Salariés en souffrance : que doit faire l’employeur ?

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Salariés en souffrance : que doit faire l’employeur ?

Publié le 16 juin 2025 | modifié le 17 juin 2025
Par Elisabeth Duverney-Prêt
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À l’occasion de la Semaine pour la qualité de vie et des conditions de travail, une question s’impose : que doit faire un employeur lorsqu’un salarié exprime une souffrance, et quels sont les risques en cas d’inaction ou de réponse tardive ? Me Christine Artus apporte son expertise.

Un salarié manifeste un mal-être au travail. L’employeur doit agir rapidement. Quelle réponse adopter alors ? Me Christine Artus, avocate associée spécialisée en droit social (K&L Gates), fait le point sur ces situations, les obligations légales et les enjeux pour l’entreprise. Avant une mobilisation de spécialistes au niveau national, du 16 au 20 juin, destinée à sensibiliser sur ce sujet (entre autres) dans le cadre de la Semaine pour la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT).

Les risques psychosociaux, les discriminations, le harcèlement moral ou sexuel sont des problématiques prises très au sérieux au sein des entreprises. Comment sont-elles précisément définies et identifiées?

Me Christine Artus: Leur définition est en constante évolution. Il y a encore 20 ans, la notion même de risques psychosociaux (RPS) n’existait pratiquement pas. Actuellement, elle repose sur des critères essentiellement médicaux et comportementaux. L’employeur est tenu à une obligation générale de sécurité (articles L. 4121-1 et suivants du Code du travail), qui inclut non seulement la santé physique, mais également la santé mentale de ses salariés. C’est une responsabilité lourde, d’autant plus que la souffrance au travail ne se manifeste pas toujours de manière explicite. Les signes sont souvent subtils : mal-être exprimé lors d’un entretien, baisse de motivation, arrêts maladie prolongés… Dès qu’une de ces situations, potentiellement problématique, est portée à la connaissance de l’employeur, il est de son devoir de réagir rapidement. Il n’existe pas de délai légal strict, mais la jurisprudence (Cour de cassation, chambre sociale, 23 octobre 2019, n° 18-14.148 ; cour d’appel de Versailles, 4e chambre sociale, 7 février 2024, n° 21/02212) considère que l’employeur doit agir le plus tôt possible.

L’employeur est-il tenu d’enquêter pour comprendre et mettre fin au problème rencontré par son salarié?

Me C. A.: Il n’y a pas une obligation légale d’enquêter, à proprement parler, mais en l’absence de prise en compte adéquate, la situation de souffrance est susceptible d’empirer. Le salarié peut alors saisir le conseil de prud’hommes et demander la résiliation judiciaire de son contrat pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité (Cour de cassation, chambre sociale, 2 avril 2025, n° 23-20.374). Si le juge reconnaît la faute de ce dernier dans l’exécution du contrat de travail, cela peut entraîner des dommages et intérêts sans plafonnement. Une enquête est un bon moyen d’agir.

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Qui est le mieux placé pour mener ces investigations?

Me​​​​​​​ C. A. : Un expert externe qui gardera suffisamment de distance par rapport au contexte et à l’équipe. La première étape consiste à délimiter le périmètre de l’enquête : s’agit-il d’un harcèlement moral, sexuel ? Quelles sont les personnes concernées ? Il est essentiel d’identifier les protagonistes, les témoins potentiels et de comprendre les interactions dans l’environnement de travail.

Quels sont le contenu et la finalité du rapport produit par cette enquête?

Me C. A. : Notre objectif est d’apporter au client – l’entreprise – une compréhension la plus claire et objective possible de la situation. Nous collectons les faits, les documents, les éventuelles preuves (e-mails, arrêts maladie, témoignages). Nous nous efforçons également d’évaluer s’il s’agit d’un cas isolé ou d’un dysfonctionnement collectif. Chaque mot du rapport est précisément pesé, car il pourra être utilisé ultérieurement (cour d’appel d’Aix-en-Provence, 4e chambre, 16 juin 2023, n° 21/18550).

Ce rapport peut-il être utilisé devant une juridiction?

Me C. A. : Absolument, même si ce n’est pas l’objectif premier qui est de permettre à l’entreprise une prise de décision. Prenons le cas d’un salarié licencié pour harcèlement moral qui conteste son licenciement devant le conseil de prud’hommes. L’entreprise devra démontrer qu’elle a mené une enquête sérieuse, respectant les droits des parties, et qu’elle a pris une décision fondée sur des éléments objectifs (cour d’appel d’Aix-en-Provence, 4e chambre, 16 juin 2023, n° 21/18550 ; Cour de cassation, criminelle, chambre criminelle, 9 février 2016, 14-87.677).