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Stratégies venues d’ailleurs
Krys, Decathlon ou Sephora, nouveaux modèles des groupements de pharmacies ? Ces grands noms de la distribution spécialisée sont en tout cas connus pour avoir su appliquer les techniques de la grande distribution. Leur succès inspire la profession…
Des boutiquiers, les pharmaciens ? La polémique qui a suivi la diffusion sur M6, en janvier dernier, d’un reportage dans l’émission « Capital » porte à réfléchir. Il y était question de pharmacies dont « le modèle, aujourd’hui, c’est le supermarché » et de groupements qui ripostent à la montée en puissance des parapharmacies Leclerc en empruntant leurs meilleures « recettes ». La réalité est évidemment plus complexe. Mais il est vrai que de nombreux dirigeants de groupements de pharmacies ne se cachent plus de lorgner du côté d’autres réseaux (téléphonie, électroménager, optique…) pour s’inspirer de leurs bonnes pratiques dans les achats ou encore le marketing. Sans pour autant remiser aux oubliettes les spécificités et l’éthique propres aux officinaux. Signe des temps, c’est un porte-parole de La Poste qui est intervenu au Seminnov’ devant les adhérents Objectif Pharma début juin, pour témoigner du changement dans l’entreprise. Regarder ailleurs pour avancer plus vite. Le mouvement ne fait que débuter dans un objectif de performance. « Aujourd’hui, les marges des pharmaciens sont en baisse. Ils ressentent le besoin de se rassembler dans des groupes ayant à la fois une stratégie de développement et un plus grand pouvoir de négociation auprès des laboratoires », explique Alexis Berreby, cofondateur du groupement Leader Santé, lui-même titulaire à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis).
Comme Krys Mutualiser le back-office
Jean-Christophe Lauzeral, directeur général du réseau coopératif Giropharm, reconnaît ainsi être très inspiré par les réseaux d’optique. Parce qu’il les côtoie au sein de la Fédération du commerce associé (FCA), mais aussi parce qu’ils ont, eux aussi, pour spécificité de cumuler une double activité, marchande et liée à la délivrance de prescriptions. Ce pharmacien de formation se déclare néanmoins soucieux de maintenir son groupement sur la ligne éthique qu’il s’est fixée dès sa création. Il prêche donc à la fois pour un développement de nouveaux services rémunérés « qui correspondent bien à la formation universitaire des titulaires », et pour un renforcement du dynamisme commercial des officines. « Il faut accepter que le pharmacien ne peut actuellement gagner sa vie que s’il est un bon commerçant et sait vendre des boîtes, déclare-t-il. Il ne lui suffit pas de donner d’excellents conseils aux clients pour rembourser les très lourds emprunts liés à l’achat de son officine. »
La difficulté consiste à trouver le bon équilibre entre professionnel de santé et commerçant. Pour y parvenir, l’adhésion à une enseigne peut aider, pour peu que le nouvel adhérent soit prêt à accepter « la discipline du réseau », selon le directeur de Giropharm. « L’intérêt collectif doit toujours prévaloir sur l’intérêt particulier, ce qui suppose notamment d’accepter les orientations du groupement. Dans un métier qui est en train de s’infléchir pour aller vers le service, la délégation des référencements et des achats est en outre indispensable pour chaque titulaire, afin qu’il puisse se libérer le temps dont il aura besoin pour offrir ces services… »
« Pourquoi la pharmacie serait-elle le seul secteur de la distribution qui échapperait au paradigme de la distribution moderne ? », s’étonne Alexis Berreby. A mon sens, l’évolution vers de grands réseaux de distribution homogènes est inéluctable dans le contexte actuel de décroissance, d’autant que c’est en structurant le volet distribution que l’on peut faire en sorte que le pharmacien ne soit plus seulement un “délivreur”, mais aussi et surtout un professionnel qui sait accompagner les patients et clients. »
Comme Sephora Homogénéiser le stock et le look
Mais comment faire de la distribution homogène en pharmacie ? « Selon moi, il y a des règles à appliquer, comme dans un jeu, détaille Lucien Bennatan, président du groupe Pharma Référence (ex-PHR). Dans la panoplie de base, tout commence par le back-office, avec une vraie politique de référencement : on fait des choix pour éviter de multiplier les références dans chaque catégorie de produits et donner de la lisibilité à l’offre. Ensuite, il faut déléguer les achats à une centrale d’achats, qui emploie de vrais acheteurs formés comme tels et sait développer des marques distributeurs. Puis on homogénéise l’agencement, l’éclairage, les couleurs, la communication, le marketing ou encore le merchandising. Toujours avec l’objectif de construire une enseigne cohérente et de donner des repères aux clients : ils doivent savoir qu’ils trouveront le linéaire “bébé” à tel endroit dans toutes les pharmacies d’une même marque, par exemple. » Comme chez Sephora et Yves Rocher, où le parcours client est identique d’un magasin à l’autre.
C’est aussi ce référencement homogène et « cohérent » qui doit être à la base d’un concept d’enseigne selon Agnès Tirilly, directrice marketing enseigne et communication de Giphar (à la tête de 1?300 pharmacies sous enseigne en France). « Nous pouvons adapter une partie du référencement en fonction du lieu d’implantation », précise cette spécialiste, qui a fait ses armes à la Fnac avant de rejoindre Giphar. Mais le choix des produits à apporter aux clients devra toujours rester cohérent et conforme à l’identité de la marque. »
ANALYSER la performance
Quid de la performance commerciale des produits référencés ? A l’heure du numérique, les données peuvent être plus facilement analysées pour jauger la pertinence de tel ou tel choix. « Nous avons développé notre propre outil d’infogestion, qui s’appuie sur un logiciel déjà utilisé dans la distribution, afin de collecter en temps réel toutes les données liées aux ventes de nos pharmacies », relève Diane Schakowskoy, responsable marketing de Forum Santé (120 officines), premier groupement français à s’être développé sous enseigne. Les informations ainsi centralisées nous permettent de faire du scoring et d’évaluer très finement la rentabilité de chaque point de vente au mètre carré. » Adossé au répartiteur européen Celesio (groupe McKesson), le groupement Pharmactiv s’appuie lui aussi sur des logiciels qui ont déjà fait leur preuve dans la grande distribution (Spaceman) et qu’il s’est approprié pour répondre aux besoins spécifiques des officines. « Nous pouvons effectuer des analyses de performance sur chaque gamme et sur chaque segment de marché », confie Didier Bertholleau, directeur des opérations du groupement qui fédère plus de 1 700 pharmacies dans l’Hexagone. Le but n’est autre que de proposer à chaque officine Pharmactiv « un assortiment idéal en fonction des études réalisées ».
Comme Decathlon Affiner les prix
L’enseigne peut, dès sa création, chercher à travailler l’image qu’elle va projeter sur le marché. « Pour nos marques de distributeurs Well&Well, nous nous sommes inspirés de Système U, qui est une coopérative comme nous et s’est fait une spécialité de distribuer des produits bios et des œufs oméga-3, par exemple, raconte Didier Maarek, président de Pharmadom. Le but est pour nous aussi de proposer à des prix abordables des produits premium, dans l’air du temps, qui ont une réelle valeur de santé. » S’y ajoute le développement, par la tête de réseau, de plusieurs services informatisés permettant d’effectuer des bilans: sur la dépendance tabacologique, le syndrome métabolique… « Cela nous aide à faire passer l’idée que les pharmacies Well&Well ne vendent pas que du prix mais apportent aussi une prise en charge et une écoute ! » Car, de la même façon que Système U s’emploie à prouver qu’il fait de la grande distribution sans les excès de la grande distribution, Didier Maarek rêve d’une « coopérative de pharmaciens qui éviterait les excès des Big Pharma ».
Chez Lafayette Conseil, qui exploite les réseaux Pharmacie Lafayette et Optique Lafayette, les sources d’inspiration viennent des enseignes à prix bas Darty, Decathlon ou encore Ikea. « La largeur et la profondeur des gammes y sont très bien travaillées. Ainsi, nos officines ont la possibilité de proposer aux clients/patients 15 univers – pédiatrie, premiers soins, cosmétologie… – », indique Hervé Jouves, président de Lafayette Conseil (qui s’est précédemment occupé du développement de plusieurs enseignes, dont Virgin Megastore et Conforama…). Dans le cas des pharmacies Lafayette, les univers sont régulièrement scrutés par cinq animateurs réseau. Ils sillonnent la France pour le compte du groupe et vérifient, avec leur « œil d’expert », que le concept « happy low-cost » du groupement est bien respecté dans chaque point de vente. Côté politique de prix, les autres groupements prônent l’attractivité. « Il faut veiller à avoir une image prix forte, entretenue par des promotions permanentes, tout en conservant suffisamment de marge pour apporter des services supplémentaires aux clients », résume Alexis Berreby. Lucien Bennatan ajoute : « On estime que le prix ne participe qu’à hauteur de 30 % à la décision d’achat. Les 70 % restants viennent en fait des services, qui doivent être différenciants. »
Comme la Fnac Orienter le client
Loin de diluer leur image de scientifi?ques pur jus, la plupart des groupements s’efforcent de valoriser l’expertise de l’adhérent. « Il doit être positionné comme un acteur de santé à part entière et rester au centre de tous les nouveaux dispositifs », insiste Didier Bertholleau, chez Pharmactiv. Convaincu que les pharmaciens continuent d’apporter « la valeur ajoutée », ce groupement leur propose de nouveaux « kits clés en mains » censés les aider à monter en performance dans les « entretiens individuels personnalisés » (glycémie, entretiens AVK…). La stratégie est la même chez Alphega Pharmacy, où Laurence Bouton, directrice, insiste sur la volonté de « renforcer la relation de proximité entre les pharmaciens et les patients-consommateurs ». Et ce notamment au travers de nouveaux services dispensés en officine – dépistage de l’ostéoporose, accompagnement à l’utilisation des premiers autotests de dépistage du VIH…
Toutes les pistes sont bonnes pour améliorer le service en magasin et valoriser le pharmacien. Fort de sa propre cellule d’architecture, Forum Santé a ainsi été l’un des premiers réseaux à s’éloigner du système historique de « comptoirs en ligne » pour les remplacer par un pôle accueil centralisé, orientant les clients dès leur entrée dans le point de vente, et des mini-comptoirs répartis sur toute la surface de vente. C’est notamment les boutiques Orange qui avaient initié ce système d’accueil pour faire patienter au mieux les clients. « C’est une organisation que l’on voit déjà dans certaines chaînes, notamment dans l’optique, et qui réduit le temps d’attente et donc les risques d’insatisfaction », ajoute Diane Schakowskoy.
Et, dans le sillage de ce qui se pratique déjà dans des réseaux de distribution de produits culturels, tels que la Fnac ou le Furet du Nord, Pharmactiv cherche pour sa part à valoriser une nouvelle « sélection du pharmacien » à travers « l’actu du mois », qui met l’accent sur les produits les plus chaudement recommandés par le titulaire. Objectif, « permettre à chaque adhérent d’apporter sa valeur ajoutée », commente Didier Bertholleau. Preuve s’il en est que la marche vers les réseaux de distribution spécialisés ne sera pas forcément synonyme d’une déshumanisation ni d’une perte d’expertise…
Témoignages
Jean-Paul Juilliere PRÉSIDENT DE WELLPHARMA
Alexis Berreby CO-FONDATEUR DE LEADER SANTÉ
Hervé Jouves PRÉSIDENT DE LAFAYETTE CONSEIL
Didier Maarek PRÉSIDENT DE PHARMADOM
Lucien Bennatan PRÉSIDENT DU GROUPE PHARMA RÉFÉRENCE
Jean-Christophe Lauzeral DIRECTEUR GÉNÉRAL GIROPHARM
Agnès Tirilly DIRECTRICE MARKETING ENSEIGNE ET COMMUNICATION GIPHAR
Didier Bertholleau DIRECTEUR DES OPÉRATIONS PHARMACTIV
Diane Schakowskoy RESPONSABLE MARKETING FORUM SANTÉ
Laurence Bouton DIRECTRICE ALPHEGA PHARMACY
CommunicationLa solution Wellpharma
Pour communiquer vers le grand public, les réseaux de pharmaciens, contrairement à ceux des autres circuits, se heurtent au couperet de la réglementation. Forts de ce contexte, les dirigeants de la nouvelle enseigne Wellpharma (Objectif Pharma) ont l’intention de « réinventer la relation entre les consommateurs de santé et les pharmaciens ». Pour ce faire, ils ont créé le Club Wellpharma. Une fois qu’il en est membre, le client-patient se voit offrir un accès à des contenus Web éditorialisés (des conseils ou des recommandations de produits…), à des promotions et à certains événements en lien avec la santé… « Aujourd’hui, la notoriété d’une marque n’est plus forcément liée aux publicités qui sont diffusées dans les mass media, comme en témoigne d’ailleurs la puissance colossale des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon, NDLR), relève Jean-Paul Juilliere, président de Wellpharma. Mais on sait que la notoriété d’une marque est étroitement liée à la qualité des contenus qui lui sont associés et aux relations plus ou moins personnelles qu’elle a su établir avec ses consommateurs. » Le Club Wellpharma a vocation à tisser des liens entre les pharmaciens du réseau et « des consommateurs qui sont sensibles aux thématiques de santé durable et responsable », précise Jean-Paul Juilliere. La difficulté ? « Cela nécessite des moyens technologiques et des ressources pour la création des contenus qualifiés ».
DISTRIBUTION SPÉCIALISÉE
Un distributeur spécialisé est un commerce qui vend des produits appartenant à la même catégorie, contrairement à la grande distribution, qui est « généraliste » dans son offre.
80 % des officines sont affiliées à un ou plusieurs groupements en France (Source : enquête Gallileo).
QUESTIONS ÀOlivier Dauvers
SPÉCIALISTE DE LA DISTRIBUTION, CO-AUTEUR DE L’OUVRAGE « LES INCONTOURNABLES DU COMMERCE DE DEMAIN »
Pharmacien Manager. Les pharmacies sont-elles les parents pauvres de la distribution spécialisée ?
Olivier Dauvers. Les pharmacies ont pris un certain retard. Mais je pense qu’il y a aujourd’hui une prise de conscience de la nécessité d’améliorer leur « commercialité » en passant sous enseigne par exemple. Les officines ne sont pas des commerces comme les autres, certes. Mais elles font face à une concurrence accrue de la part de la grande distribution ou des parfumeurs sur des catégories de produits.
P.M. Quels leviers peuvent être actionnés par les pharmaciens ?
O.D. D’un point de vue stratégique, il faudrait développer une nouvelle forme d’expérience client. Cela suppose de se renforcer sur plusieurs fondamentaux du commerce : la lisibilité de l’offre, la clarté des prix et enfin l’expérience d’achat.
D’un point de vue tactique, il est conseillé d’accroître le dynamisme commercial, en développant par exemple les promotions. Mais il s’avère que le consommateur français est beaucoup moins obsédé par la quête des prix les plus bas que ce que l’on peut parfois penser. Il cherche avant tout l’assurance d’avoir obtenu le maximum de valeur pour chaque euro dépensé. Ce n’est pas la même chose.
P.M. Comment recréer de la valeur là où elle semble fondre ?
O.D. Les titulaires doivent entendre qu’il y a dans la pharmacie, comme dans d’autres secteurs de la distribution spécialisée, des fondamentaux du commerce à respecter. Cela ne veut pas dire qu’il faut qu’ils abandonnent leur technicité ou leur expertise. Bien au contraire. Dans un tout autre secteur d’activité, c’est ce qu’a réussi à merveille une enseigne comme Leroy Merlin : elle a su associer une culture de « value for money » à un haut niveau de technicité, qu’elle cultive même désormais au travers de tutoriels ou d’ateliers de bricolage…
Propos recueillis par C.D.
COMMERCE ASSOCIÉ
Les groupements Astera, Sogiphar (Giphar), Giropharm et Welcoop sont membres de la Fédération du commerce associé (FCA), au côté des parapharmacies E.Leclerc et d’une centaine d’autres enseignes (Intermarché, Atoll, Krys…).
UNIFORMES
Exit les bonnes vieilles blouses blanches ! En conformité avec les codes couleur de l’enseigne, ce vêtement, historiquement associé aux pharmaciens, est parfois gris anthracite (Well&Well), noir (Lafayette) ou agrémenté de liserés orange (Forum Santé)…
L’ESSENTIEL
→ Les réseaux de distribution spécialisée sur une catégorie de produits (optique, électroménager, cosmétiques, téléphonie…) ont mis en place les techniques de la grande distribution en termes marketing. Ils ont ainsi créé des enseignes (Krys, Darty, Sephora, Orange…) à succès.
→ Le modèle de la distribution spécialisée inspire aujourd’hui les groupements de pharmacies. Objectif : gagner en rentabilité et en visibilité.
→ Du coup, les adhérents se voient proposer des services de délégation aux achats, un référencement commun, un concept marchand digne d’une véritable enseigne…
→ A l’instar des enseignes spécialisées dans la vente de produits techniques (sport, bricolage…), les enseignes de pharmacie ont cependant toujours intérêt à cultiver et afficher leur expertise métier.
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