La pharmacogénétique et la bioéquivalence de Levothyrox à la loupe

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Publié le 16 septembre 2017 | modifié le 4 février 2025
Par Anne Drouadaine
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Avec plusieurs plaintes déposées contre X pour mise en danger de la vied’autrui, l’affaire du Levothyrox est le fil rouge santé de cette rentrée. Des patients s’inquiètent de la véracité de la bioéquivalence entre les deux formules et crient au complot. Pour le professeur Stéphane Mouly, interniste et pharmacothérapeute, vice-président de la Société française de pharmacologie et thérapeutique, l’étude de bioéquivalence réalisée par le laboratoire Merck est classique mais avec un panel de volontaires sains élevé (200 personnes) par rapport à d’autres études : « L’intervalle de confiance à 95 % est très restrictif et la bioéquivalence a bien été démontrée. C’est une publication scientifiquement bien conduite dont les résultats sont peu critiquables. » Le médecin généraliste et blogueur Dominique Dupagne s’est également penché sur cette étude de bioéquivalence et regrette que l’analyse de la variabilité intra-individuelle n’ait pas été approfondie. Selon son analyse, 31,8 % des patients voient une différence d’absorption de plus de 23,7 % entre l’ancienne et la nouvelle formulation, dans un sens ou dans l’autre. Il pondère cependant ce propos, précisant que « si l’on comparait l’absorption du même médicament chez le même sujet à deux moments différents, on constaterait aussi un coefficient de variation non négligeable », suivant l’alimentation, le jour de la prise, l’heure de prise ou la qualité du sommeil, par exemple. Les symptômes apparaissant parfois au sein d’une même famille, l’éventualité d’une piste génétique est également évoquée : « Pour tout médicament, il y a une variabilité interindividuelle qui peut être expliquée en partie par la pharmacogénétique. Cependant, dans le cas présent, s’il y avait un problème lié à la pharmacogénétique, pourquoi serait-il plus présent avec la nouvelle formulation qu’avec l’ancienne ? Le mannitol est peu, voire pas du tout absorbé au niveau intestinal, sauf si l’intestin est lésé et, dans ce cas, le mécanisme d’absorption n’est pas le même que celui des hormones thyroïdiennes », analyse le Pr Mouly. Concernant les résultats de l’étude de pharmacovigilance prévus courant octobre, le professeur Mouly prévient qu’il « faut rationnaliser les attentes de cette étude. Il peut y avoir un signal et nous aurons certainement des précisions de nature descriptive et épidémiologique, mais une inférence causale sera difficile à établir à partir de simples données descriptives, aussi nombreuses et riches soient-elles. Il faudrait qu’on ait la même étude sur l’ancienne formulation de Levothyrox. Or, dans l’étude en cours, il y a un biais majeur, celui de l’anxiété liée à la médiatisation ».

Vers un marché élargi

Actuellement, 9 000 signalements d’effets indésirables ont été effectués et sont en cours d’analyse par les centres régionaux de pharmacovigilance. Dominique Martin, directeur général de l’ANSM précise que « 313 observations ont fait l’objet d’une remontée au niveau de la base nationale de pharmacovigilance. 63 cas validés ont été identifiés, répartis en 50 cas d’hypothyroïdie et 13 cas d’hyperthyroïdie. Ces résultats sont évidemment provisoires. Pour les patients avec ces déséquilibres hormonaux confirmés par des dosages, nous espérons qu’ils ont pu voir leur médecin traitant pour un redosage du traitement. Nous pensons que c’est fondamentalement un problème de transition et un problème de communication ».

La ministre de la Santé a d’ores et déjà annoncé l’élargissement du marché français à d’autres spécialités (princeps et génériques). La question de l’importation de spécialités étrangères est également à l’étude.

Cependant, le professeur Patrice Rodien, vice-président de la Société française d’endocrinologie, souligne « qu’il y aura probablement des variations de biodisponibilité d’une spécialité à l’autre, avec la nécessité d’adapter la posologie ». Et le patron de l’ANSM de confirmer que « le problème de transition existera aussi en cas de passage vers une nouvelle spécialité. Mais une transition choisie en adéquation avec le médecin sera probablement mieux acceptée que la transition vécue comme subie dans le cadre du passage de l’ancienne formulation de Levothyrox à la nouvelle ».§

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