Clause de non-concurrence : Parer au pire

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Publié le 12 juin 2004
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Se prémunir de la concurrence d’un collaborateur au lendemain d’une rupture est un réflexe à ne pas négliger lors de la conclusion du contrat de travail. Une clause de non-concurrence vous évitera de perdre, en plus d’un collaborateur, une partie de votre clientèle.

Vous allez embaucher un salarié. Le contrat de travail que vous allez conclure scellera un engagement réciproque. A ce moment, rien ne vous engage à projeter la rupture de cette collaboration à peine naissante. Et pourtant ! Un jour ce salarié partira, attiré par d’autres sirènes, voire par votre confrère (concurrent ?) peut-être le plus proche. Certes le débauchage est prohibé. A cet égard, l’article R. 5015-36 du code de déontologie précise qu’« il est interdit aux pharmaciens d’inciter tout collaborateur d’un confrère à rompre son contrat de travail ». Mais mise à part cette situation, rien n’empêche ce salarié d’être ultérieurement embauché par votre concurrent direct. Sauf si vous avez formalisé par écrit une obligation de non-concurrence dans le contrat de travail.

Mais pas question d’empêcher le salarié concerné de retrouver un emploi de façon absolue lorsqu’il vous quittera. Le principe fondamental de liberté du travail doit être préservé et concilié avec la protection de vos intérêts, comme par exemple éviter le détournement d’une partie de votre clientèle. Cette clause sera donc soumise à cinq conditions cumulatives, sous peine d’être frappée de nullité. Elle sera limitée dans le temps et dans l’espace. Elle tiendra compte des spécificités de l’emploi concerné et elle ne pourra s’appliquer que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de votre officine.

Enfin, depuis le 10 juillet 2002 (jurisprudence sociale), elle doit obligatoirement être assortie d’une contrepartie financière. Cette dernière obligation s’impose également aux clauses rédigées avant cette date. A défaut, une clause de non-concurrence sans contrepartie financière est aujourd’hui dénuée de valeur.

Question de périmètre.

En pratique, l’interdiction d’exercer chez un concurrent n’excède pas deux ans. Au-delà, les risques de concurrence sont considérablement réduits. La limitation géographique ne devrait pas dépasser la zone de clientèle. Ainsi, tout dépend de la localisation rurale ou urbaine de l’officine. A Paris, il pourra s’agir d’un arrondissement. A la campagne, la clause pourra couvrir une commune. Dans tous les cas, elle ne pourra s’appliquer qu’au personnel en contact fréquent avec la clientèle. Enfin, la contrepartie devra être proportionnelle à l’obligation de non-concurrence du salarié. La convention collective étant muette sur le sujet, le montant de l’indemnité sera négocié.

C’est une fois la rupture consommée que cette clause s’appliquera, sous réserve d’être licite. Le salarié ne pourra donc travailler dans une pharmacie incluse dans le périmètre de non-concurrence pendant la durée d’application de la clause. En contrepartie, il percevra une indemnité pécuniaire en une ou plusieurs fois. Mieux vaut pour l’employeur privilégier un versement échelonné (par exemple mensuel).

Attention aux dommages et intérêts !

En cas de coup de canif dans le contrat de la part du salarié, il sera plus facile d’interrompre un versement que d’agir devant les tribunaux pour obtenir un remboursement. L’employeur concurrent pourra aussi être mis en cause à condition qu’il soit complice de la violation de la clause, ce qui implique qu’il connaissait son existence lors de l’embauche du salarié concerné.

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Par prudence, vous lui enverrez une lettre recommandée avec accusé de réception. Il devra alors licencier le salarié. Faute de quoi il ne pourrait plus réfuter sa complicité. Vous pourriez alors l’attaquer devant le tribunal de grande instance ou de commerce pour concurrence déloyale afin d’obtenir des dommages et intérêts et la cessation, sous astreinte, de la violation de la clause de non-concurrence.

A l’inverse, si vous ne versez pas la contrepartie financière due au salarié, celui-ci sera donc libre de rechercher un emploi où il le souhaite. Il pourra même prétendre à des dommages et intérêts pour la période pendant laquelle il a respecté « gratuitement » son engagement.

Tout ceci ne vous paraît pas proportionné au risque d’une éventuelle concurrence ? Si le jeu n’en vaut pas la chandelle, mieux vaut ne pas tomber dans ces méandres juridiques. Si vous hésitez, autant être doublement prudent : insérer une clause de non-concurrence dans le contrat (au cas où) et prévoir la possibilité de renoncer à cette clause. Cette faculté de renonciation sera expressément formalisée. Cela vous permettra de sécuriser le contrat de travail et d’aviser le moment venu. Soit vous maintiendrez l’obligation de non-concurrence, soit vous renoncerez et vous n’aurez aucune indemnité à verser au salarié au terme de votre collaboration.

Quel que soit votre choix, l’embauche est un moment clé et le contrat de travail devra être rédigé avec le plus grand soin.

Ce que dit le code de déontologie

– Outre la clause de non-concurrence issue du contrat de travail, l’article R. 5015-37 du code de déontologie impose aux étudiants en pharmacie, pharmaciens remplaçants et adjoints, une interdiction de concurrencer un ancien employeur.

– Ainsi, après une embauche d’au moins six mois, un adjoint ne peut devenir titulaire d’une officine concurrente pendant deux ans à compter du terme du contrat de travail. Aucune contrepartie financière n’est prévue.

A retenir

– La clause de non-concurrence lie un salarié et son ancien employeur.

– Elle est formalisée dès la conclusion du contrat de travail, même si elle ne prend effet qu’au terme de celui-ci. La Cour de cassation interdit à l’employeur d’imposer une telle clause en cours de contrat ou au moment de la rupture.

– Elle doit être :

– limitée dans le temps ;

– limitée dans l’espace ;

– limitée à une activité professionnelle ;

– indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise ;

– assortie d’une contrepartie financière (montant précis).

– L’indemnité est due au salarié dès son départ de l’officine, mais mieux vaut la verser mois par mois.

– La violation de la clause :

– côté salarié : elle est caractérisée par un acte concurrentiel. Il s’agit de l’embauche chez un concurrent de l’ex-employeur. Une simple candidature chez ce concurrent ne sera pas retenue ;

– côté employeur : il s’agira de l’absence de contrepartie financière pour indemniser le salarié respectueux de la clause.