Capital et monopole : l’Europe a bon dos

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Publié le 27 avril 2019 | modifié le 19 septembre 2025
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Dans son avis n°   19-A-08 du 4 avril 2019 relatif aux secteurs de la distribution du médicament en ville et de la biologie médicale et de la biologie médicale privée, l’Autorité de la concurrence s’appuie sur les exemples européens pour préconiser l’ouverture du monopole officinal et l’ouverture du capital des pharmacies. Un argument dont la portée est cependant limitée. Dissection.

L’Autorité de la concurrence (ADLC) a la volonté de trouver un équilibre entre les règles de concurrence qui s’appliquent à tous les marchés et les contraintes de santé publique spécifiques au marché de la santé, estime François Dauba, avocat spécialisé en santé du cabinet BCTG Avocats. La distribution des médicaments rencontre-t-elle dans les autres pays européens les mêmes blocages qu’en France ? Si ce n’est pas le cas, la France est-elle trop protectrice ? Les pays plus libéraux que la France ont-ils rencontré des problèmes de santé publique ?   »

L’Autorité de la concurrence relève ainsi dans son avis n° 19-A-08 du 4 avril 2019 qu’« une majorité d’Etats membres (16 pays sur 28) a ouvert le monopole pharmaceutique et/ou officinal. Seuls la Belgique, le Luxembourg et l’Espagne ont une législation aussi restrictive que la France (monopole intégral sur tous les médicaments).   » Dans le même temps, elle souligne que «   l’ouverture du monopole officinal est généralement partielle et ne porte jamais sur les médicaments à prescription médicale obligatoire, exception faite du Danemark   ». De plus, «   la vente dans les GMS, drugstores ou magasins spécialisés est souvent limitée à une liste prédéfinie   ».

En ce qui concerne le capital, l’ADLC dresse également un panorama de la situation européenne : «   Sur 33 pays situés sur le continent européen, 15 d’entre eux peuvent être considérés comme étant “réservés”, c’est-à-dire qu’ils ont “conservé” la règle selon laquelle le capital des officines doit être détenu majoritairement par les seuls pharmaciens, et 18 pays comme “souples”, c’est-à-dire qu’ils ont (partiellement) “libéralisé” l’accès d’autres investisseurs que les seuls pharmaciens à la détention du capital des officines.   »

Des exemples « arrangeants » ?

Selon l’ADLC, les différents exemples européens permettent de démontrer que les ouvertures du monopole officinal et du capital en France, à condition d’être encadrées, ne seraient donc pas une hérésie en matière de santé publique. «   L’Autorité de la concurrence ne prend en compte que les exemples qui l’arrangent, explique Luc Besançon, fondateur et directeur de Pharmacy and Consulting et ancien directeur général de la Fédération internationale pharmaceutique. Nous n’assistons pas en Europe à un mouvement général de libéralisation. L’Estonie, la Hongrie et la Pologne sont revenues sur l’ouverture du capital des officines. De plus, il est difficile de faire des comparaisons entre des pays européens aux systèmes de santé très différents.   » Il n’y a donc pas un « sens de l’histoire » qui aboutirait, à terme, à une ouverture du marché de la santé. «   Il est important de contextualiser les exemples. En Suisse et aux Pays-Bas, les médicaments délivrés hors officine sont vendus par des droguistes qui ont fait des études comparables à celles des préparateurs en pharmacie en France   », ajoute Luc Besançon. Dans sa contribution à l’ADLC, l’Ordre des pharmaciens rappelle qu’à «   la suite de nombreux incidents, le Royaume-Uni, l’Irlande, le Danemark et la Suède ont jugé nécessaire de réserver de nouveau certaines présentations de paracétamol, d’AINS (ibuprofène, diclofénac) ou de médicaments antirhume au circuit officinal, voire à la prescription   ». Ces risques légitiment aussi la position de l’Afipa, qui regroupe les industriels de produits de santé vendus en officine sans ordonnance. «   La sécurité des patients est une priorité de l’Afipa, déclare Christophe de la Fouchardière, président de l’association. La vente de médicaments OTC hors des officines n’est pas concevable ; seules les pharmacies offrent un conseil et des conditions optimales de sécurité et de traçabilité, ainsi que l’éducation thérapeutique qui favorise le bon usage du médicament.   »

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Des impacts non chiffrés

Au-delà de la sécurité des patients, se pose la question des effets liés à l’ouverture du marché à la concurrence. «   En 2016, les prix en moyenne s’établissent à 4,74   € en France contre 5,81   € au Royaume-Uni et 8,21   € en Italie alors que, dans ce pays, la vente en GMS est effective depuis 2006. L’ouverture du monopole n’a donc pas eu un impact significatif   », constate ainsi Christophe de la Fouchardière. L’ADLC ne donne d’ailleurs aucun chiffre sur la baisse des prix des médicaments OTC dans les autres pays européens. Pour la France, elle se base uniquement sur une étude d’UFC-Que Choisir qui estime qu’une ouverture du monopole officinal en France «   permettrait une diminution de leurs prix de 10   % au moins   ». «   L’ADLC ne précise pas ses attentes en matière de baisse de prix des médicaments à prescription médicale facultative. Elle ne donne aucune prévision, observe Luc Besançon. Or il faut prendre en compte tous les effets y compris indirects. Les propositions de l’ADLC visent à garantir un certain niveau de sécurité, mais elles impliquent des coûts supplémentaires pour les GMS et les pouvoirs publics qui devront les contrôler. Si nous avons une baisse de prix de 2   %, quel sera le gain attendu par rapport aux surcoûts ?   »

D’autres aspects ne sont pas traités. «   Le maillage officinal est un élément important. Les 22 000 officines permettent un accès facile et rapide aux professionnels de santé et aux produits de santé. L’ouverture du monopole officinal, recommandée par l’ADLC, n’apporterait rien de plus aux patients   », remarque Christophe de la Fouchardière. «   L’ADLC n’aborde pas non plus le problème démographique. Une ouverture du monopole implique le recrutement de pharmaciens par les grandes surfaces et, par conséquent, des tensions pour les pharmacies d’officine et sur le marché de l’emploi   », ajoute Luc Besançon. Le consultant critique aussi l’analyse de l’ADLC en faveur d’une ouverture du capital pour faire face au problème de financement des officines. Selon lui, le départ à la retraite de nombreux pharmaciens baby-boomers dans 5 ou 10 ans va mécaniquement faire diminuer les prix des pharmacies. «   Le problème de financement est-il donc temporaire ? L’ADLC n’a pas regardé de près cette question   », commente-t-il. Et de s’interroger : «   L’ouverture du capital pose le problème de la responsabilité des propriétaires des pharmacies, en particulier des chaînes de pharmacie, et de leur sanction économique en cas de manquement à la déontologie. Un titulaire interdit d’exercice est obligé de vendre son officine. Que va-t-il se passer pour des propriétaires de chaînes de pharmacies ? Il n’y a pas de vraie réponse à ce sujet.   »

L’ADLC n’aurait donc pas approfondi toutes les dimensions de ses recommandations. Selon François Dauba, «   l’avis et les différentes propositions de l’Autorité doivent être vus de façon globale. Dans l’hypothèse où la proposition d’ouverture du monopole officinal serait adoptée par les pouvoirs publics, il conviendrait d’introduire les autres propositions de l’Autorité (ouverture du monopole, ouverture du capital, vente en ligne, publicité, nouveaux services) pour que les pharmaciens soient sur un pied d’égalité avec les autres opérateurs. L’Autorité propose des outils aux pharmaciens pour qu’ils puissent faire face à la concurrence. On ne peut pas accepter une évolution qui ne soit pas globale.   » «   Quel est l’impact et le coût direct des propositions de l’ADLC pour les pharmaciens, les patients et les pouvoirs publics ? Avant de prendre une décision, l’Etat doit prendre en compte l’ensemble des autres conditions et des contraintes dans le domaine de la santé   », insiste Luc Besançon.

•  L’Autorité de la concurrence s’appuie sur les exemples européens pour préconiser l’ouverture du monopole officinal et du capital des pharmacies. Mais face à ses propositions, de nombreuses réponses manquent à l’appel.

•  Au-delà de la sécurité des patients, l’ouverture du monopole n’a pas d’impact significatif sur les prix.

•  L’ouverture du capital pose un problème de responsabilité des propriétaires en cas de manquement à la déontologie.

REPÈRES