Quel avenir économique pour l’officine ?

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Publié le 3 avril 2004
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Une économie de plus en plus dépendante d’un système de protection sociale à bout de souffle, des marges arrière sur le générique qui ne tiennent plus qu’à un fil, un réseau aujourd’hui confronté au défi des regroupements… La société Smart Pharma Consulting a enquêté sur l’avenir économique de l’officine. Sondage, comparaisons européennes, indices des prix, marges,… Résultats exclusifs pour « Le Moniteur ».

Sous l’effet des surremises et/ou des marges arrière sur les génériques, le taux de marge sur les génériques s’élève à 52,6 % (par rapport au prix public HT) et la part contributive du générique dans la marge totale de l’officine est de 10,7 %.

L’étude du cabinet Smart Pharma Consulting, réalisée à partir d’un échantillon d’officinaux mais aussi d’entretiens avec des représentants professionnels ainsi que des pouvoirs public, est éloquente : près de 80 % du chiffre d’affaires de l’officine et 77 % de ses profits sont issus de la vente de produits à prix administrés. Le taux de marge est de 25,8 % sur le médicament remboursable et le pharmacien retire les deux tiers de sa rémunération de la vente de médicaments princeps vignetés (voir page ci-contre).

Mais ce qui saute le plus aux yeux, c’est incontestablement la part de profit réalisée grâce au générique. Ce dernier représente un complément de rémunération particulièrement important. Sous l’effet des surremises et/ou des marges arrière sur les génériques accordées par les génériqueurs – sous forme de « contrats de coopération commerciale » -, le taux de marge sur les génériques s’élève à 52,6 % (par rapport au prix public HT) et la part contributive du générique dans la marge totale de l’officine est de 10,7 %, soit pratiquement le double de ce qu’il représente dans le chiffre d’affaires total de l’officine (6 %).

Dans un contexte de réduction des marges, le générique apparaît comme un îlot de prospérité dans un océan de crise. Car, comme le souligne Jean-Michel Pény, président de Smart Pharma Consulting, « la tentation est grande pour le gouvernement de multiplier les mesures qui permettront de réduire le taux de marge sur le remboursable de quelques points supplémentaires ».

Si la marge des officines françaises (26 %) sur le médicament remboursable est en ligne avec celles des autres pays européens, celle des grossistes est en revanche parmi les plus faibles (3 %, à comparer aux 9 % des Britanniques).

Les répartiteurs français pénalisés.

Comme toujours, l’évolution de la marge sur le médicament remboursable fait donc l’objet de toutes les attentions. Mais les pharmaciens français ne sont pas les plus mal lotis. Avec 26 % en 2001, leur marge est dans la droite ligne de celles des autres pays européens (voir ci-contre).

En fait, le problème est moins celui des marges que celui des prix. De ce point de vue, la France est à la traîne de l’Europe avec l’indice des prix des médicaments le plus faible. Et, au fond, les plus pénalisés par rapport à leurs équivalents européens sont les répartiteurs français qui cumulent faiblesse des prix français et marge la plus faible. « C’est parce que le marché national de la répartition est concentré, grâce aux économies d’échelle, que les répartiteurs français arrivent à vivre avec des marges aussi faibles, fait remarquer Jean-Michel Pény. Dans les autres pays d’Europe, les marges sont supérieures mais les marchés sont beaucoup plus éclatés. »

Quoi qu’en dise la répartition, la part des ventes directes reste assez stable (9 % des achats des pharmacies en valeur en 2002). Les achats des pharmaciens en direct se concentrent en priorité sur les produits de parapharmacie (31 %) et les génériques (29 %) et, à un degré un peu moindre, sur les médicaments non remboursés (25 %) et les produits de prescription (15 %). Néanmoins, le développement des ventes directes ne constitue pas la seule menace pour la répartition. « Il y a aussi les plates-formes de groupements, les importations parallèles…, rappelle Jean-Michel Pény. Le répartiteur livre à coûts fixes, mais dès que les volumes lui échappent, ces coûts sont moins bien absorbés. Aujourd’hui, les répartiteurs commencent à développer des activités de dépositaires car il est crucial pour eux de se battre pour conserver leurs volumes. »

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Remise moyenne pratiquée sur le générique : 40 %.

Concernant les génériques, la France n’est plus à la traîne sur la scène européenne. Avec plus de 850 MEuro(s) de chiffre d’affaires en 2003 (+ 37 % par rapport à 2002), le marché des génériques a été multiplié par 3,6 en quatre ans et s’est hissé à la troisième place en Europe, derrière l’Allemagne et la Grande-Bretagne.

Mais un gros grain de sable dénommé tarif forfaitaire de responsabilité (TFR) menace d’enrayer cette belle mécanique. S’il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives quant à son impact sur la dynamique du marché, il n’empêche qu’il a un effet délétère sur les marges des pharmaciens dans les groupes qui y sont soumis, et ce malgré le maintien des remises réellement pratiquées, à un niveau moyen de 40 %, comme l’a constaté cette étude.

Le TFR fait baisser le taux de marge (sur prix public hors taxes après remises) sur le générique de 56,8 % à 51,6 % en moyenne (ces moyennes sont supérieures sur les ventes en direct), alors que le passage des remises de 2,5 % à 6 % pour les princeps sous TFR fait gagner seulement 1,8 point de marge au pharmacien.

« L’instauration du TFR n’a pas modifié globalement la politique des marges arrière des génériqueurs qui porte sur l’ensemble de leur offre », constate Jean-Michel Pény. « Certains contrats de partenariat entre génériqueurs et répartiteurs permettent même au pharmacien de toucher les mêmes remises sur les achats cumulés au fil de l’eau chez son grossiste qu’en direct », révèle-t-il. Chaque mois, les compléments de commandes effectués auprès du grossiste sont pris en compte par le laboratoire de génériques dans le calcul final des remises.

Partage des remises plutôt que baisse des prix.

Mais avec le déficit abyssal de l’assurance maladie, les surremises sont plus que jamais sur la sellette. Les pharmaciens le savent : 61 % des sondés pensent que le gouvernement se penchera en 2004 sur les marges arrière (voir ci-dessus) ; 71 % pensent que le gouvernement va les récupérer ; seulement 23 % que les pouvoirs publics chercheront à les récupérer en baissant les prix des génériques (plutôt que via un TFR généralisé par exemple) ; et 22 % craignent une verbalisation de la profession.

« La DGCCRF a laissé entendre qu’elle n’a pas les moyens d’envoyer des agents dans les pharmacies pour faire respecter le plafonnement des remises », rassure Jean-Michel Pény, qui a le sentiment que rien n’est décidé pour l’instant. « Le gouvernement pilote à la petite semaine mais ne paraît pas très chaud pour baisser les prix. En effet, cette option, certes facile à mettre en oeuvre, serait à la fois trop brutale et délétère pour les génériqueurs et les pharmaciens, alors que la récupération des marges arrière serait moins pénalisante pour les fabricants. »

Car une baisse de prix, synonyme de baisse de marge à la fois pour le génériqueur et le pharmacien, n’exonérerait pas pour autant le fabricant de verser des remises pour continuer à intéresser l’officine à la vente de ses produits, surtout avec la pression de nouveaux entrants sur le marché. Jean-Michel Pény pense que le partage des remises est l’hypothèse la plus probable, même s’il ne faut pas exclure une autre possibilité : une augmentation de la contribution ACOSS des génériqueurs sur leurs ventes directes. Méfiante, la majorité des officinaux n’est pas aussi sereine que l’auteur de cette étude (voir ci-dessous), craignant majoritairement des contrôles accrus de la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes, quitte pour certains à renoncer aux avantages des surremises pour se mettre à l’abri.

Attentisme.

Les causes d’interrogations sur l’avenir du réseau ne manquent pas : la recherche de nouvelles économies au niveau de la distribution du médicament, l’évolution démographique de la profession, l’extension du droit européen, l’ouverture du capital et l’évolution du cadre juridique de l’officine impulsées par la loi MURCEF, les exemples d’organisation chez nos voisins, etc. Tout cela appelle à une réflexion des officinaux sur les ajustements stratégiques à opérer. Le sondage permet justement de connaître par avance leurs intentions.

Ainsi, si les surremises devaient être confisquées peu ou prou, 58 % des pharmaciens interrogés déclarent qu’ils arrêteraient ou réduiraient la substitution, alors que, parmi ceux qui ne modifieraient pas leur comportement, une majorité (52 %) se concentrerait sur les produits non remboursés. On trouve aussi une proportion plus importante d’officinaux qui compenseraient alors le manque à gagner par l’élargissement de l’offre « hors médicaments » et le développement de nouveaux services (voir page 24).

Dans son analyse, Smart Pharma Consulting note la nécessité de rechercher aussi de nouveaux gisements de croissance en dehors des produits à prix administrés, notamment en développant le MAD, le médicament familial, la parapharmacie…, et en assurant davantage de services de santé publique (dépistage, amélioration de l’observance, information des patients), y compris à travers des partenariats rémunérés avec les autorités de santé et/ou les laboratoires.

« Dans un contexte de durcissement de l’environnement économique, les pharmaciens doivent anticiper les changements qui leur seront imposés par les autorités de santé, explique Jean-Michel Pény. Pour préserver la performance de leurs officines, ils disposent de trois niveaux d’actions : augmenter les ventes, réduire les coûts d’achat et les coûts de structure. »

Reste que plus d’un pharmacien sur dix ne voit pas de solution à ce problème. Plus inquiétant, face aux changements, beaucoup semblent se réfugier dans l’attentisme. Ce qui n’étonne pas Jean-Michel Pény : « Les pharmaciens n’ont pas le temps de se projeter dans l’avenir et donc d’anticiper les événements. Avec 80 % de leur chiffre d’affaires sous le contrôle de l’Etat, ils ne doivent plus agir en réaction à un événement mais doivent véritablement devenir proactifs et développer d’autres activités et services pour s’affranchir économiquement. »

Se regrouper : oui mais.

Les organisations représentatives de la profession sont unanimes à vouloir faciliter l’évolution du réseau, et amorcer la pompe sur les regroupements là où le besoin s’en fait concrètement sentir. Les enjeux de la rationalisation du réseau ne sont donc, semble-t-il, plus à démontrer. Dans l’enquête réalisée par Smart Pharma Consulting, une majorité de pharmaciens (64 %) reconnaît le bien-fondé des regroupements et perçoit les fusions entre officines comme un moyen efficace de renforcer l’économie des officines (voir ci-dessus).

Mais, après quatre ans d’application, force est de constater que les regroupements prévus par la nouvelle loi de répartition de 1999 ont été très peu utilisés. La réunion de deux entités économiques est une opération complexe et lourde de contraintes.

Dans les 31 % de répondants ne voyant pas d’avantages économiques dans les fusions, un sur huit souligne les difficultés de mise en oeuvre (fusion d’officines de taille et de type de clientèle différents, sans parler des différences de régimes selon les structures juridiques fusionnées, risques de l’association qui peut se transformer en catastrophe économique et humaine, etc.). Un pourcentage un peu moins élevé (11 %) craint que le regroupement n’engendre pas l’addition des deux performances financières antérieures des officines fusionnées. Une proportion identique pense que le client n’aura rien à y gagner, et un tiers croit qu’il sera préjudiciable aux petites officines !

Malgré une perception plutôt favorable des regroupements, la moitié des officinaux interrogés ne souhaite pas franchir le Rubicon, souvent par crainte que le commercial prenne le pas sur la santé publique. Par ailleurs, certains sont convaincus que la concentration des points de vente, conduisant à une réduction de l’offre, empêchera les jeunes d’accéder à la titularisation et créera du chômage en officine, avec, pour d’autres, la crainte d’une atteinte à l’indépendance de l’exercice. « Les grandes pharmacies sont souvent mieux organisées, disposent de plus de ressources humaines et leurs titulaires sont en mesure plus facilement d’élargir leur champ d’action en tant qu’agent de santé. Elles développent une offre de produits et de services plus large et apportent de facto un meilleur service à la clientèle. Il faut arrêter de mettre en permanence en opposition commercialité et service pharmaceutique ! », assène pourtant Jean-Michel Pény.

Ceux (45 %) qui sont favorables au regroupement défendent cette position davantage par souci d’accroître la performance de l’entreprise, y voyant surtout l’augmentation de la force commerciale, la diminution des frais fixes et donc l’amélioration de la rentabilité.

Des chaînes : non.

Certains groupements, regardant des exemples étrangers et le champ d’application possible de la loi MURCEF, pensent que le moment est venu d’introduire en France des chaînes (à condition d’en donner la maîtrise aux professionnels), avant que d’autres, extérieurs à la profession, se chargent de le faire. Cette stratégie d’anticipation semble faire encore peu d’émules (voir page 25).

Le principal attrait des chaînes mis en avant par les 8 % de « supporteurs » réside une nouvelle fois dans les gains de productivité. Ce pourcentage est à mettre en parallèle avec les 68 % se déclarant satisfaits de l’action des groupements pour réduire les coûts d’achat des produits pharmaceutiques. Reste que 23 % sont mécontents des conditions d’achat obtenues par leurs groupements.

Parmi eux, 41 % trouvent les remises trop faibles, 23 % considèrent l’effort sur les volumes trop important pour accéder à un niveau de remise intéressant et 21 % jugent le rapport « avantages des prix/contraintes » disproportionné. « Les groupements ne sont pas encore arrivés au bout de leur efficacité, estime Jean-Michel Pény. Ceux qui sont structurés et bien disciplinés, qui savent emporter l’adhésion des pharmaciens à leur politique d’achat, ont un pouvoir de négociation renforcé auprès des laboratoires, équivalent à celui des chaînes. »

Quant aux grossistes-répartiteurs, 47 % des pharmaciens interrogés voient dans ce partenaire une voie de soutien dans le domaine financier (56 % des réponses) et le développement des services (37 %). Dans ce cas, l’aide financière des grossistes pourrait se traduire près de neuf fois sur dix par des conditions commerciales plus avantageuses (!). Sur les services, les attentes se portent en majorité (64 %) sur un meilleur suivi et un meilleur contact au niveau de la relation client/fournisseur, la formation et le merchandising.

10,7%

Part contributive des génériques à la marge totale officinale en euros.

71%

71% des pharmaciens pensent que l’Etat va essayer de récupérer les surremises/marges arrière liées aux génériques.

9%

9% des achats officinaux sont passés en direct dont 31 % de parapharmacie, 29 % de génériques, 25 % de non-remboursés et 15 % de produits prescrits.

58%

58% des pharmaciens réduiraient ou arrêteraient la substitution si l’Etat « confisquait » les surremises.

850 ME

Chiffre d’affaires en 2003 du médicament générique en France (+ 37 % par rapport à 2002).