6 conseils pour garder vos collaborateurs

Réservé aux abonnés
Publié le 27 mai 2006
Mettre en favori

La pénurie de diplômés est croissante dans la plupart des régions. Dès lors, mettre en place une politique de management devient un impératif pour éviter le turnover. Conseils de pros du management et de pharmaciens qui ont appliqué avec succès les recettes qui marchent. Sondage exclusif à l’appui.

Les ressources humaines sont le moteur de l’entreprise, surtout en période de pénurie de personnel. Cette prise de conscience est venue tardivement dans les très petites entreprises », souligne Georges Fontaine, responsable du cabinet de consulting Fontaine. L’officine ne fait pas exception. La nécessité de fidéliser ses collaborateurs en poste devient un impératif quand le recrutement se complique.

La pénurie de diplômés en pharmacie touche de nombreuses régions, mais à des degrés divers, comme le montrent les articles de la rubrique « Carrières » du Moniteur consacrés tous les deux mois à un département. « C’est le cas particulièrement en milieu rural où les pharmaciens mettent parfois 18 mois à 2 ans pour trouver des adjoints, précise Jean-Pierre Sécheresse, responsable de JPS Consultant. Mais la pénurie seule n’explique pas le turnover. Dans les villes universitaires, les diplômés sont suffisamment nombreux, mais ils sont très mobiles car ils veulent multiplier les expériences et voir s’ils peuvent trouver mieux ailleurs. »

La volonté de mettre en place une politique de management en officine n’est pourtant pas poussée par ce seul souci de conserver à tout prix ses salariés. « Elle est due aussi à l’évolution de la profession, la venue de jeunes titulaires et celle de pharmaciens issus de l’industrie pharmaceutique qui en reproduisent les schémas d’organisation, poursuit Jean-Pierre Sécheresse. Toute une série d’outils existent aujourd’hui pour impliquer l’équipe et dynamiser l’officine : communication, responsabilisation, valorisation, reconnaissance financière (salaire, intéressement, plan d’épargne)… »

1.Rémunération.

Pour garder un collaborateur, faut-il d’emblée offrir aux débutants un salaire de base au-dessus de la grille des salaires ? Faut-il pratiquer des augmentations régulières ? Les réponses divergent. Tout dépend de la zone d’implantation de l’officine. Selon Jean-Pierre Sécheresse, « un jeune peut accepter un salaire plus bas pour rester à Toulouse, Marseille ou Montpellier. Cela devient un élément de moindre motivation ». La rémunération devient un élément moteur pour les pharmacies éloignées de pôles urbains. « Nous sommes obligés de rémunérer un pharmacien débutant au coefficient 500 car nous avons peu de candidats, explique Jean-Louis Vialle, installé à Saint-Yrieix-la-Perche, une commune de 6 500 habitants située en Haute-Vienne. Nous avons réussi à former une équipe, nous ne regardons pas les coefficients que les gens devraient avoir en fonction de leurs années d’études mais en fonction de leur potentiel. »

Selon Brigitte Defoulny, responsable du cabinet Héliotrope, « le coefficient 500 devient presque un coefficient de base. La plupart des gens sont payés au-dessus de la grille. Si le candidat veut un coefficient plus élevé, le titulaire peut répondre qu’il n’y est pas opposé mais que ce revenu doit correspondre à des objectifs et que, dès lors, il attendra six mois voire un an avant de le reconsidérer. »

Pour Georges Fontaine, pratiquer une rémunération forte entraîne un risque de surenchère. « Les gens peuvent être tentés d’en jouer. Or, compte tenu des charges sociales, de la marge de l’officine, est-ce une bonne idée ? Le principal est surtout que chacun des membres de l’équipe puisse avoir son propre projet personnel au sein d’un projet plus global sur 3 à 5 ans, et que chacun y trouve ses convenances personnelles. Il peut y avoir une résonance financière mais il existe d’autres leviers de fidélisation. »

Publicité

Les contrats de travail sont aussi à revoir. « Les plus jeunes ne sont pas intéressés par un temps partiel de 28 ou 30 heures, ajoute Martine Costedoat, responsable de la formation au sein du groupement CEIDO. Même avec un bon coefficient, le revenu n’est pas suffisant. »

Si accorder des augmentations régulièrement ne s’avère pas toujours possible, il faut pouvoir le justifier en étant transparent avec l’équipe. Un principe appliqué par Olivier Lamare, installé à La Souterraine (Creuse) : « Je ne suis pas gêné de donner le chiffre d’affaires de l’officine et sa progression. Les gens ont des idées fausses, ils ne voient pas les tenants et les aboutissants. Le but est, sans noyer les salariés dans les chiffres, d’indiquer le chiffre d’affaires général, le hors taxes, les progressions des différents secteurs, celle du taux de TVA qui donne un signe de notre capacité à aller au-delà de la prescription… Il faut considérer la pharmacie comme une petite entreprise et impliquer les collaborateurs. »

2. La communication.

« Les salariés et le titulaire travaillent côte à côte toute la journée. Pourtant, relève Jean-Paul Sécheresse, ils ne communiquent qu’autour des patients, du quotidien…, mais pas sur les missions, sur ce qu’il faut développer ou améliorer. »

Les consultants interrogés insistent sur la nécessité de mettre en place des réunions de travail, peu importe à quel rythme. Chez Jean-Louis Vialle, elles sont hebdomadaires. « Cela permet de limiter leur durée à une demi-heure ou une heure. Nous évoquons les nouveautés, la démarche liée à la qualité, le passage de représentants venus faire des formations techniques sur un produit… » Claire Piat, titulaire à Saint-Ambroix dans le Gard, organise les réunions mensuellement, à la demande de ses salariés, dont trois pharmaciens, trois préparateurs, un conditionneur et une secrétaire. Une boîte à idées a même été créée pour les réunions.

Christian Martin, coassocié du cabinet Socco Consult, appelle cela du « management participatif ». « Lors de ces réunions, chacun doit se sentir acteur de la réussite de l’officine. Il faut faire le point sur le mois qui arrive, les animations, le média-planning des laboratoires, les produits, il faut parler des réussites de l’équipe mais aussi de ses faiblesses pour pouvoir les rattraper… C’est également l’occasion de féliciter et d’encourager les collaborateurs. »

Les entretiens individuels annuels, encore rares dans les officines, peuvent aider à nouer le dialogue avec ses salariés. « On estime, depuis trois ou quatre ans, à environ 10 % le nombre d’officines pratiquant les entretiens d’évaluation annuels », estime Jean-Paul Sécheresse. Ils devraient d’ailleurs se généraliser avec l’arrivée du DIF (droit individuel à la formation) qui oblige tous les deux ans à un « entretien de professionnalisation ». « Cela devenait une nécessité, juge Olivier Lamare. Je vais commencer les entretiens individuels en mai, pour les organiser une fois ou deux par an. L’intérêt est d’aménager un espace de discussion pour parler de soi, de son rapport avec les autres membres de l’équipe, des objectifs…, ce que nous n’avons pas le temps de faire au quotidien. » Pour Christian Martin, cette écoute peut désamorcer certains conflits, permettre de mieux connaître les motivations et de bien répartir les tâches, et ainsi contribuer à fidéliser ses salariés.

3. Délégation.

« Les titulaires montrent une certaine réticence à déléguer, juge Jean-Paul Sécheresse. L’adjoint risque de ne pas rester sur le long terme. Si je lui donne des responsabilités importantes, me dit-il, je serais embêté le jour où il partira. Mais si le titulaire n’accorde pas de responsabilités à l’adjoint, il ne se montrera pas très motivé. » Et le résultat risque d’être le même : le départ du collaborateur.

Le mieux, c’est de s’y préparer dès le recrutement. « Il faut définir ses besoins et fixer des objectifs quantitatifs mais également quantitatifs, comme l’attitude, le comportement, souligne Brigitte Defoulny, de l’agence Héliotrope, afin d’éviter les malentendus. » Cette démarche peut même s’appliquer dans une petite officine, où sont présents un seul titulaire et des préparateurs. « Le titulaire ne peut pas tout faire tout seul », rappelle Christian Martin.

La palette des possibilités est large : prise en charge de la démarche qualité, mise en avant des produits (promotions, gestion des vitrines…), gestion des laboratoires (de la négociation à la commande), réception et suivi des stocks, mise en oeuvre d’animations, gestion des promis, du tiers payant, devenir maître de stage pour les étudiants… « L’évolution peut se faire progressivement, la politique de prix être discutée avec le titulaire », détaille Brigitte Defoulny.

« L’actualité fournit des opportunités pour déléguer des responsabilités, comme par exemple les sorties de la réserve hospitalière qui peuvent être confiées à un adjoint en ce qui concerne la formation et les procédures méthodologiques à suivre, y compris le suivi du patient », ajoute Jean-Pierre Sécheresse. Ou encore la fonction de pharmacien responsable assurance qualité (PRAQ) que l’Ordre aimerait voir en place dans chaque officine en 2007.

« Nous sommes dans une phase de transition, déclare Olivier Lamare. Notre objectif est de confier des responsabilités par rayon ou par laboratoire. Pour l’instant, les collaborateurs ne sont pas aptes à prendre tout en charge. Les laboratoires dont ils rencontrent les représentants sont modestes, pas trop « impliquants » économiquement pour moi. Je vois auparavant avec la personne qui est chargée des objectifs. Gérer les négociations s’avère plus difficile. Je l’ai fait avec une personne que j’ai formée sur deux fabricants d’orthopédie, avec lesquels tout est cadré par les remises et les conditions commerciales négociées avec le groupement. Le collaborateur vérifie les rotations. »

4. Formation.

La délégation de responsabilités va de pair avec la formation. Il s’agit de responsabiliser mais pas de se débarrasser de tâches qu’on ne souhaite pas effectuer. Et cela ne doit pas se faire trop vite. Si on ne forme pas avant de déléguer, on risque d’échouer. « Si un préparateur, par exemple, prend en charge un rayon ou un laboratoire du jour au lendemain, sans explications détaillées, il ne saura pas jusqu’où aller. S’il se trompe dans la commande, et si le titulaire est autoritaire, il en pâtira, explique l’un des consultants. Résultat : soit le salarié ne voudra plus s’occuper de cette tâche, soit il se sentira humilié et voudra quitter l’officine. Nous avons trop souvent vu ce cas de figure. »

Faciliter l’accès à des formations fait également partie des éléments de fidélisation des salariés, quand ils veulent évoluer ou changer de poste. « Il faut changer l’image qu’ont les titulaires de la formation, notamment dans les petites officines où ils la jugent négativement », insiste Martine Costedoat. Même une petite officine peut s’organiser pour pallier l’absence d’un collaborateur parti en formation (elle le fait déjà quand il est malade ou en vacances…), car cette formation sera un bénéfice pour l’ensemble de l’équipe, le bénéficiaire se chargeant d’en faire profiter tout le monde. « Il ne faut pas oublier le droit individuel à la formation, qui a lieu hors du temps de travail, rappelle Brigitte Defoulny. Ces 20 heures, qui équivalent à trois jours par an, passent à la trappe car les titulaires et les collaborateurs n’en sont pas toujours informés. Les adjoints ne doivent surtout pas oublier qu’il s’agit d’un droit et qu’il ne faut donc pas hésiter à le prendre. »

Autres solutions évoquées par Jean-Paul Sécheresse : former in situ via Internet, par exemple sur la qualité grâce aux documents mis en ligne par la faculté de Lille. Dans le cadre des réunions mensuelles, on peut aussi intégrer 30 à 45 minutes de formation sur les nouveaux produits avec le représentant d’un laboratoire ou un des membres de l’équipe en fonction de ses domaines de compétences, faire le point sur les conseils rencontrés le plus fréquemment à l’officine…

5. Primes.

Bénéfiques pour motiver l’équipe, les challenges (vendre par exemple tel nombre de produits sur une durée fixée), outre le fait de rompre la routine, boostent également les résultats de l’officine. Mais attention à ne pas en abuser ! Il faut qu’ils restent motivants et que les objectifs fixés soient atteignables. Les consultants en conseillent deux à trois par an, avec des primes à la clé.

Pour Christian Martin, « mieux vaut organiser des challenges spécifiques au point de vente, en fonction des chiffres de l’officine et des besoins. L’année dernière, nous en avons organisé un d’avril à juin, durant la période des solaires et des produits minceur, dans une officine dont le 19,6 % était en perte de vitesse. Le chiffre d’affaires a crû de 5 % par rapport à l’évolution du marché. Il faut que le challenge soit mesurable, équitable et court dans le temps. La prime reversée à l’équipe sera calculée par rapport à la marge brute supplémentaire dégagée. Le but est que les salariés réalisent le challenge pour défendre l’officine, leur officine ».

Une autre pharmacie pourra choisir d’agir sur le chiffre d’affaires réalisé sur le 5,5 %, sur les ventes associées en fonction du pic des pathologies sur un trimestre. Claire Piat divise ensuite le gain des challenges entre tous les membres de l’équipe, sans tenir compte des horaires de travail.

Attention à bien équilibrer la part des primes individuelles et du challenge ponctuel ! « Il faut absolument qu’une partie du gain soit collective, insiste Jean-Pierre Sécheresse. Les collaborateurs de l’officine ne fonctionnent pas comme une équipe de commerciaux qui disposent de secteurs avec leurs clients propres. Dans l’officine, tout client doit pouvoir être pris en charge par la ou les personnes présentes. Le collectif est important, C’est pour cette raison que je privilégie la mise en place d’un contrat d’intéressement – qui ne comprend pas de charges sociales. Tout le monde s’implique, de la femme de ménage qui rend la pharmacie accueillante au responsable des stocks. »

Les challenges ne doivent être créés que lorsqu’un système de rétribution collectif existe déjà, sous peine de créer des tensions entre les collaborateurs ou de provoquer des dérapages (le salarié ne s’intéressera qu’aux clients qui achètent…). « Ponctuellement, sur un an, on peut créer des stimulations, mais, sur cinq à dix ans, il faut développer l’aspect collectif. »

6. Capital.

Les perspectives d’évolution des adjoints ont beaucoup changé. « Les professionnels qui ont commencé à exercer il y a une vingtaine d’années se sont installés dans les deux ou trois ans qui suivaient leurs débuts, se souvient Martine Costedoat. Aujourd’hui, il est plus difficile de s’installer pour un adjoint qui n’en a pas les moyens financiers. Il faut prendre en compte cette situation qui peut engendrer une certaine frustration sur les évolutions professionnelles. Pourquoi ne pas proposer une association au pharmacien adjoint, par exemple en SEL ? »

La pratique la plus répandue* consiste à créer une SELARL dans laquelle s’associent le pharmacien installé et le jeune. Le premier prend une participation minoritaire, le second devenant le gérant et l’actionnaire majoritaire de la société. Avantages : le plus ancien anticipe la réalisation de son capital et fidélise un collaborateur compétent, tandis que le plus jeune pourra exercer sans subir de contraintes financières trop lourdes.

« Les SEL sont une solution extrêmement intéressante pour fidéliser ses collaborateurs, surtout en cette période de pénurie, notamment dans les zones rurales, conclut Brigitte Defoulny. Ces titulaires, qui s’interrogent souvent sur le devenir de leur pharmacie, ne sont pas tous prêts à s’associer. Ils ne veulent pas que leur collaborateur parte mais ils se disent qu’ils ont encore dix années à exercer et craignent de se sentir liés en s’associant trop vite. Ceux qui ne sont pas prêts à franchir le pas songent donc d’abord à mettre en place des plans de progression de carrière, à donner des missions, fixer des objectifs… »

* Pour en savoir plus, lire « L’exercice en officine : seul ou en SEL ? » publié aux Editions du Moniteur dans la collection « Les essentiels du pharmacien » (2006).

A retenir

– Un tiers des titulaires interrogés par Direct Medica ont dû modifier leur politique de management pour fidéliser leurs collaborateurs.

– les outils pour fiféliser : communication, responsabilisation, valorisation et reconnaissance financière.

– les réunions de travail, quel que soit leur rythme, contribuent à associer les collaborateurs à la bonne marche de l’entreprise.

– primes : il faut absolument qu’une partie du gain soit collective, car

les collaborateurs d’une officine ne fonctionnent pas comme une équipe de commerciaux avec leurs clients propres.

Ce que veulent les adjoints

1 900 adjoints ont répondu récemment à un questionnaire de la section D de l’Ordre concernant leur regard sur leur métier. 67 % sont satisfaits de leur situation professionnelle (relations avec le titulaire, avec le reste de l’équipe, avec les patients, ambiance au travail…). Les deux tiers trouvent l’exercice de leur métier valorisant (39 % « oui plutôt » ; 26 % « oui tout à fait »), 10 % répondent « non pas du tout » et 24 % « non pas tellement ».

Les adjoints souhaitent une formation mieux adaptée à la pratique, une journée par mois dans l’idéal (5,6 heures/mois actuellement). Près de neuf sur dix souhaitent également que l’Ordre joue un rôle pour son contrôle et sa qualité.

Comment voient-ils l’avenir ? Pour 84 % des adjoints interrogés, le métier de pharmacien sera tourné vers plus de conseils, plus de prescriptions et plus d’administratif. Un peu plus de la moitié (55 %) pensent que la fonction d’adjoint va évoluer vers plus de responsabilités et plus de décisionnel.

Plus de 4 adjoints sur 10 (42 %) ne pensent pas devenir titulaires au cours de leur carrière (19 % « oui certainement »). Pour les adjoints qui ne souhaitent pas devenir titulaires, les raisons avancées sont une fin de carrière proche (35 %), des raisons financières (29 %), un manque de motivation (14 %), des raisons familiales (10 %). Parmi ceux qui souhaitent le devenir un jour, 68 % citent comme frein l’obstacle financier et 16 % leur famille.