Le pharmacien doit investir dans le préventif

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Publié le 1 septembre 2019
Par Peggy Cardin-Changizi
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L’image des seniors a changé depuis une vingtaine d’années, boostée par une espérance de vie (en bonne santé) en forte progression. Pour Jean-Philippe Arnoux, directeur Silver économie et accessibilité chez Saint-Gobain, c’est aujourd’hui une population connectée, attachée aux commerces physiques et en attente de conseils et de services. Une cible de choix pour le pharmacien !

→ Diplômé en droit social et en ressources humaines, Jean-Philippe Arnoux, 49 ans, a intégré des fonctions marketing dans le Groupe Saint-Gobain en 2005, après dix ans d’expériences commerciales opérationnelles. En 2015, il fonde Vita Confort, enseigne « laboratoire » de services et de distribution dédiée au confort d’usage pour toutes les générations. De retour chez Saint-Gobain Distribution Bâtiment France en 2017, il crée la direction Silver Economie et Accessibilité. Il représente par ailleurs Saint-Gobain, membre de France Silver Eco au bureau exécutif en charge des questions Logement, et intègre en octobre 2018 le Conseil National de la Silver Economie.

« Pharmacien Manager ». Quelles sont les attentes des seniors ?

Jean-Philippe Arnoux. Avant tout, de l’écoute, de la proximité et du service. En matière de retail, plus on avance en âge et plus le commerçant du quartier devient l’acteur de la vie sociale, comme le pharmacien qui devient le confident des petits problèmes de santé. Ils sont moins à l’aise dans les grands centres commer ciaux, pas toujours accessibles ou trop « tumultueux » pour les plus âgés.

P. M. Comment le retail peut-il s’adapter aux seniors ?

J. P.-A. En inventant des services et en développant un mode de consommation plus responsable. Plus de petits conditionnements, moins d’emballages… car ces derniers deviennent difficiles à ouvrir avec l’âge. Mais, c’est surtout dans la mise à disposition d’un personnel attentif qu’il faudra investir, car plus on vieillit et plus on a de temps, et peut-être l’envie d’échanger avec une hôtesse de caisse qu’on connaît, plutôt qu’un froid lecteur de code-barres.

P. M. Quel est l’attachement des seniors aux commerces physiques ?

J. P.-A. Les seniors achètent toujours plus en ligne des produits à moindre implication émotionnelle ou d’investissement, comme des livres. Mais, dès qu’il s’agit de produit impliquant une certaine valeur, financière ou de signe, alors le commerce physique et surtout le conseil reprennent tout leur sens.

P. M. Comment s’adresser aux seniors ?

J. P.-A. Peut-être en ne s’adressant justement pas à eux ! Il faut adopter un discours plus clair, plus explicite, plus honnête. Combien de distributeurs ou de prestataires de services usent encore aujourd’hui de publicités trompeuses, pour vanter des bénéfices clients qui n’existent pas ? Il faut, aussi, éviter les discours infantilisants ou moralisateurs, ou encore dramatiques.

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P. M. Comment imaginer des concepts innovants ?

J. P.-A. En concevant directement avec eux, en organisant des ateliers. Concevoir avec, c’est savoir écouter ce que les usagers disent, ou ne disent pas. C’est définir avec eux un cahier des charges d’usage robuste et honnête avant de passer à l’étape du cahier des charges techniques.

P. M. Après avoir lancé Vita Confort en 2015, pourquoi changer de stratégie aujourd’hui ?

J. P.-A. Au départ, Vita Confort se voulait la première enseigne proposant des produits d’adaptation du logement au grand âge, offrant une large gamme d’aides techniques et de confort et surtout des services hyper-développés sur le conseil et l’accompagnement. Mais, nous avons eu des difficultés à convaincre les personnes à anticiper les travaux en vue du grand âge. Aujourd’hui, l’âge moyen des travaux est de 83 ans, avec souvent comme fait générateur la perte du conjoint ou des signes avérés de perte d’autonomie. Pour l’heure, il n’y a donc pas un marché de masse pour une enseigne naissante avec une notoriété trop locale. L’enseigne s’est donc repliée sur son cœur de métier, à savoir principalement les travaux de la salle de bains toutes catégories d’âge confondues.

P. M. Du coup, quel type de produits proposez-vous ?

J. P.-A. L’enjeu est de faire changer le regard en intégrant des accessoires de sécurité dans tous nos produits. Une barre de maintien dans une douche doit sortir du cadre purement handicap ou seniors, car risquer la chute n’est pas réservé à ces seules populations. De même, un lavabo avec siphon déporté pour offrir un passage de jambe à une personne en fauteuil roulant, permet un gain d’espace pour du rangement…

P. M. Pourrait-on imaginer des partenariats entre Vita Confort et les pharmaciens ?

J. P.-A. Nous avions déjà des partenariats informels. Dans la mesure où l’enseigne Vita Confort ne s’est jamais positionnée sur les marchés du paramédical ou médical, mais uniquement sur le soutien au domicile et le confort, nous redirigions systématiquement nos clients vers des pharmacies pour répondre à des demandes plus spécifiques ou techniques. Il y a une grande complémentarité entre nos métiers.

P. M. Comment la pharmacie pourrait-elle mieux accompagner les seniors ?

J. P.-A. Au-delà de la proximité et du conseil, la pharmacie pourrait peut-être accorder plus de place aux accessoires de maintien de l’autonomie préventive, bien au-delà des seuls matériels paramédicaux remboursés ou pris en charge. Le pharmacien est en première ligne dans le curatif pour les seniors, à lui d’investir dans le préventif.

P. M. Pourquoi avoir créé un département silver économie chez Saint-Gobain ?

J. P.-A. Parce que le monde du bâtiment n’est absolument pas impliqué dans le sujet de cette transition démographique, alors que l’enjeu du soutien à domicile va s’imposer à nous au fur et à mesure que les babyboomers vont se muer en papyboomers. En tant que leader du secteur, nous souhaitons contribuer au décloisonnement du grand âge, qui ne sera plus du seul domaine du médical. Le logement de demain devra être bien plus ergonomique pour les usagers âgés, mais aussi pour leurs aidants et nous avons déjà nombre de réponses à ces enjeux.

DIRECTEUR SILVER ÉCONOMIE ET ACCESSIBILITÉ CHEZ SAINT-GOBAIN DISTRIBUTION BÂTIMENT FRANCE