COMMENT ELLES S’EN SORTENT

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Publié le 1 mars 2014
Par Marie Luginsland
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Autrefois stigmatisés comme fossoyeurs de la profession, les pharmaciens « low cost » affichent aujourd’hui haut et fort leur modèle économique. Ces titulaires pratiquent des prix agressifs dans un décor minimaliste. Et acceptent en échange d’abandonner six à sept points de marge qu’ils disent compenser par une hausse de trafic. Seul point sur lequel ils affirment ne pas transiger : le conseil au comptoir.

Ils clament haut et fort qu’ils peuvent soulager des symptômes d’un rhume pour moins de 6 euros ou vendre quatre produits OTC pour 10 euros. Mettre la santé à la portée de tous est le leitmotiv de ces pharmaciens discounters. Aujourd’hui décomplexés, ils assument leur modèle, n’hésitant pas à proclamer qu’il permet d’endiguer la vente des médicaments dans la grande distribution. Connaissant un grand succès auprès des consommateurs, la pharmacie low cost fait tache d’huile dans le paysage. Par exemple, le réseau Lafayette, qui compte 53 officines aujourd’hui, devrait en compter 150 en 2017. Pour Hervé Jouves, directeur général de l’enseigne discount, c’est même « un modèle anticrise ».

S’ils n’hésitent pas à casser les prix de l’OTC et de la parapharmacie de 30 à 50 %, voire à vendre à prix coûtant certains produits, les titulaires de pharmacie low cost restent cependant maîtres de leur politique de prix, orientée en fonction de leur zone de chalandise. Car le low cost reste une notion relative.

Des prix bas pour se positionner face à la concurrence

« On a souvent une idée fausse du discount. Beaucoup de personnes croient que les prix bas en pharmacie sont réservés aux quartiers populaires. Pourtant, dans les zones de bureaux, ce concept est très apprécié. Si le conseil n’est pas négligé, on parvient même à fidéliser une clientèle », constate Dominique Bomet, titulaire d’une pharmacie Pharmeco à Pantin (Seine-Saint-Denis). Pour Jean-Marc Facq, installé à Montataire (Oise) et affilié à Pharm&Price, « les prix bas permettent de se positionner par rapport à la concurrence ». Cette capacité à pratiquer une politique de prix ultraconcurrentielle est liée à l’appartenance à un groupement, permettant ainsi de profiter d’une politique d’achat. Ainsi, le réseau Lafayette négocie plus de 200 accords avec des laboratoires. Mais pas seulement. Les pharmaciens bénéficient également du soutien logistique et de conseils dans la gestion d’une trésorerie parfois tendue. Car le prix n’est qu’un aspect de ce modèle. Le deuxième pilier du low cost est le choix. Un référencement maximal (entre 18 000 et 30 000 références constantes) doit être garanti en OTC et en parapharmacie, ce qui suppose autant de réserves en stock…

Une marge très ajustée mais une fréquentation très importante

Cette élasticité des prix réclame des concessions. Les pharmacies low cost obtiennent, en moyenne, une marge de 20 %, soit 6 à 7 points inférieure à celle réalisée par une pharmacie « classique ». « J’avais une marge de 29 % dans mon officine précédente », reconnaît Alain Peyre, titulaire d’une pharmacie Lafayette à Montauban (Tarn-et-Garonne).

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Mais, peu importe, car ces pharmacies ont un autre moteur : une fréquentation très importante propice à des achats spontanés. Par exemple, dans l’officine de Jean-Jacques Serrier à Montigny-lès-Metz (Moselle), cette fièvre acheteuse – ou préhension automatique – constitue 60 à 70 % du flux. Il est le principal levier du concept low cost. Résultat : le chiffre d’affaires compense la faiblesse du taux de marge. Avec pas moins de 650 clients par jour, Alain Peyre réalise ainsi 16 000 € de chiffre d’affaires quotidien, soit une progression à trois chiffres en un an d’exercice. Sylvia Perri, à Pau (Pyrénées-Atlantiques), membre du réseau Lafayette depuis 2006, n’affiche, pour sa Pharmacie des Sept Cantons, qu’une marge de 20 %. En revanche, son chiffre d’affaires est passé de 800 000 € à 10,5 M€ aujourd’hui, grâce à 1 200 clients par jour (contre 80 auparavant). Hervé Jouves affirme d’ailleurs qu’au final « la marge des pharmacies Lafayette est bien supérieure en valeur à celle d’une pharmacie classique moyenne ».

Un back-office surdimensionné

Le fonctionnement d’une officine low cost s’apparente à celui de tout autre entreprise. « Il faut s’équiper pour affronter la baisse de la marge avec une plus grande productivité », déclare Jean-Jacques Serrier, qui a connu récemment un redressement judiciaire. Car ce concept ne repose pas sur la seule attractivité des prix, mais également sur une forte capacité de productivité permettant de supporter de nouveaux investissements. La majorité de ces pharmaciens low cost reconnaissent donc que leurs paramètres s’apparentent davantage à ceux du libre-service. Cette démarche ne suppose pas seulement un merchandising adapté. Elle induit également un travail plus intense en back-office et, par conséquent, une affectation différente du personnel.

Bien que maintenus en grand nombre, les salariés des pharmacies low cost sont majoritairement affectés aux tâches de logistique et de manutention pour la gestion des stocks et des commandes ainsi que pour la mise en rayon. La masse salariale est une variable d’ajustement non négligeable. « La valeur de préhension du produit doit chuter le plus possible. Pour une exposition maximale du produit, il faut obtenir un coût salarial le plus bas », assène Jean-Jacques Serrier. A titre d’exemple, dans sa pharmacie (20 M€ de CA) qui emploie 57 salariés, la masse salariale atteint 72 % des frais généraux soit 250 000 euros mensuels. De même, sur les treize salariés d’Alain Peyre, quatre sont affectés au back-office.

Un credo : consacrer plus de temps au conseil

Paradoxalement, ces principes venus tout droit de la grande distribution ne semblent pas contradictoires avec l’exercice officinal. Les pharmaciens affirment même que leur modèle leur permet d’assurer un meilleur accueil et de consacrer plus de temps au conseil. Ils en veulent pour preuve la stricte répartition de leur activité entre les trois catégories de TVA. « A périmètre comparable, le 2,1 % a même progressé de 5 % en 2013 dans nos pharmacies », assure Hervé Jouves. « Nos prix bas en OTC et en parapharmacie tirent le médicament remboursé », confirme de son côté Jean-Jacques Serrier. Pour lui, la réputation de prix bas draine et fidélise la clientèle en médicaments vignetés.

Grâce à son large référencement et son stock important, Sylvia Perri a elle aussi vu sa pharmacie devenir « référente » pour les sorties d’hôpital et les nouveaux traitements. Et elle a embauché l’équivalent de 35 temps pleins (« un effectif incompressible pour assurer accueil et conseil »).

Un point sur lequel les pharmaciens sont souvent attendus. « Trop souvent encore le low cost est associé au supermarché, à nous de convaincre du contraire ! », déclare Alain Peyre. Comme l’ensemble de ces pharmaciens, il réfute le terme de discount, trop péjoratif selon lui, pour lui préférer celui de… bas prix.

Ces chiffres qui font les pharmacies low cost

• Une réduction constante de 30 à 50 % sur les prix OTC et de parapharmacie.

• Un CA composé à 30 % de médicaments remboursés, 30 % d’OTC et 30 % de parapharmacie.

• Une marge de 20 % en moyenne.

• Un stock de 18 à 30 000 produits référencés en permanence.