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L’avenir de la pharmacie passe par la création de services client
Onde de choc. Xavier Pavie ne s’est pas fait que des amis en estimant publiquement que 10 000 pharmacies pourraient faire mieux que les 23 000 actuelles. Pour « Pharmacien Manager », il revient sur le sujet et explique comment il voit le marché évoluer. Âmes sensibles, s’abstenir.
Pharmacien Manager. Vous avez une double formation en gestion et philosophie. Comment avez-vous été amené à réfléchir à la pharmacie ?
Xavier Pavie. Les pharmaciens m’ont sollicité. J’enseigne le service et l’innovation. Il y a cinq ou six ans, un laboratoire s’est interrogé sur la façon de faire monter en compétence la pharmacie sur la notion de service. J’ai alors eu des premiers pharmaciens en cours et j’ai pu constater que ces thématiques rejoignent pleinement leurs problématiques. En effet, la pharmacie – comme les taxis, les librairies ou la location de voiture – est un secteur dans lequel la différenciation ne se fait ni sur le prix, ni sur le produit, ni sur la distribution, ni sur la publicité. En pharmacie, le médicament est le même partout, son prix est régulé, la publicité également, enfin tout le monde distribue à travers sa “petite” officine.
P.M. Au-delà du prix, pourquoi Uber a su séduire
X.P. Uber se différencie par le processus, l’environnement physique et la personne. Concrètement, chez eux, pour réserver une voiture il faut avoir procuré ses coordonnées de carte bancaire. La voiture est propre, une bouteille d’eau est à disposition et, enfin, le chauffeur, en costume-cravate, est poli, agréable… Or les taxis sont généralement sales, mal aimables et vous devez payer en cash.
P.M. L’officine peut-elle s’inspirer du modèle Uber ?
X.P. Pour se différencier, il faut d’abord un environnement physique différent, or les 23 000 pharmacies de France se ressemblent toutes. Aucune ne s’adapte en fonction de sa proximité d’une crèche, d’un centre sportif, d’une maison de retraite… En quoi l’expérience de vie change-t-elle ? Un pharmacien ou une préparatrice qui va travailler dans une autre ville continuera à travailler de la même façon, or on a besoin d’avoir du personnel différent en fonction des services que l’on veut proposer. Enfin, le processus [le parcours client, NdlR] est le même pour tous : le patient va chez le médecin, qui lui donne un bout de papier. Cette feuille est ensuite remise au pharmacien qui se tourne pour prendre des boîtes dans son stock et les remet au client. Aucune pharmacie ne se différencie sur cette façon de faire. Pourtant ce point ne pose aucun problème juridique ou de coût. Amazon, lui, a proposé une autre façon de livrer un livre et les libraires finissent par disparaître.
P.M. Diriez-vous que les pharmacies vont disparaître aussi ?
X.P. On a 50 % de pharmacies de trop. On doit arriver à 10 000 pharmacies. Regardez, il y a quelques années, on comptait 40 000 station-services. Aujourd’hui il en reste 20 000 et personne ne tombe en panne. Il y a deux raisons à cela : une liée à la technologie – les voitures roulent plus longtemps en consommant moins –, et l’autre au réseau, mieux organisé. Pour la pharmacie, le vrai concurrent ce n’est pas E. Leclerc mais Amazon. Imaginez : le médecin envoie une ordonnance à la plate-forme Amazon, qui livre en moins d’une heure. C’est déjà le cas pour les produits frais à Seattle. Non seulement vous allez recevoir votre Doliprane chez vous – et ça tombe bien parce que vous n’êtes pas en forme –, et, en plus, il sera remis par un diplômé en pharmacie ! Enfin, si vous êtes une personne âgée, ce pharmacien enverra un SMS à vos enfants pour les avertir que les médicaments sont parvenus à bon port et placés dans un pilulier. Et tout cela coûtera moins cher qu’actuellement, puisqu’on n’aura pas besoin d’une officine pour porter ce service.
P.M. Sauf que la loi l’empêche…
X.P. L’innovation vient toujours avant la loi. Pour preuve, le pharmacien de la Grâce de Dieu à Caen, au départ conspué pour avoir un entrepôt non accolé à son officine, a aujourd’hui gagné en justice. Et tout le monde va s’inspirer de lui. Derrière les pharmaciens, il y a aussi des entrepreneurs.
P.M. En quoi le métier de pharmacien va-t-il changer selon vous ?
X.P. Le pharmacien doit être capable d’orienter un patient chez un confrère pour traiter telle ou telle pathologie, plutôt que de le servir. Autrement dit, le service universel n’existe plus. Aujourd’hui, du fait de la concurrence, on a besoin d’être des spécialistes. Prenons l’exemple du tourisme. Si vous allez en vacances au Maroc et que vous souhaitez ne rien faire, vous choisissez un riad ; si vous voulez marcher, vous partirez avec Voyageurs du Monde. Dans les deux cas, la semaine coûte 2 000 € mais ces offres s’adressent à des personnes différentes. Et dans les deux cas le client veut l’excellence. C’est pour cela qu’on doit laisser aux pharmaciens la capacité d’entreprendre. Pourquoi ne pas les laisser vacciner par exemple Cela éviterait au patient d’aller chez le médecin, puis à l’officine et enfin chez l’infirmière. Ainsi le pharmacien devient l’Amazon de la santé locale. Son avenir passe par la création de services client.
P.M. Les pharmaciens conseillent à longueur de journée, souvent gratuitement. Faut-il faire payer ce conseil ?
X.P. La valeur ajoutée du pharmacien ne se trouve pas dans la boîte. E. Leclerc veut vendre moins cher. Il le peut parce qu’il vend beaucoup. C’est une règle simple. Mais il est incapable de faire du suivi du cholestérol, du diabète, de la dépendance au tabac… Or ces services à valeur ajoutée, le pharmacien les propose gratuitement aujourd’hui. Ça n’a pas de sens. Ces services ont de la valeur, ils doivent être facturés. Aujourd’hui, pourquoi sont-ils gratuits C’est de l’hypocrisie. Reste que les pharmaciens font tellement de marge sur le remboursé qu’ils peuvent se permettre la gratuité.
P.M. Imagineriez-vous une pharmacie du diabète ou du cholestérol ?
X.P. Vous poussez le bouchon un peu loin mais c’est l’idée vers laquelle la pharmacie doit tendre. C’est pour cela que les officines peuvent s’en sortir et se répondre les unes les autres. Si elles fonctionnaient en réseau et se spécialisaient par pathologies avec chacune des services géniaux dans leur domaine, elles pourraient marginaliser E. Leclerc et Amazon. Elles auraient le monopole en travaillant davantage en écosystème.
PROFESSEUR À L’ESSEC BUSINESS SCHOOL
→ Spécialiste de l’innovation et du service, Xavier Pavie, a planché sur l’avenir de la pharmacie. Une réflexion qui prend en compte l’évolution numérique de notre société et qui préfigure un bouleversement des usages et des modèles économiques des entreprises. Ces changements n’épargnent pas l’officine qui devra faire face à de nouvelles formes de concurrence, inspirées du modèle Amazon. Comment s’en sortir alors Comment se protéger d’un éventuel Uber de la pharmacie ? L’économiste n’y voit qu’un seul échappatoire : réduire le parc officinal, mais pas n’importe comment…
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