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Guy Leclerc, président de la Fédération des enseignes du commerce associé
Les pharmaciens sont de plus en plus nombreux à demander que soient mises en place des enseignes puissantes, et ce quelles que soient les décisions futures concernant le monopole ou le capital. Est-ce la solution aux problèmes rencontrés actuellement par la profession ? Nous avons posé la question à Guy Leclerc, président de la Fédération des enseignes du commerce associé.
« Le Moniteur » : Le système coopératif concerne des types de commerces très divers (magasins spécialisés, GMS, groupements de pharmacies). Quelle définition en donneriez-vous ?
Guy Leclerc : Le système coopératif consiste à regrouper des distributeurs indépendants sous une enseigne en essayant d’apporter le meilleur service à leurs consommateurs, alors que les autres formes de distribution sont d’abord axées sur le profit. Dans le système coopératif, les indépendants sont propriétaires de la structure qu’ils utilisent. Son objectif est d’améliorer les résultats du point de vente en permettant aux adhérents d’exercer leur métier dans les meilleures conditions possibles. C’est cette organisation qui nous différencie du système de franchise ; chaque associé participe à la vie du réseau.
Le système coopératif est-il bien adapté aux officines ?
Oui, pourquoi ne le serait-il pas ? Car tout ce qui régit le système coopératif est encore plus vrai chez un pharmacien. D’abord, parce que ce sont des entrepreneurs qui apportent un service – le conseil – et jouent la proximité. Ensuite, car les adhérents d’une coopérative sont souvent des acteurs impliqués dans la vie de leur commune, dans les chambres de commerce ou comme édiles. De même, le pharmacien est souvent impliqué localement, avec des contacts directs avec ses clients.
Quel est le rôle de la Fédération des enseignes du commerce associé ? Quels types de services rend-elle à ses adhérents ?
C’est une fédération de statut qui défend des réseaux organisés et contrôlés par des entrepreneurs indépendants. La Fédération des enseignes du commerce associé mène régulièrement des opérations de lobbying auprès des pouvoirs publics, mais apporte aussi des services à ses adhérents, que ce soit sur le plan juridique ou de benchmarking. Ce qui pourrait d’ailleurs intéresser les pharmaciens car, bien souvent, ils n’ont pas reçu la formation adéquate pour devenir un chef d’entreprise. Une autre vocation de la Fédération des enseignes du commerce associé est de faciliter le financement des points de vente. Pour cela, nous avons créé il y a quelques années la Socorec, un organisme financier qui apporte des fonds propres. Cet outil est au service de l’ensemble des pharmacies regroupées en système coopératif.
Selon les chiffres de la FCA, la pharmacie représente 9,3 % de l’ensemble du chiffre d’affaires du commerce associé, soit 11 800 points de vente. Que vous inspirent ces chiffres ?
Ils montrent que les pharmaciens ont besoin de se retrouver et d’échanger. Les pharmaciens recherchent des conseils de gestion, mais aussi des informations sur la façon dont va évoluer le commerce. Car, aujourd’hui, il faut voir les choses en face, le gouvernement considère le pharmacien comme un épicier. A cet égard, il faut rendre hommage aux présidents de certains groupements qui se sont retroussé les manches afin de convaincre des pharmaciens de se remettre en question, et ce qu’elles que soient les évolutions réglementaires et législatives à venir. Un mouvement est en train de naître.
Un certain nombre de pharmaciens pensent qu’ils peuvent échapper à la libéralisation et à la concentration, et notamment à l’ouverture du capital. Qu’en pensez-vous ?
Oui, ils peuvent y échapper car dès lors que vous anticipez une menace, celle-ci cesse de l’être. Comment ? En se regroupant et en mettant des moyens financiers en commun. En cela, le commerce associé permet de prendre de nouvelles parts de marché et de résister à des groupes en Bourse. Car, aujourd’hui, des coopératives mettent des moyens financiers en commun, ce qui leur donne la puissance financière adéquate pour faire face aux évolutions.
En créant des « chaînes confraternelles », en quelque sorte ?
Pas des chaînes, des réseaux.
Est-il impératif d’anticiper ce mouvement ?
Tout à fait. Une coopérative qui n’a pas de moyens financiers est perdue.
Même si l’ouverture du capital ne devait pas arriver, une organisation en réseau est un passage obligé pour les pharmaciens.
Pensez-vous, comme certains pharmaciens et groupements, qu’il faudra ouvrir le capital à des investisseurs extérieurs, faute de fonds nécessaires suffisants ?
Non ! Leurs capitaux doivent rester indépendants. A cet égard, il vaut mieux emprunter, si nécessaire. Car l’investisseur, lorsqu’il entre dans le capital, a toujours un objectif de retour sur investissement, pas forcément en phase avec l’intérêt du réseau et du point de vente. Et même souvent avec une échéance de sortie en tête ! Il y a de forts risques de conflits d’intérêts entre l’investisseur et les pharmaciens. Or, pour l’officinal, en maîtrisant son capital, quitte à emprunter, l’objectif restera le développement des entreprises. Bon nombre de coopératives qui ont d’excellents résultats se sont autofinancées. Chez Intersport, par exemple, on a additionné tous les bilans des points de vente et on est allé voir les banquiers, avec à la clé une levée d’emprunt même largement supérieure à ce qui était strictement nécessaire ! De même, quand les Centres Leclerc ont décidé de passer du supermarché à l’hypermarché en 1985, la levée de capitaux de l’ensemble des adhérents était deux fois supérieure à la capacité d’emprunt de Carrefour au même moment, qui était pourtant coté en Bourse. C’est un exemple de la puissance de bras de levier du système coopératif. Celui-ci présente, en plus, une garantie exceptionnelle pour les banques, chaque membre de la coopérative étant caution.
Des pharmaciens s’interrogent sur l’opportunité d’ouvrir le capital à des grossistes-répartiteurs. Cela présente-t-il pour vous les mêmes risques de conflits d’intérêts ?
A partir du moment où vous avez un investisseur au capital, vous avez un risque de conflit d’intérêts, même s’il n’est pas rédhibitoire. Des exemples de ce type, avec des coopératives séduites par des investisseurs qui ont fini par retirer leur capital, ont existé. Et là, vous êtes à la merci du premier investisseur qui passe et qui dictera ses conditions. On a pu également voir des adhérents-actionnaires réagir en essayant, d’abord de sortir de la Bourse, et ensuite de redevenir leurs propres propriétaires en revenant au modèle de départ de commerce associé. Il faut donc être très prudent, sauf si le grossiste-répartiteur est lui aussi un pharmacien et la structure est détenue par les officinaux, à l’exemple des CERP.
Vous voulez dire que, même avec une ouverture du capital, les pharmaciens peuvent garder la maîtrise du marché en tant qu’indépendants ?
Tout à fait ! La coopérative est un système qui vous permet de garder votre indépendance et qui n’empêche nullement d’être numéro un.
Mais l’ouverture du capital ne va-t-elle pas entraîner l’affaiblissement voire la disparition d’un grand nombre d’officines ?
Non, ce n’est pas inéluctable. Les pharmaciens doivent seulement s’organiser, physiquement, mais aussi financièrement. Il faut qu’ils acceptent de faire un certain nombre de choses en commun et qu’ils respectent un cahier des charges élaboré par l’ensemble des associés. Cela concerne par exemple l’assortiment de produits, une politique de back-office, des systèmes d’information, de mise en scène de produits, de gestion de magasin, toujours dans le respect d’un cahier des charges commun. Mais tout ceci ne signifie pas la banalisation totale du point de vente. Surtout, en faisant partie d’une enseigne, les adhérents comprennent vite qu’avec son panneau, porteur auprès du consommateur, leur affaire vaut beaucoup plus cher. Sans oublier qu’une coopérative n’est pas opéable. Il y a même des systèmes de droit de préemption de la coopérative qui existent en cas de cession de points de vente.
Certains pharmaciens se disent qu’il est déjà trop tard. Peut-on s’organiser rapidement ?
Oui. Jusqu’ici, les pharmaciens étaient relativement protégés, mais cette profession est en train de bouger. Maintenant, il n’y a plus de temps à perdre. Sur le plan juridique, créer un réseau est simple : il suffit de déposer des statuts et rédiger un règlement intérieur, la Fédération du commerce associé peut les y aider. Cependant, cela doit aussi se faire par le biais de la conviction et pourquoi pas avec l’aide de la FCA. Il faut alors un leader qui prend son bâton de pèlerin
Les pharmaciens pensent à se grouper. En revanche, les adhérents aux politiques d’enseigne des groupements tardent à se multiplier. Comment l’expliquez-vous ?
Les pharmaciens n’ont peut-être pas compris tout de suite la nécessité d’adhérer à une enseigne car ils ont un label, qui est la croix verte. Par contre, aujourd’hui, se regrouper derrière un second label, celui de l’enseigne, regroupant l’ensemble de services qui les différenciera des autres, deviendra un atout.
Le pharmacien indépendant hors de tout réseau est-il condamné ?
Non. En revanche, un indépendant reste une proie potentielle, y compris la proie de ses fournisseurs. Car, si des financiers voient qu’il y a de l’argent à gagner dans la distribution pharmaceutique, ils essaieront de monter des réseaux. Or, si des pharmaciens créent leur propre réseau, les investisseurs auront moins de facilité à les racheter. D’ailleurs, le décret qui permettra aux pharmaciens de créer des centrales d’achat pour le médicament pourrait être une opportunité de créer des réseaux puissants.
La bataille opposant Michel-Edouard Leclerc aux pharmaciens est farouche. La distribution de médicaments en GMS obéirait-elle, selon vous, à une logique économique applicable à tous les secteurs ?
Là, je répondrai en tant que consommateur. Je n’arrive plus à comprendre. J’observe déjà que le Français est un grand consommateur de médicaments. Alors, je m’inquiète à l’idée de voir changer les règles du jeu, mais aussi de voir passer certains médicaments en libre accès. Dans ce contexte, il est important que les pharmaciens défendent leur statut. Même derrière une boîte d’Efferalgan, il doit y avoir un conseil. Or, une pharmacie qui affiche « Promotion sur le Doliprane » a tout faux. Je préfère l’officinal qui me le vendra un peu plus cher, mais qui jouera son rôle en me disant combien je dois en prendre. Et dès lors que l’on trouvera du médicament dans une station-service, il n’y aura plus de mission de conseil.
Mais Michel-Edouard Leclerc insiste sur le fait qu’il a des pharmaciens dans ses parapharmacies.
Alors, pourquoi pas, car tout secteur qui ne bouge pas régresse. Il faut donc que les choses évoluent, à condition de respecter le consommateur, mais aussi le pharmacien.
Cette libéralisation est-elle inéluctable ?
Pas forcément. En revanche, il est impératif de se remettre en question. Camper sur ses positions ne sert à rien. Tous les secteurs ont été à un moment donné obligés de se remettre en cause.
L’un des arguments de Michel-Edouard Leclerc pour réclamer le médicament, mais aussi du gouvernement pour mettre en place le libre accès, est de développer la concurrence. Vous pensez qu’il n’y a pas de concurrence dans le secteur de la pharmacie ?
Non, pas du tout, c’est simplement un message plus facile à transmettre aux consommateurs. Il y a de la concurrence dans tous les secteurs de la distribution, et il n’y a pas moins de concurrence chez les distributeurs que chez les fournisseurs.
Dans la lutte contre Leclerc, on a vu des réactions rapides et assez groupées de pharmaciens. Est-ce symptomatique de la puissance d’un système comme le commerce associé ?
Effectivement. La distribution du médicament était protégée, elle est aujourd’hui remise en cause. La réaction des pharmaciens prouve qu’ils ont compris que se regrouper était la solution.
Que pensez-vous de la riposte des pharmaciens ?
Ils ont raison de vouloir protéger la santé de leurs patients et leur business !
Aujourd’hui, les pharmacies sont vendues en fonction de leur CA et non de leur rentabilité. Est-ce que d’autres secteurs du commerce associé obéissent à cette règle ?
Toutes les affaires se vendent aujourd’hui selon un mix des deux. C’est d’abord le chiffre d’affaires, pondéré en fonction de la rentabilité. Mais croyez bien que le banquier qui va prêter à un futur installé va de plus en plus regarder les deux.
Avec l’objectif du gouvernement d’améliorer le pouvoir d’achat, les pharmaciens ont l’impression d’être une cible privilégiée. Qu’en pensez-vous ?
Le gouvernement a pris le parti de regarder ce qui se passe dans l’ensemble de la distribution. Avec le but premier de faire baisser les prix et en imaginant que la distribution a beaucoup de marge, ce qui est complètement faux. En définitive, il regarde tous les secteurs de la distribution. Certes, le gouvernement veut défendre le pouvoir d’achat, on ne peut pas être contre, mais il ne faut pas faire n’importe quoi.
Bio express
Originaire des Vosges, Guy Leclerc est né en 1942. Il est père de quatre enfants et dix fois grand-père. Cet entrepreneur est un homme de terrain doublé d’un autodidacte (il est titulaire d’un brevet de technicien). Au début des années 60, il fait ses premiers pas dans la distribution alimentaire au sein d’un groupement coopératif à Belfort. En 1969, à l’âge de 27 ans, il prend la direction de l’enseigne Bravo en Lorraine. Ces premières expériences le conduiront à acheter un premier point de vente Intersport dans le sud-est de la France. Guy Leclerc détient aujourd’hui dix points de vente sous cette enseigne ainsi que trois magasins Monsieur Bricolage.
En 2006, Guy Leclerc est devenu président de la Fédération des enseignes du commerce associé. Logique, pour un homme convaincu très tôt par les atouts du système coopératif.
repères
Le commerce associé séduit
Le commerce associé suit une belle courbe ascendante. Avec une progression du chiffre d’affaires de 5,1 % l’an dernier, il rassemble 63 groupements et 116 enseignes, soit plus de 36 000 points de vente. Les pharmaciens participent largement à cette dynamique. D’après l’observatoire économique de la FCA, ce secteur ne représente pas moins de 10,4 millions d’euros de chiffre d’affaires et 11 800 points de vente. Avec seulement cinq enseignes et sept groupements adhérents, la pharmacie est le deuxième secteur le plus important (en chiffre d’affaires) du commerce associé après l’alimentation, loin devant l’optique et l’équipement de la personne.
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