Le blues des campagnes

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Publié le 15 avril 2006
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Les tensions sensibles de 2005 sur les recrutements semblent se résorber en Gironde. Mais les pharmaciens des zones rurales ne sont pas toujours à la fête. Etre trop loin d’une ville est souvent un handicap.

Avec 10 725 kilomètres carrés, la Gironde est le plus vaste département français. Un territoire attractif dont la population, qui a connu une croissance démographique de + 0,93 % par an entre 1999 et 2005, atteint désormais 1,3 million d’habitants. Une hausse due à un fort courant de migration interrégional, alimenté en particulier par les habitants de la région parisienne. La Gironde reste le premier département agricole de France, grâce à son vignoble (118 000 hectares) et à la sylviculture, qui s’appuie sur 480 000 hectares de forêt couvrant tout l’ouest du territoire, du sud à l’extrême nord (la pointe du Médoc). Cette forêt stabilise le « cordon dunaire » des 125 kilomètres de côte et sa culture nourrit une importante industrie du bois et du papier.

En terme d’emplois, l’industrie aéronautique et de défense constitue l’un des pôles dominants devant le tourisme et l’industrie agroalimentaire. Touchée par une sérieuse crise dans la métallurgie, l’économie reste toutefois bien orientée. Le taux de chômage girondin est le plus important d’Aquitaine avec 10,4 % fin 2005 parce que le département concentre le plus grand nombre d’activités. Les deux tiers des emplois girondins se situent dans l’agglomération bordelaise (800 000 habitants) qui forme un bassin d’emploi englobant Libourne à l’est et Arcachon à l’ouest. Dans le département, 74 % de la population vit en milieu urbain. Si les Girondins aiment la campagne, ils préfèrent habiter dans la métropole bordelaise, qui est aussi l’ensemble urbain le plus étendu de France.

Au-delà de la Communauté urbaine.

Le département de la Gironde compte 582 officines. Plus les pharmaciens sont éloignés de la métropole régionale, plus ils peinent à recruter. « Les Bordelaises ne veulent pas venir. Quand elles voient Gironde, l’annonce les intéresse, mais quand elles s’aperçoivent que la pharmacie se trouve à Saint-Ciers, au nord du département, à près de 60 kilomètres, certaines ne viennent même pas. Au-delà de la Communauté urbaine, ça leur fait peur, elles se demandent où elles vont tomber », souligne Virginie Lochet. Cette officinale a « perdu » par le passé plusieurs jeunes préparatrices qui ont « fui » Saint-Ciers (situé à la limite de la Charente-Maritime) pour Bordeaux ou Agen. Elle estime pourtant qu’elle a de la chance car elle a réussi à former des « filles du pays » qui ont fini par rester. Associée à un pharmacien, elle n’a jamais eu à chercher d’assistant.

Située beaucoup plus au sud, à Targon, au coeur de l’Entre-deux-Mers, entre Garonne et Dordogne, à une quarantaine de kilomètres de Bordeaux, Marie-Paule Bizat n’a pas eu la même chance. « J’ai mis des mois à trouver un assistant. J’avais déjà essayé l’intérim, mais cela ne m’avait pas donné satisfaction. Les jeunes ne veulent pas quitter la ville, qu’ils soient de Bordeaux ou de Libourne. Je me suis appuyée sur les répartiteurs en privilégiant les candidatures de proximité. J’ai fini par trouver mais ça a été vraiment dur » commente-t-elle. Marie-Paule Bizat travaille avec un associé, un assistant et deux préparatrices.

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Démobilisation des jeunes.

François Martial, président du Syndicat des pharmaciens de la Gironde, estime que le malaise est plus profond : « Il y a une forte démobilisation des jeunes. Une fois diplômés, les préparateurs n’hésitent plus à faire autre chose, en s’essayant par exemple à la vente de produits de beauté ou en s’engageant comme préparateurs hospitaliers. Ils essaient ailleurs. C’est vrai qu’après beaucoup reviennent. Quant à la pénurie dans les zones rurales, elle ne fait aucun doute alors qu’il est intéressant de vivre en milieu rural où les gens sont reconnus. » Une notoriété locale que le président du syndicat soupçonne d’alimenter la crainte des candidats. « Les jeunes doivent finalement préférer l’anonymat de la ville. Des préparateurs il n’y en a pas et les adjoints se comportent trop souvent comme des salariés au lieu d’agir comme les cadres supérieurs qu’ils sont. Je crois qu’il y a une vraie peur face à la responsabilité de la délivrance et que le fait d’être reconnu l’amplifie ».

Marie Agussan, assistante à la pharmacie de Raphaël Lecat, à Lesparre, au coeur du Médoc, remarque elle aussi que l’éloignement de Bordeaux pose parfois problème même si les choses s’améliorent. « L’année 2005 a été assez difficile pour les recrutements, mais on sent que ça change. Nous recherchons un pharmacien et nous commençons à avoir des réponses. Nous passons essentiellement par le canal des répartiteurs, plus rarement par les agences d’intérim ». Cette grosse officine emploie cinq préparatrices et deux assistants.

La pharmacie de Jean-Yves Courbin, située à Hostens au sud du département à 40 kilomètres de Bordeaux dans la forêt à proximité d’un grand lac, tire son épingle du jeu. Associé à son frère Jean-Marie, ce titulaire emploie six préparatrices. « Il y a quinze ou vingt ans, nous avions de vrais problèmes qui ont commencé à se résoudre avec l’arrivée d’une nouvelle population et l’extension du grand Bordeaux. Il est toutefois plus facile de recruter du personnel en CDI que des intérimaires, car nous ne sommes pas très loin de Bordeaux. Trouver quelqu’un pour un congé maternité sur une durée de un ou deux mois reste difficile. La population se féminise. Les mères de famille préfèrent ne pas travailler le mercredi, et c’est normal, mais avec l’aménagement des horaires et des salaires corrects, ça passe… Mais à 30 kilomètres au sud d’Hostens, cela devient vraiment difficile car trop loin de Bordeaux. »

Les chiffres de l’emploi

– L’OCP reconnaît des tensions sur les recrutements en 2005, tout en soulignant que la situation s’est aujourd’hui détendue.

Pourtant le nombre des offres proposées a évolué à la baisse entre 2004 et 2005 pour les préparateurs.

Selon l’ANPE de la Gironde, 88 offres de préparateurs (31 CDI, 50 CDD et 7 missions) ont été proposés en Gironde en 2004 contre 64 en 2005 (29 CDI, 30 CDD et 5 missions) .

Le nombre des offres a également décru pour les pharmaciens. De 56 offres en 2004 (28 CDI, 19 CDD et 9 missions), on est passé à 41 en 2005 (23 CDI, 13 CDD et 5 missions).

(Source : Annuaire de l’Ordre).