La méthode Toyota appliquée à l’officine

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Publié le 14 juin 2008
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A la Pharmacie de Tocqueville, Franck Lahmy a converti son équipe à la méthode Kaizen, modèle de l’industrie automobile japonaise. Ses principes : une organisation très cartésienne en rationalisant les tâches et un reporting détaillé des performances de vente.

A l’usine Toyota, au Japon, plus de neuf millions de véhicules sont produits à la chaîne, à une cadence infernale, selon un modèle de productivité qui a fait ses preuves : la méthode Kaizen. Un univers éloigné de l’officine ? Pas si sûr. A la Pharmacie de Tocqueville, dans le XVIIe arrondissement parisien, la rationalisation des tâches prônée par cette méthode d’« amélioration continue » (traduction littérale de « Kaizen ») est appliquée dans les règles de l’art.

« Dans une officine, l’équipe est vite débordée par le nombre de petites tâches quotidiennes à accomplir. Or cette méthode, qui consiste à maîtriser les coûts humains, permettait de mieux s’organiser afin de gagner en rentabilité », explique Franck Lahmy, le titulaire de cette officine réalisant un chiffre d’affaires de deux millions d’euros. A ses yeux, la découverte de la méthode nipponne a tout changé. Installé depuis vingt ans dans une artère très passante de la capitale, Franck Lahmy gérait son point de vente comme il pouvait. Un peu au fil de l’eau. « La pharmacie obéissait à une logique de court terme. Il fallait gérer les problèmes au quotidien. Je manquais de temps pour élaborer une vraie stratégie de développement », confie-t-il. Surtout, rien n’était vraiment organisé et la rentabilité de l’officine en pâtissait. En 2003, un client de la Pharmacie de Tocqueville lui fait découvrir cette méthode japonaise. Il s’agit ni plus ni moins de Thierry Martin, président de Kaizen France. C’est le déclic. « J’ai eu un coup de coeur pour cette méthode qui pouvait nous apporter l’organisation qui nous faisait défaut. » Elle se montre en effet d’une rigueur implacable et ne laisse aucune place à l’improvisation ou à la spontanéité. Ainsi, du comptoir au back-office, les principales tâches sont informatisées, consignées noir sur blanc et, surtout, contrôlées par un responsable.

« La méthode montre que la mesure amène le résultat »

Dans l’officine qui compte plus de quatre personnes à temps plein, les exemples de cette nouvelle organisation ne manquent pas. Sur le comptoir d’abord, où l’ordre règne en maître. « Les stylos ou le Scotch ont une place bien définie. Des salariés sont chargés de ranger les comptoirs deux fois par jour et d’apporter des fournitures manquantes, ce qui évite de trop fréquents allers et retours à la réserve », explique Franck Lahmy. Cette procédure, qui a pour objectif de gagner du temps, est la même pour les autres tâches de l’officine. Ainsi, afin d’éviter de mobiliser une à deux personnes pour gérer le stock de produits en réserve, Franck Lahmy a mis en place une gestion informatisée. « Tous les produits sont classés en catégories dans l’ordinateur. Au fil des ventes, le logiciel met automatiquement à jour le stock restant en réserve, poursuit le titulaire. Jusqu’ici, nous faisions nous-mêmes chaque soir, à la main, la liste des produits qui manquaient et qu’il fallait remonter dans l’espace de vente. Avec ce système informatisé, nous gagnons un temps précieux. »

Cela a également permis au pharmacien d’optimiser la gestion du tiers payant. « Avant, j’avais des factures dans tous les sens, que je triais ponctuellement au moment de faire des télétransmissions. » L’effet Kaizen a transformé ce joyeux bazar en un rangement méthodique et organisé. « Nous avons créé cinq bacs dans lesquels sont triées, chaque matin, les factures de tiers payant. Ainsi nous gagnons deux heures par semaine. »

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La clôture des caisses est elle aussi soumise à la même rigueur japonaise. « L’argent qui sort est obligatoirement inscrit sur l’ordinateur, qui recalcule automatiquement le fond de caisse. De cette manière, il n’y a pas de risque d’erreur. »

La rationalisation des tâches ne touche pas seulement la gestion interne de l’officine. Elle est devenue un outil de merchandising à part entière. « La méthode Kaizen nous montre que la mesure amène le résultat », juge Franck Lahmy. C’est pourquoi le pharmacien a mis en place une série de tableaux de bord analysant chaque mois les rotations d’une quinzaine de produits. Pas n’importe lesquels. « Ce sont les produits conseil, à forte marge, que l’équipe officinale peut vendre en complément d’une ordonnance, par exemple », précise Franck Lahmy.

Un challenge de 0,50 à 1 euro par boîte vendue

Les collaborateurs y sont d’ailleurs fortement incités. « Il existe un challenge de vente destiné à ces produits stratégiques pour la pharmacie, allant de 0,50 à 1 euro par boîte vendue, car, dans une logique de développement, ce sont aux collaborateurs de créer de la plus-value. C’est du gagnant-gagnant. » Dans ce souci de reporting, les résultats de chaque collaborateur de la pharmacie sont décortiqués. « Le panier moyen et le nombre de clients hebdomadaires de chaque salarié servant au comptoir sont notés et comparés à la moyenne de l’équipe. » Des performances sur lesquelles le pharmacien communique très régulièrement. « Chaque semaine, je rencontre individuellement les membres de l’équipe afin de leur communiquer le résultat de leurs ventes », dévoile-t-il. Histoire de déterminer ce qui, éventuellement, pourrait être ajusté afin de rectifier le tir.

Cette démarche a-t-elle porté ses fruits ? Cinq ans après l’avoir mise en place, Franck Lahmy tire un bilan plutôt positif. le premier effet est économique. « La conjoncture des officines devient très difficile. Cette organisation des tâches m’a permis de diminuer le coût humain, puisque j’ai pu faire progresser mon chiffre d’affaires sans embaucher de nouvelles personnes », indique-t-il. Ainsi, la masse salariale de la Pharmacie de Tocqueville a baissé de deux points, passant de 13 à 11 %. En outre, cette nouvelle organisation a permis à Franck Lahmy de lâcher du lest. « Avant, j’étais très présent dans ma pharmacie car je devais surveiller que tout se passe bien. Grâce à la méthode Kaizen, j’ai pu me libérer du temps car les tableaux de reporting remplissent cette fonction de contrôle. »

Partager l’expérience avec d’autres titulaires

Mais le pharmacien reconnaît qu’une telle organisation n’est pas facile à faire accepter. « Si je l’avais imposée, cela n’aurait sans doute pas fonctionné. » Pour l’appliquer, il a donc sollicité l’aide de Thierry Martin. « Il venait à la pharmacie comme consultant. » Pour le titulaire, cette intervention extérieure fut déterminante dans la réussite de son projet. « Venant de l’extérieur, il était écouté et respecté par l’équipe. »

Le départ de Thierry Martin il y a quelques mois pour l’étranger a laissé l’officinal un peu sur sa faim. « La démarche n’est pas encore complètement aboutie, confie-t-il. Sans intervenant extérieur, c’est difficile d’aller encore plus loin. » Voilà pourquoi Franck Lahmy envisage de créer un échange entre titulaires de différentes pharmacies pour jouer réciproquement ce rôle stratégique de « consultant » qui lui manque. Avis aux amateurs !

Envie d’essayer ?

Les avantages

– Ne plus avoir la tête dans le guidon. Cette nouvelle organisation permet de se dégager des tâches quotidiennes et de consacrer du temps pour réfléchir à la stratégie et au développement de mon officine, ce qui est le propre de tout chef d’entreprise.

– Cette rationalisation réduit les déplacements inutiles et évite de dupliquer certaines tâches quotidiennes. Chaque chose est à sa place et chacun sait exactement ce qu’il a à faire.

– Le challenge interne sur des produits phares permet de renforcer la motivation de l’équipe officinale. Elle est ainsi directement impliquée dans cette démarche de rentabilité.

Les difficultés

– L’application d’une nouvelle méthode d’organisation nécessite l’intervention d’une personne extérieure. C’est indispensable pour que la méthode soit comprise et acceptée par le personnel. Or, il peut être difficile de trouver un expert qui jouerait le rôle de consultant dans une officine.

– Les tableaux de bord doivent être régulièrement remplis par les collaborateurs. La réussite du projet nécessite que chacun l’ait accepté et l’applique consciencieusement.

– La méthode Kaizen implique que le titulaire examine de près les tableaux de reporting et les analyse très régulièrement – idéalement une fois par semaine – afin de pouvoir rectifier le tir.

Les conseils de Franck Lahmy

« J’exige beaucoup de mon équipe. Pour que ça marche, il est bon d’associer à une telle méthode des avantages sociaux valorisants, comme une bonne rémunération, des tickets restaurants… »

– « Cette nouvelle organisation exige la participation des collaborateurs de la pharmacie. Elle doit donc être accompagnée d’un système de motivation, comme par exemple la mise en place d’un challenge interne. »