La vente sur Internet n’a pas dit son dernier mot

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Publié le 29 avril 2015
Par Annabelle Alix
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Annulées par le Conseil d’État le 16 mars, les bonnes pratiques sur la vente en ligne de médicaments pourraient bientôt ressusciter. En attendant, les officines qui ont franchi le pas doivent toujours respecter les nombreuses autres règles du code de la santé.

Affichage des notices en version PDF, stockage des données de santé auprès d’un hébergeur agréé, prohibition du référencement payant sur le Net… les contraintes encadrant la vente en ligne de médicaments ont été supprimées le 16 mars par le Conseil d’État. Saisie par trois pharmacies, la juridiction a annulé pour vices de forme l’arrêté du 20 juin 2013 sur les bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique. « Le gouvernement a pris dans cet arrêté des mesures qui dépassaient sa compétence », explique Maître Bernard Geneste, avocat chez CMS Bureau Francis Lefebvre, qui défend l’une des officines.

Réactif, le ministère de la Santé a déposé dès le 27?mars un amendement au projet de loi de santé adopté le 10?avril par les députés. Cet amendement habilite le gouvernement à republier les bonnes pratiques annulées sans les modifier. Pour s’imposer, il doit toutefois encore être validé par le Sénat, et la loi de santé être publiée.

Des contraintes peut-être trop strictes

Cette nouvelle version devra ensuite être notifiée à la Commission européenne, illégalement évincée de la procédure la première fois. Cette instance européenne est chargée de vérifier si les entraves à la liberté du commerce sont bien justifiées par des raisons de santé publique. « Certaines mesures pourraient se voir censurées car elles freinent considérablement l’essor du commerce en ligne, estime Maître Virginie Apery-Chauvin, l’avocate d’une des pharmacies ayant attaqué l’arrêté. Publier la notice des médicaments en version PDF ralentit sérieusement la navigation sur le site. L’interdiction de recourir au référencement payant entrave sa visibilité, et donc sa rentabilité. Le stockage obligatoire des données de santé auprès d’un hébergeur agréé s’avère également très coûteux pour les pharmaciens et peut les dissuader de créer un site marchand. Or, selon moi, ces contraintes ne se justifient pas par des raisons de santé publique ».

Pour l’heure, les sites ne sont plus tenus de les respecter. Exit aussi les mesures encadrant la facturation des médicaments, leur descriptif en ligne, l’affichage des prix, l’architecture du site ou encore les modalités du conseil pharmaceutique en ligne.

Des règles persistent

Les sites marchands sont en revanche soumis au pan de réglementation encore en vigueur sur la vente en ligne (voir encadré). Ils restent adossés à une seule officine et doivent obligatoirement afficher les coordonnées de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), le logo européen de la vente en ligne et deux liens hypertextes renvoyant vers les sites de l’ordre des pharmaciens et du ministère de la Santé. La vente reste aussi réservée aux médicaments non soumis à prescription médicale obligatoire, et relève toujours de la seule responsabilité du pharmacien. Le site doit enfin avoir reçu l’agrément de l’Agence régionale de santé (ARS) de laquelle dépend le demandeur.

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Dans l’attente d’une nouvelle publication des bonnes pratiques, il serait risqué de trop s’en écarter car « le code de la santé publique comporte de nombreux articles imprécis. En fouillant bien, il est toujours possible de trouver un fondement légal à l’appui d’une sanction », met en garde Maître Virginie Apery-Chauvin. Un exemple ? L’obligation de stocker les données de santé auprès d’un hébergeur agréé est prévue de façon générale dans le code de la santé publique. Elle ne vise pas expressément la vente en ligne de médicaments mais pourrait être invoquée à l’appui d’une attaque en justice. Les juges devraient alors déterminer si le texte s’applique ou non aux sites marchands et, le cas échéant, prononcer une sanction. Mieux vaut également respecter les règles déontologiques applicables au comptoir. Attention, par exemple, à ne pas inciter l’internaute à une consommation abusive de médicaments en présentant les produits de façon trop attractive. Les pharmaciens doivent rester vigilants. Les pouvoirs publics ont affiché une première fois leur position au travers des bonnes pratiques. Sinon identiques, les prochaines seront fortement similaires.

La saga de la vente en ligne

→ 8 juin 2011. L’Union européenne réglemente la vente de médicaments sur Internet. La directive 2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil européen doit être transposée en France avant le 2 janvier 2013.

→ Décembre 2012. Le gouvernement rédige deux textes pour la transposer en droit français : l’ordonnance n° 2012-1427 du 19 décembre 2012 et le décret n° 2012-1562 du 31 décembre 2012. Ils autorisent le lancement de sites et les réglementent, dans les grandes lignes.

→ 14 février 2013. Le Conseil d’État suspend en référé l’application d’une disposition de l’ordonnance du 19 décembre 2012. La catégorie des médicaments autorisés à la vente en ligne est jugée trop restrictive au regard du droit européen. Tous les médicaments non soumis à prescription obligatoire peuvent désormais être vendus sur Internet au lieu des seuls en accès direct.

→ 15 mai 2013. Un projet d’arrêté sur les bonnes pratiques de vente en ligne est soumis à l’Autorité de la concurrence, pour avis. Il est défavorable car ce projet restreint de façon non justifiée le développement de la vente en ligne et porte atteinte au principe de la concurrence.

→ 24 juin 2013. Les bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique sont adoptées par arrêté du gouvernement malgré l’avis défavorable de l’Autorité de la concurrence.

→ 11 juillet 2013. Trois pharmacies qui se sont lancées dans la vente en ligne saisissent le Conseil d’État d’un recours pour excès de pouvoir. Elles demandent l’annulation de l’arrêté de juin 2013 pour vices de procédure.

→ 16 mars 2015. Le Conseil d’État annule l’arrêté du 20 juin 2013, mais les sites marchands doivent respecter l’ordonnance et le décret de décembre 2012, toujours en vigueur.

Des retours à prévoir ?

L’annulation de l’arrêté du 20 juin 2013 supprime certaines contraintes à la vente en ligne. Désormais, comme pour tout achat, l’acheteur de médicaments sur le Net bénéficierait d’un délai de rétractation d’au moins quatorze jours. En vertu de la loi, le pharmacien pourrait même augmenter ce délai s’il le souhaite. Durant ce laps de temps, le patient pourrait alors retourner les médicaments commandés et reçus. Le code de la consommation refuse bien la rétractation du client dans le cas de l’acquisition d’un bien rapidement périssable (alimentaire…) ou ouvert et non retournable pour des raisons d’hygiène ou de protection de la santé, mais les boîtes de médicaments non ouvertes ne semblent pas entrer dans ce champ. Les titulaires de sites marchands pourraient donc s’attendre à gérer des retours de boîtes…