir de « locomotive » à l’orthopédie et au MAD.

l Elle permet d’avoir une approche médicale différente, souvent mieux reconnue par le patient et par le corps médical par rapport à la délivrance de médicaments.

Les difficultés

l Cette activité demande du temps.

l Il faut un local permettant d’effectuer les mesures, les retouches des semelles dans de bonnes conditions sanitaires.

l C’est une activité encore mal connue, surtout en pharmacie, pour laquelle il faut beaucoup communiquer pour se constituer une patientèle.

Les conseils de Jacques Callanquin

l « Même si aucun diplôme n’est obligatoire, il est indispensable de se former : l’obtention du DU d’orthopédie (incluant une partie consacrée à la podologie) associée à un ou deux stages et à la lecture d’ouvrages spécifiques permet largement d’acquérir les connaissances dans ce domaine. »

l « Il faut se lancer en procédant par étape. C’est à la portée de tous. Paradoxalement, cela demande des connaissances plus circonscrites que l’étude des médicaments. »

l « Il faut prendre le temps d’expliquer aux patients les objectifs du traitement et les conditions de réalisation des semelles ainsi que de leurs modalités de prise en charge. »