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La fortune est dans le pot
Vous êtes un passionné de vieux mortiers, vous adorez les mâche-bouchons ou les canards à malade. Si vous ne savez pas comment étoffer votre collection naissante et combien cela peut vous coûter, suivez l’expert.
Avant qu’on ne les dise « beaux », les objets de pharmacie étaient des outils. Avec le temps, certains sont devenus les symboles de la profession au point de servir d’enseignes. Tels, jadis, les pots de monstre (de « monstrance », montrer), ces récipients de stockage des panacées traditionnelles (thériaque, orviétan, opiat de Salomon, confections d’alkermès, d’hyacinthe ou de Hamech…). Leur taille et leur magnificence imposaient au public le prestige des apothicaires, de ville ou d’hôpital. Ils leur ont ensuite préféré le mâche-bouchon et surtout le mortier.
Deux approches permettent d’évoquer les beaux objets de pharmacie : celle ethnologique, du type « arts, métiers et techniques », et celle esthétique. Telle est l’ambivalence de ce qu’on appelle l’« art pharmaceutique », qui désigne à la fois l’art de la préparation du médicament (témoin le FSA, fac secundum arte, qui terminait toutes les prescriptions anciennes des médecins et qui signifiait « faites selon le métier de votre art ») et la relation avec le beau au sens où certains objets jadis utilisés et présentés dans les officines sont de véritables oeuvres d’art. En particulier les céramiques du XIVe au XVIe siècle, ou encore les mortiers de bronze.
Le mortier doit sa survie aux pharmaciens.
Avant de devenir un objet de collection très recherché (jusqu’à 3 000 Euro(s) pièce), le mortier était un ustensile très commun. Les Egyptiens l’utilisaient déjà. En France, à la fin du XVIIIe siècle, tout le monde ou presque en possédait dans sa cuisine, les légumes étant consommés en purée, et le poivre pilé.
Evincé des cuisines par le moulin à poivre, le mortier ne doit sa survie qu’aux pharmaciens qui l’utilisent encore. Les mortiers les plus anciens parvenus jusqu’à nous datent du XIIIe siècle. Ils sont d’origine hispano-mauresque et fabriqués en bronze. Le choix du matériau diffère selon les matières à écraser. Ainsi, les mortiers en fer étaient encore utilisés au XIXe siècle pour les écorces de quinquina. Mais c’est le bronze qui est le plus souvent choisi et la fabrication était en général confiée aux fondeurs de cloches. Les Anglais introduisent la porcelaine (Wedgwood) à partir du XVIIIe en raison des risques d’intoxication au cuivre (formation de vert-de-gris). Actuellement, les mortiers d’origine française les plus recherchés sont ceux du Puy mais les plus chers sont italiens ou flamands.
C’est à la fin du XIXe siècle que se sont constituées les premières collections, en particulier celle du pharmacien Roeber, en Suisse, dès 1895. Elle est à l’origine du premier musée privé d’histoire de la pharmacie, aujourd’hui reconstitué à Nyons. En France, la Société d’histoire de la pharmacie est créée en 1913. Paradoxalement, le développement des spécialités pharmaceutiques et l’essor des laboratoires ont provoqué un réel intérêt pour le passé de la profession. L’émulation souvent amicale des fondateurs de laboratoire, qui sont allés extraire du marché de l’art les objets correspondant à l’histoire de la pharmacie, ont permis de constituer des collections spécialisées qui, à l’époque, étaient privées ou appartenaient à des entreprises.
Depuis une trentaine d’années, une partie de ces collections a été dispersée vers des musées publics et privés, mais aussi vers leur lieu d’origine pour les plus prestigieuses d’entre elles. Ainsi, il arrive aujourd’hui que des pots de pharmacie italiens, achetés dans la Péninsule par des pharmaciens français ou belges au début du XXe siècle, y repartent non plus comme des pots de pharmacie mais en tant que majoliques italiennes de collection, ce qu’ils sont aussi.
Chiner c’est s’échiner.
Les objets de pharmacie constituent aujourd’hui à la fois un patrimoine collectif symbolique, qui correspond à l’histoire de la profession, souvent aussi à une histoire familiale, plusieurs générations ayant accumulé des objets, et un patrimoine individuel réel, avec une valeur qui s’estime, s’assure, s’hérite, se partage, se négocie. Alors quelles sont les différentes possibilités pour acquérir un bel objet de pharmacie ? Les boutiques spécialisées comme l’officine-magasin de monsieur Chassagne, la Galerie des thériaques, créée par monsieur Brachet dans le cadre de son activité de grossiste-répartiteur, l’officine-galerie de Robert Montagut, le cabinet de collectionneur de Pierre-André Gaulon à l’enseigne de Galien et Hippocrate ont disparu il y a plus de dix ans. Depuis, le marché s’est déplacé vers les ventes aux enchères spécialisées, organisées ces dernières années par les études Daussy-Ricqlès puis François de Ricqlès entre 1990 et 2001, Briest (vente Cotinat en 1997), et par la nouvelle maison de vente Artcurial Briest-Poulain-Le Fur, installée à Paris dans l’hôtel Marcel-Dassault situé au Rond-Point des Champs-Elysées depuis 2002.
Les passionnés peuvent aussi chiner. Le terme ne vient pas d’Extrême-Orient mais probablement de « s’eschiner », c’est-à-dire « travailler dur », proprement « se fatiguer les reins ». On peut d’abord commencer par fouiner chez soi. Pour un officinal, c’est visiter la cave ou monter au grenier de la pharmacie de ses prédécesseurs. On peut aussi faire les marchés aux puces (le premier a vu le jour sur des terrains vagues du Kremlin-Bicêtre où les malades, à leur sortie d’hôpital, allaient vendre leur couverture couverte de microbes, de virus ou de parasites…), les foires à la brocante, les salons (Biennale des antiquaires…), des vide-greniers partout en France à la belle saison.
On peut aussi aller chiner sur Internet. En tapant dernièrement « antiquités pharmacie » sur Google, nous avons noté 16 200 occurrences, dont quatre liens commerciaux avec des marchands, des « antiquités aux enchères » comme Aucland ou eBay, un site bruxellois d’antiquités diverses et un marchand de pilules. Là aussi, il faut fouiner et étudier, mais tout est possible.
Cotes et estimations.
Certaines ventes d’objets de pharmacie prestigieux sont restées dans les annales. Comme cet albarello hispano-mauresque et ce pot de Masséot Abaquesne (respectivement 61 000 et 27 439 Euro(s), vente Montagut, 1992), un second Masséot Abaquesne et une bouteille Deruta (39 600 et 61 000 Euro(s), vente Cotinat, 1997), une urne sur piédouche Orsini-Colonna Castelli et deux albarelli Pesaro de 1500 environ (58 000 et 66 000 Euro(s), vente Lafond, 2002), une chevrette Caffagiolo, deux chevrettes Orsini-Colonna Castelli et deux albarelli Faenza (36 000, 120 000 et 34 000 Euro(s), vente Chavaillon, 2002).
Des ventes de faïences françaises du XVIe au XVIIIe siècle, moins anciennes et prestigieuses, se sont développées ces cinquante dernières années. Leur cote varie de quelques centaines à quelques milliers d’euros. Les transactions de pots de porcelaine du XIXe siècle sont également en hausse. La France en a produit une quantité considérable (plus de 10 000 pharmacies étaient équipées de séries de 300 à 400 pots de porcelaine et autant de verre…), avec une grande diversité de décors. Leurs prix oscillent entre quelques dizaines et quelques centaines d’euros.
Les affiches anciennes trouvent également preneurs. Les plus anciennes datent de la fin du XIXe siècle. Lors de la dernière vente Artcurial d’objets de pharmacie, le 30 novembre dernier, une affiche Valda signée Savignac a été adjugée 1 400 euros (hors frais) au laboratoire GSK (voir ci-contre).
L’objet de pharmacie vendu le plus cher ces dernières années – en 1995 – est une chevrette en porcelaine des Médicis provenant de l’ancienne collection Rothschild. Elle a été adjugée 5,8 millions de francs soit, avec les frais, presque l’équivalent de un million d’euros (Vente Ferri, Drouot-Richelieu). Seule une soixantaine de porcelaines des Médicis est aujourd’hui connue, dont deux seulement sont datées (1581 et 1586). Toutes sont des essais de forme et de décor. A l’époque, cet objet avait été présenté par l’expert Michel Vandermeersh comme une « exceptionnelle aiguière ». En réalité, il s’agirait d’une chevrette, comme le suggère Louis Cotinat, célèbre collectionneur, dans une des dernières notes qu’il publia, en 1996, dans le bulletin de la Société d’histoire de la pharmacie. Il existe au British Museum une deuxième chevrette, de même forme que l’« aiguière » Rothschild, mais décorée seulement en bleu. Elle proviendrait de la famille du pharmacien du grand-duc Ferdinand de Toscane.
Les musées pour le plaisir des yeux.
Si votre portefeuille crie grâce, vous pouvez toujours vous rendre dans les musées pour admirer les merveilles du patrimoine pharmaceutique. Les Parisiens ont le choix avec le musée de l’association Sauvegarde du patrimoine pharmaceutique, situé au siège de l’ordre des pharmaciens, avenue Ruysdael. Près du jardin du Luxembourg, deux très belles collections peu connues sont à découvrir : la galerie du Doyen à la faculté de pharmacie de Paris-V, qui présente la collection Fialon (donation de 1907), et le Musée du service de santé des armées, à l’hôpital du Val-de-Grâce, avec son importante collection des docteurs François et Jacques Debat. Un autre musée, plus modeste, se trouve à la bibliothèque de la faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry, dans les Hauts-de-Seine, sous l’égide de l’association Albarelle.
En province, n’hésitez pas à pousser la porte du Musée des Hospices civils de Lyon et celle du Musée de la faculté de pharmacie de Montpellier, sans oublier les nombreuses pharmacies hospitalières (Louhans, Beaune, Baugé…). Pour les passionnés que les kilomètres n’effraient pas, il faut signaler le magnifique Deutsches Apotheken-Museum du château de Heidelberg, en Allemagne (1), avec ses reconstitutions de pharmacies anciennes, sa collection de céramiques et de mortiers…
Beaucoup plus au sud, à Lisbonne, il ne faut pas manquer le Musée d’histoire de la pharmacie, qui se trouve au siège de l’Association nationale des pharmaciens (2). Il abrite notamment quatre pharmacies historiques du XVIIIe au XXe siècle, dont une de Macao !
(1) Schlosshof 1, 69117 Heidelberg.
Tél. : 0049 – (0) 62 21-2 58 80.
Deutsches_Apotheken_Museum@t-online.de – http://deutsches-apotheken-museum.de.
(2) Rua Marechal-Saldanha, 1 – 1249 Lisbonne.
Tél. : (+351) 213.400.60. www anf.pt.
A retenir
– mortiers : les prix à l’estimation varient entre 150 et 3 000 euros.
– albarelli : leurs cotes varient de quelques centaines à quelques milliers d’euros pour les plus prestigieux.
– étains : les prix oscillent entre 200 et 3 000 euros.
– tasses à malade : fourchette très large allant de 20 à 5 000 euros.
– mâche-bouchons : compter 300 à 1 000 euros.
Tendres bouchons
Les mâche-bouchons en fonte de fer, souvent d’origine française, servaient à attendrir les bouchons de liège neufs et à les adapter aux goulots des bouteilles. Il existe de nombreux modèles, en forme d’animal (crocodile, serpent, chien-tatou, caméléon, singe…), pour lesquels on a enregistré récemment des prix oscillant entre 300 et 980 Euro(s).
Se saigner pour une palette
Les étains médicaux, à faible teneur en plomb (étain fin), avaient de multiples usages : palette à saigner, boules à sangsues, boîtes à thériaque ou à pommade, biberons, clystères, passoires, couloires à sirop, écuelles conventuelles ou hospitalières… Pour s’en offrir un, il faut compter entre 200 à 600 Euro(s) environ. Certaines ventes peuvent aller bien au-delà, comme pour cette écuelle à bouillon destinée aux soeurs clarisses du Puy, adjugée à 3 100 Euro(s) le 30 novembre dernier à Paris.
Gardons les jetons
Les jetons de pharmacie sont également recherchés par les collectionneurs. Il s’agit en fait des jetons de présence de la corporation des apothicaires et épiciers. Ils sont en argent ou en cuivre. Les premiers, fabriqués de 1710 à 1778, arborent le symbole des trois règnes, minéral, végétal et animal, dans la connaissance desquels ils sont versés (in his tribus versantur).
Ensuite, et ce jusqu’en 1790, ils sont aux insignes du Collège de pharmacie (avec le coq et le serpent, et la devise « Vigil et prudens »). A partir de 1796, ce sont les symboles des sociétés de pharmacie de Paris ou Lyon qui sont représentés sur les jetons.
Les prix vont de 60 à 1 400 Euro(s)selon la rareté et l’état du modèle.
Le coin des canards
Les tasses à malade servaient à administrer boissons, potions, bouillons ou aliments à des malades alités. Le plus souvent de forme demi-couverte, parfois en forme d’écuelle à deux oreilles, elles peuvent également avoir une forme de canard, d’où leur nom familier.
On en trouve en faïence décorée des XVIIIe et XIXe siècles (les prix varient dans une fourchette comprise entre 300 à 700 Euro(s)) ou en porcelaine du XVIIIe et surtout du XIXe siècle (20 à 500 Euro(s)). Les tasses à malade en verre ou en argent sont plus rares (400 à 5 000 Euro(s)).
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