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Comment les études scientifiques déterminent l’intérêt d’une molécule
L’(in)efficacité de l’hydroxychloroquine dans la prise en charge du Covid-19 n’est toujours pas clairement établie malgré les articles que les scientifiques opposent par médias interposés. Etudes observationnelles et essais cliniques ne fournissent pourtant pas le même niveau d’information.
L’article publié le 22 mai dans The Lancet, qui suggérait une surmortalité chez les patients atteints de Covid-19 traités par hydroxychloroquine avec ou sans macrolide, a été l’article de trop. Sortie (puis retirée) après une série d’études et d’enquêtes de pharmacovigilance défavorables à l’hydroxychloroquine, cette étude observationnelle a conduit l’Organisation mondiale de la santé (OMS) puis la France à suspendre précipitamment l’inclusion de nouveaux patients dans les essais cliniques avec hydroxychloroquine. Entre études observationnelles et essais cliniques contrôlés, sur quelles données s’appuyer pour établir l’efficacité et la sécurité d’un médicament ?
Un essai pour évaluer
Un essai clinique est une recherche pratiquée sur l’être humain pour évaluer l’efficacité et la sécurité d’un traitement, et dans lequel le chercheur modifie délibérément le cours naturel des événements. « Pour être valable, un essai clinique contrôlé doit remplir des conditions méthodologiques précises. Il doit avoir un objectif principal qui est de confirmer ou d’infirmer une hypothèse préalable », expliquait l’Académie nationale de médecine dans une communication scientifique de 2007. Pour répondre à la question « le résultat observé est-il dû à l’intervention ? », l’essai clinique doit garantir :
– un groupe contrôle, parfaitement semblable au groupe de patients traités, ne différant que par l’exposition au médicament évalué, et suivi simultanément, pour limiter les biais ;
– une randomisation, c’est-à-dire une répartition au hasard des patients par tirage au sort, pour éviter le biais de sélection ;
– une réalisation à l’aveugle, de préférence en double aveugle (ni l’investigateur ni l’équipe soignante ni le patient ne connaissent la nature du traitement administré), par opposition aux essais en ouvert (le traitement est connu de tous), pour éviter les biais de réalisation et d’évaluation.
« Les études sans groupe contrôle ne permettent pas d’imputer le résultat observé au traitement testé, mais elles permettent de définir des hypothèses de travail qui, elles, seront à confirmer par un essai clinique contrôlé et randomisé », soulignait par ailleurs le Dr Hubert Méchin, vice-président des Entreprises de la recherche clinique (AFCROs), le 23 avril dans une mise au point.
Le nombre de patients à inclure dans l’essai n’est pas non plus laissé au hasard. Il doit être calculé en tenant compte du type d’essai choisi, de l’hypothèse à confirmer, des risques statistiques et de la variabilité du critère principal de mesure d’effet. En principe, « le nombre de patients à inclure sera d’autant plus important que la différence à mettre en évidence entre les groupes comparés sera petite ou que la mesure du critère d’évaluation sera variable entre les patients », explique le Dr Méchin.
Cependant, une fois le médicament utilisé en vie réelle, les données changent. Le degré de similitude entre l’utilisation du médicament en vie réelle et les conclusions de l’essai clinique est estimé à 20 % environ, selon l’AFCROs. Pourquoi de telles différences ? Les patients sélectionnés pour les essais cliniques ne représentent pas la totalité de la population qui sera exposée au traitement par la suite. En effet, pour des raisons éthiques ou parce qu’ils sont à risque, certains patients sont exclus des essais cliniques (enfants, femmes enceintes, sujets âgés, insuffisant hépatique, rénal, etc.). Par ailleurs, la durée des traitements dans les essais est souvent inférieure à celle des traitements dans la pratique médicale et, ajouté au fait que le nombre des patients inclus dans les essais est forcément réduit, la capacité des essais à détecter des effets indésirables rares est limitée. Enfin, la prise en charge des malades dans les essais cliniques est surveillée, les protocoles suivis à la lettre. Une conduite souvent différente de celle de la pratique médicale usuelle. D’où la nécessité d’observations en vie réelle.
Une étude observationnelle pour voir
Dans les études observationnelles, l’investigateur ne change pas le cours des événements mais observe une population, un phénomène. Les modalités sont toutefois les plus proches possible des paramètres évalués (sélection des patients, attribution, dose et durée du traitement, mode de surveillance, etc.). Si ces études partent d’une réalité du terrain pour décrire une utilisation en vie réelle, l’absence de plan expérimental augmente la possibilité de biais et rend donc plus difficile une analyse de causalité.
En résumé, l’essai clinique contrôlé randomisé reste la référence pour évaluer l’efficacité d’un traitement, l’étude observationnelle apportant une confirmation. L’étude observationnelle permet d’évaluer la sécurité d’emploi du même médicament « en vie réelle ». Les deux approches sont donc complémentaires. Toutefois, une seule étude d’observation ou un seul essai clinique ne suffit pas, en général, pour répondre complètement à la question posée.
MÉDECINE FACTUELLE VERSUS INTUITION
La médecine factuelle (ou evidence based medicine), qui repose sur des essais cliniques contrôlés, fait actuellement référence. Son intérêt ? « Soumettre à une démarche expérimentale “l’intime conviction” du médecin prescripteur, c’est-à-dire l’amener à fonder sa pratique sur la prise en compte de résultats expérimentaux objectifs plutôt que sur des arguments subjectifs reposant sur des expériences individuelles non contrôlées, ou sur des impressions non validement étayées, ou sur des prises de position présentées comme certaines par des leaders d’opinion mais qui ne résistent pas à une analyse critique objective », expliquait l’Académie nationale de médecine en 2007.
Le but des essais cliniques contrôlés est donc de dissiper une incertitude au sein de la communauté scientifique à propos de la supériorité d’un traitement sur un autre, ou d’un placebo. En l’absence de consensus au sein d’une communauté d’experts, l’introduction d’un groupe contrôle ne peut pas être considérée comme une perte de chance pour les patients du groupe et demeure parfaitement compatible avec l’éthique.
Comme le rappellent plus de 2 000 soignants et chercheurs signataires de la tribune « La médecine ne relève pas d’un coup de poker », publiée le 4 juin dans Le Monde, l’un des piliers de la médecine reste de « ne jamais risquer la vie des malades avec des traitements qui pourraient avoir plus d’effets indésirables graves que d’effets bénéfiques ». Urgence de la situation ou pas.
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