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Avec foi et loi !
Avec les lois de juillet 1994, la France a déjà cherché à limiter les possibles dérives dans le domaine de la génétique. Mais l’accélération des découvertes et des connaissances scientifiques accentue la prise de conscience et motive un cadre plus précis. La gestation de la nouvelle loi de bioéthique arrive presque à son terme. Un sujet brûlant aux frontières de la science-fiction.
Pour moi, le clonage reproductif est, au niveau de la personne, l’équivalent de ce qu’est le crime contre l’humanité au niveau collectif. » Dixit Jean-François Mattei, notre ancien ministre de la santé. « Je souhaite donc que le clonage thérapeutique, porte ouverte au clonage reproductif, reste interdit », avait-il ajouté, en présentant récemment les orientations gouvernementales sur la révision de la loi de 1994 relative au respect du corps humain, au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation (AMP) et au diagnostic prénatal.
Mais ce n’est pas le seul sujet de débat. Evaluation des techniques d’AMP, diagnostic préimplantatoire (DPI), transfert post mortem d’embryon, recherche sur les embryons surnuméraires, sur les cellules souches embryonnaires et sur les cellules souches adultes, « non-brevetabilité » de l’humain… Dans le domaine de la bioéthique, rien n’est simple. Par exemple, le déficit en greffons obtenus post mortem amène à envisager d’élargir le cercle des donneurs aux proches vivants. Très bien… à première vue, mais si la pratique est au point pour un rein, le risque létal reste élevé pour celui qui donne un morceau de son foie. Et des adultes comme des enfants pourraient ici se trouver devant une pression psychologique et sociale intenables. Ce qui fait dire à Francis Giraud, membre de la Commission des Affaires sociales du Sénat et rapporteur du projet de la loi sur la bioéthique, que le « recours à la générosité des vivants » ne résout pas cette situation.
Au bout d’une profonde et longue réflexion, à laquelle ont été associés des médecins, des scientifiques, des philosophes et des personnalités religieuses, les choix s’éclaircissent pour le législateur face à l’émergence de deux tabous absolus, la création d’embryons humains pour la recherche et le clonage thérapeutique, portes ouvertes au clonage reproductif et à l’eugénisme. Dans le même temps, la situation est de plus en plus difficile à vivre pour la recherche française. Et ce n’est pas l’annonce, en février 2004, de la réussite d’un clonage embryonnaire à visée thérapeutique par des chercheurs coréens qui a arrangé les choses. Après les douloureuses tragédies de génocides teintés d’eugénisme, le XXIe siècle navigue dans l’océan du culte de la beauté, de l’intelligence, de la perfection et de la maîtrise de la vie. Et certains se mettent à rêver de l’enfant idéal ou de l’éternelle jeunesse. Dans la foulée de la première fécondation in vitro, réussie en 1978, est apparu le diagnostic préimplantatoire (DPI). Cet examen s’effectue quelques heures après fécondation dans une éprouvette, sur l’une des toutes premières cellules d’un zygote. « Il est alors possible de ne transférer in utero que des zygotes indemnes du gène pathologique recherché », indique Jean-François Mattei dans son livre, Le diagnostic prénatal (Dominos). A ce stade existe déjà une possibilité de dérive telle que le choix du sexe, lorsque cela ne relève pas d’un impératif lié à une pathologie affectant sélectivement le chromosome X ou Y. Voilà pourquoi la loi du 29 juillet 1994 limite le DPI au cas où l’un des membres du couple présente une anomalie génétique grave transmissible.
Des héritiers au congélateur.
Avec l’évolution des mentalités, le terme « grave » devrait être supprimé dans la loi de bioéthique 2004 car DPN et DPI visent tout simplement à obtenir des enfants en bonne santé. Le DPI, qui n’est suivi que de 20 à 25 % de grossesses, est donc une phase non systématique de l’aide médicale à la procréation (AMP), basée sur la fécondation in vitro. En France, l’infécondité touche 10 % des couples. L’AMP est accessible aux couples mariés et aux ménages justifiant d’au moins deux années de vie commune. Les embryons non utilisés – dits surnuméraires – peuvent être congelés. Implantables dans un délai de cinq ans en cas d’échec ou de nouvelle grossesse désirée, ou de cession à d’autres couples, ces embryons risquent ensuite d’être détruits. Mais qu’arrive-t-il en cas de décès du père dans cet intervalle ? Une des questions auxquelles la bioéthique cherche des réponses. La loi 1994 stipule : « Il est ainsi prévu que, dans le cas d’un transfert post mortem réalisé dans les conditions posées par l’article L. 2141-2 du Code de la santé publique, le consentement donné par l’homme, lorsqu’il entre dans un processus d’AMP, qui vaut présomption de paternité, est toujours valable dans les dix-huit mois qui suivent son décès, à la condition qu’il ait expressément consenti, auprès du centre d’AMP dont il relève, à la poursuite par sa femme ou sa concubine, de leur projet parental après son décès. » Autrement dit, l’un des héritiers pourrait effectivement sortir du congélateur, d’où des conséquences sur le plan civil et successoral.
Aussi, les amendements de la future loi française tendent-ils à supprimer cet article. Un dosage difficile lorsque l’on voit que l’Italie vient de voter ce 10 février une loi très restrictive limitant la création à trois embryons devant tous être implantés. Et ceci uniquement pour les couples stables. De plus, l’expérimentation sur l’embryon est interdite. Un virage total à l’opposé des étranges pratiques du professeur italien Antinori, apprenti-sorcier du clonage.
Du bébé médicament aux recherches sur l’embryon.
Cependant, le tri des embryons ne constitue-t-il pas une instrumentalisation ? « Nous avons été confrontés à des demandes de DPI d’une maladie génétique, l’anémie de Fanconie, assortie d’une demande d’HLA compatibilité dans la perspective d’un don de moelle ou de cordon dans l’éventualité où le premier enfant développerait une rechute de sa leucémie », relate, en souhaitant plus de souplesse de la loi, le Pr Arnold Munich, chef du service génétique médicale de l’hôpital Necker-Enfants malades. Car ce « bébé médicament », bien que sélectionné, n’est pas un instrument mais plutôt « un enfant sauveur » destiné au meilleur des accueils.
Côté recherches sur l’embryon, force est de reconnaître qu’une menace de destruction pèse sur quelque 100 000 embryons surnuméraires. Alors, tout en gardant l’impératif du respect de la dignité de l’embryon humain en refusant sa réification (transformation en chose), et en se livrant à une fine analyse sémantique, la majorité des participants aux auditions de la Commission semblent partager l’avis du Pr Israël Nisand, chef de service de gynécologie-obstétrique au SIHCUS-CMCO de Strasbourg : « Si demain la loi française interdisait de mener des recherches sur l’embryon, ce serait, pour l’avenir et de manière certaine, une terrible erreur que nous serions sûrement amenés à regretter. »
Les amendements adoptés fin 2003 par l’Assemblée et le Sénat restreignent ces possibilités de recherche en les limitant, d’une part à des études ne portant pas atteinte à l’embryon, et d’autre part à des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires (à titre dérogatoire et pour cinq ans au maximum), en cas d’espoir thérapeutique majeur. De plus, une condition sine qua non est que ces recherches ne puissent pas être poursuivies par des méthodes alternatives d’efficacité comparable. Donc, des dérogations précises pour des recherches très encadrées. Ce strict encadrement va dépendre d’une nouvelle agence, l’Agence de biomédecine, dans laquelle l’Etablissement français des greffes (EFG) doit être intégré. Plus tard, pourrait suivre un regroupement de l’Afssaps et de l’Agence de biomédecine. Cette grande agence serait aussi ouverte à des personnalités non médicales, tels des philosophes et des juristes, qui auraient entre autres missions d’évaluer les protocoles d’assistance médicale à la procréation, d’agréer les centres d’AMP et de recherches, tout en conservant une grande réactivité en fonction de l’évolution des connaissances.
Cellules souches embryonnaires ou cellules souches adultes ?
Autour des thérapies cellulaires gravitent actuellement beaucoup d’espoirs, de désillusions et peu de certitudes. Comme l’explique le professeur Bernard Debré dans son livre La grande transgression, les cellules embryonnaires prélevées avant le 14e jour sont totipotentes, littéralement « toutes-puissantes » (qui ont la capacité de produire un organisme entier) puis elles se spécialisent de plus en plus et perdent, à mesure de cette spécialisation, leur capacité de différenciation. A partir du stade de huit cellules, les cellules isolées sont encore « capables de beaucoup » (pluripotentes).
Différents essais de médecine régénératrice ont donné des résultats variables. Sur le rat, l’injection directe de cellules cultivées a provoqué une réparation locale de lésions. Mais les cellules souches embryonnaires présentent l’inconvénient majeur de se comporter comme des cellules cancéreuses et d’induire des tératocarcinomes. Cela ne se produirait pas avec certaines cellules souches adultes, comme les cellules hématopoïétiques de la moelle osseuse, qui semblent pouvoir se différencier en globules rouges, globules blancs et plaquettes mais aussi en chondrocytes cartilagineux. Diverses cellules souches nerveuses adultes auraient un comportement similaire.
Ici, pas de problèmes éthiques pour des recherches apparemment prometteuses comme dans cette expérience où une réparation partielle du muscle cardiaque a été obtenue chez l’homme après injection intracardiaque de cellules de muscles striés. De même, rapporte le Pr Didier Sicard, président du Comité consultatif national d’éthique, « l’introduction de cellules souches hématopoïétiques a permis la création de néovaisseaux aboutissant à l’amélioration d’artérites ». Encore des balbutiements, mais peu à peu le territoire se dessine et des pistes le sillonnent. Ainsi, le Pr Laurent Degos, chef du service hématologie de l’hôpital Saint-Louis, affirme : « Toutes les cellules de notre corps sont fonctionnelles et leur spécialisation n’existe que par la fermeture de programmes… que nous essayons de rouvrir. »
Alors, les portes des prisons de l’être que sont Parkinson, Alzheimer, chorée d’Huntington, myopathies, mucoviscidose et autres maladies génétiques devraient céder d’ici une décennie ou deux. Mais l’éthique veille pour éviter des expériences barbares comme celles qui consistent à provoquer la fusion d’un ovocyte de bovin et d’un noyau humain ! Ainsi un amendement a été adopté permettant au ministre chargé de la recherche de s’opposer à tout protocole expérimental ne respectant pas l’éthique. En tout cas, tout le monde attend avec impatience la nouvelle loi sur la bioéthique. Philippe Douste-Blasy, notre nouveau ministre de la Santé, a déclaré lundi dernier, lors de l’émission « 100 minutes pour convaincre » sur France 2, qu’elle devrait sortir d’ici à la fin de l’année.
A retenir
– La nouvelle loi de Bioéthique devrait être publiée d’ici à la fin de l’année.
– Le Clonage thérapeutique, tout comme le clonage reproductif, devraient rester interdits en France.
– La nouvelle loi va assouplir les conditions de diagnostic préimplantatoire.
– Une nouvelle agence, l’Agence de biomédecine, pourrait être créée, intégrant l’établissement français des greffes. Plus tard, elle pourrait fusionner avec l’Afssaps.
Le corps humain n’est pas brevetable !
La transposition en droit français de la directive européenne relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques prévoit clairement que « le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que la simple découverte d’un de ses éléments, y compris la séquence totale ou partielle d’un gène, ne peuvent constituer des inventions brevetables. Seule une invention constituant l’application technique d’une fonction d’un élément du corps humain peut être protégée par brevet… » Par conséquent, il existe une nette différence entre invention et découverte, les tissus et les gènes ne sont pas brevetables contrairement à une application technique. D’autre part, les textes prévoient que, si l’intérêt de la santé publique l’exige, tout produit ou procédé ou méthode breveté peut être soumis par arrêté au régime de la licence d’office afin de le rendre disponible en qualité et quantité satisfaisantes à un prix non prohibitif (Art. L. 613-16 du Code de la propriété industrielle).
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