Acquisition : quelles solutions de financement ?

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Publié le 21 novembre 2020
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Le financement externe des officines se diversifie. Entre les apports des titulaires et le recours au crédit bancaire traditionnel peuvent s’intercaler d’autres moyens pour financer ses actifs incorporels et ses équipements. Quand l’apport est insuffisant, à quel mode de financement complémentaire se fier pour accéder à l’achat d’une officine ? Face à la diversité de l’offre, Serge Gilodi, conseil en stratégie, ingénierie financière et transaction et responsable de la société Serendipity Conseil, vous éclaire.

Pendant de nombreuses années, les modalités de financement de l’acquisition d’une officine de pharmacie se sont inscrites dans un schéma étonnamment normalisé :

• des fonds propres couvrant environ 20 % de la dépense,

• et un crédit bancaire remboursable sur une durée usuelle de 12 ans et à un taux toujours parmi les plus bas du marché.

A partir du milieu des années 2000, les pharmaciens ont dû s’adapter à des politiques de maîtrise des dépenses de santé qui ont particulièrement ciblé le médicament. La dégradation de l’environnement économique et financier a alors donné un coup d’accélérateur au développement des sociétés d’exercice libéral (SEL), entraînant dans sa suite de nouvelles stratégies de carrière : développement de l’exercice associatif, prises de participations, constitution de groupes locaux ou régionaux, émergence de véritables PME et, plus récemment, de « méga-pharmacies ». Dans ce marché en pleine mutation, les financements classiques ont montré leurs limites et de nouvelles solutions ont été progressivement mises en œuvre pour accompagner des projets de plus en plus gourmands en capitaux et des pharmaciens entrepreneurs aux moyens limités. Serge Gilodi identifie au moins 4 leviers financiers susceptibles de compléter l’apport personnel du pharmacien et conditionner l’octroi du crédit bancaire qui reste la principale ressource de financement d’une acquisition :

• l’investissement en capital par des pharmaciens extérieurs,

• le prêt personnel d’aide à l’installation consenti au titulaire,

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• le prêt booster venant en quasi fonds propres de la SEL,

• le prêt obligataire émis par la SEL ou la SPFPL de reprise.

L’investissement en capital

Depuis la création de la société d’exercice libéral en 1992, le capital des pharmacies est ouvert aux investisseurs… pour autant qu’ils soient eux-mêmes pharmaciens titulaires d’une officine. Ce nouveau mode d’exercice s’est rapidement développé à partir des années 2000 et les prises de participations se sont multipliées. En effet, 58 % des 20 736 officines recensées au 1er janvier 2020 sont désormais exploitées en SEL et on estime que près de 40 % d’entre elles, soit environ 4 500 pharmacies, accueillent au moins un associé extérieur dans leur capital.

Une plateforme de financement participatif, PharmEquity, propose depuis quelques semaines une solution originale de crowdfunding permettant de mettre en relation des pharmaciens repreneurs en manque de fonds propres, et des pharmaciens épargnants à la recherche d’opportunités d’investissements dans la pharmacie.

Le prêt personnel d’aide à l’installation

Une multitude de groupements, en partenariat avec des organismes bancaires, proposent aux jeunes primo-accédants de compléter leur apport au capital d’une SEL grâce à un prêt personnel dédié. Ainsi, des groupements tels que PHR, Pharmavie ou Giphar notamment, proposent une enveloppe pouvant aller jusqu’à 150 000 €, remboursable sur une durée de 9 ans. Le remboursement du capital de ce crédit personnel ne démarre que la 5e année, rendant la charge de l’emprunt indolore pendant les 4 premières années.

Le complément d’apport à la SEL

D’autres groupements ou des grossistes-répartiteurs (OCP, Leader Santé, Giropharm…) ont mis en place des boosters d’apport sous forme de prêts à la SEL consentis ou cautionnés par eux. Dans certains cas, ces prêts peuvent être assimilés par le banquier senior à des « quasi fonds propres ». Ils sont généralement consentis sur une durée de 5 à 7 ans ; les mensualités peuvent être allégées par un différé de remboursement du capital (échéances d’intérêts seuls) pendant les premières années, voire toute la durée de l’emprunt (remboursement in fine).

Le prêt obligataire

Cette technique de financement, courante dans le monde de l’entreprise, se développe sur le marché de l’officine depuis une dizaine d’années. Elle est généralement mise en œuvre par un fonds d’investissement, lui-même adossé à un groupement, qui n’a pas d’autre alternative pour investir dans la pharmacie puisque l’ouverture du capital reste une chimère. Des pharmaciens installés exploitent également ce mode de financement qui leur permet de contourner la réglementation et de continuer à investir dans un nombre théoriquement illimité d’officines, alors que depuis 2013, le nombre de participations directes ou indirectes est limité à 5 pharmacies. Enfin, la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP) a lancé son propre fonds d’investissement en 2019 ; il propose un prêt obligataire à des conditions particulièrement attractives, afin d’aider les primo-accédants à s’installer.

Les emprunts obligataires peuvent revêtir de nombreuses formes, mais les deux modèles les plus usités en pharmacie sont les obligations simples (OS) et les obligations convertibles en actions (OCA) assorties d’une prime de non conversion.

EXEMPLES

Afin d’illustrer quelques-unes des modalités de financement s’offrant au candidat à la reprise d’une officine, Serge Gilodi a développé 3 scénarios de reprise d’une même pharmacie, par 3 repreneurs différents : Pierre, Paul et Jacques.

La pharmacie réalise un chiffre d’affaires de 2 200 000 € et dégage un EBE avant rémunération du titulaire de 320 000 €. Le prix de cession est fixé à 1 850 000 €, soit une valorisation de 84 % du CA et 5,8 fois l’EBE.

Pierre, Paul et Jacques disposent respectivement d’un apport personnel de 400 000 €, 200 000 € et 100 000 €. Serge Gilodi établit dans un premier temps le plan de financement de leur acquisition respective, puis examine leur situation financière et la performance de leur investissement au terme des 5 premières années d’exploitation de leur officine.

PLAN DE FINANCEMENT DE DÉPART

Outre l’acquisition du fonds de commerce au prix de 1 850 000 €, il convient de prévoir 250 000 € supplémentaires pour couvrir l’ensemble des besoins à financer :

Pierre dispose d’un apport personnel appréciable de 400 000 € représentant 22 % du prix du fonds. Il est en mesure de se positionner seul pour obtenir un emprunt bancaire de 1 700 000 € au taux annuel de 1,20 % assurance incluse et remboursable sur une durée de 12 ans.

De son côté, Paul peut réunir une somme de 200 000 € et bénéficie de l’intervention de la CAVP réservée à la première installation. Par l’intermédiaire du fonds InterPharmaciens, il a obtenu un complément d’apport de 200 000 € sous la forme d’un prêt obligataire sur une durée de 15 ans remboursable in fine.

Quant à Jacques, il dispose de ressources propres plus modestes, s’élevant à 101 000 € ; il s’engage dans son projet avec un pharmacien investisseur qui apporte une somme de 299 000 € en contrepartie d’une participation au capital de la SEL à hauteur de 49,5 %.

ENDETTEMENT AU TERME DE LA 5E ANNÉE

A l’échéance des 5 premières années, chacune des 3 SEL a déjà remboursé 40 % du capital emprunté auprès de sa banque. Sous l’effet de taux d’intérêt historiquement bas, les remboursements en capital représentent presque 90 % de l’annuité du crédit dès la 1re année. La dette bancaire de la SEL s’élève donc à 1 021 000 €, à rapprocher d’un chiffre d’affaires supposé de 2 312 000 € grâce à une croissance annuelle de 1 %.

Dans le cas de Paul, la SEL B reste également redevable d’une dette obligataire de 200 000 € au bénéfice du fonds InterPharmaciens.

Enfin, la SEL C exploitée par Jacques a toujours un compte courant inscrit au bénéfice de l’associé investisseur pour un montant de 200 000 €, étant supposé qu’aucune somme ne lui a été remboursée grâce à la trésorerie dégagée au cours des 5 années d’exploitation.

JEAN-MICHEL SIMONETTI DU CABINET CHANNELS

« Dans la grande majorité des cessions de parts que nous réalisons, nous procédons à un rachat par annulation de parts »

« Nous assistons de plus en plus à des cessions de droits sociaux de société au détriment des cessions de fonds. Beaucoup plus complexes, les cessions de parts sociales ou d’actions font appel à de nombreuses solutions d’ingénierie financière, et parmi elles, le rachat par annulation de parts sous réserve que les capitaux propres de la société le permettent. Chez Channels, nous sommes très attentifs à cette opération sur les capitaux propres. Le principe de ce montage financier est le suivant : il consiste à faire racheter tout ou partie des droits sociaux (ceux du ou des cédants) par la société directement. Principalement, on procède à l’annulation des parts par réduction du capital social et par imputation du solde sur les réserves. Cette opération présente plusieurs avantages : c’est la société qui contracte l’emprunt pour financer la réduction de capital, elle est donc en mesure d’offrir davantage de garanties à la banque qu’un pharmacien qui rachète directement ou indirectement des actions ou des parts sociales, et cela permet également l’économie des droits de mutations. Cette opération évite d’avoir à racheter à titre personnel ou via une SPFPL la totalité ou une grande partie des parts d’une société, le pharmacien n’ayant ici qu’à racheter un solde de parts avec son apport personnel, suite à l’annulation de parts/réduction des capitaux propres. Si le prix des parts en question est égal au prix du fonds parce que la société est désendettée et donc élevé, il pourra les acquérir au besoin par un montage mixte, par annulation des parts puis en créant une SPFPL, qui achètera le solde des parts. »

APPROCHE DE CAPITALISATION AU TERME DES 5 ANS

Au cours des 5 premières années, les bénéfices des 3 SEL auront permis :

– de rembourser 40 % de la dette bancaire, soit un capital remboursé de 679 000 € ;

– de cumuler les excédents annuels de trésorerie pour un total de 246 000 € dans la SEL A de Pierre, et de 231 000 € pour celles de Paul et de Jacques, du fait des intérêts périodiques versés au titre de la rémunération du prêt obligataire pour l’un et du compte courant de l’associé investisseur pour l’autre.

En outre, en présumant une croissance de l’activité de 1 % par an et une base de valorisation de 84 % du CA comme à l’origine, le fonds sera réévalué à 1 944 000 € en N+5, soit une plus-value latente de 94 000 €.

Dans ce contexte, la capitalisation acquise par Pierre, Paul et Jacques au terme des 5 ans sera respectivement de 1 259 000 €, 1 044 000 € et 527 000 €.

RENTABILITÉ DE L’INVESTISSEMENT

Il est ainsi démontré que le recours au prêt obligataire proposé par la CAVP accroît considérablement l’effet de levier au bénéfice du titulaire : en valeur absolue, Paul réalise une plus-value comparable à celle de Pierre, alors que son apport personnel était 2 fois moindre. Ainsi, l’investissement de 400 000 € de Pierre présente un taux de rendement interne (TRI) de 26 %, tandis que les 200 000 € investis par Paul affichent une performance de 39 % !

Serge Gilodi précise toutefois que « tous les emprunts obligataires ne se valent pas et les caractéristiques des obligations simples consenties par la CAVP sont tout à fait exceptionnelles. La majorité des offres présentes sur le marché de la pharmacie revêtent la forme d’obligations convertibles en actions (OCA) avec un taux d’intérêt et une prime de non-conversion qui permettent au fonds d’investissement de capter une part significative de la valeur créée. La plus grande vigilance et la consultation de conseils avisés s’imposent ! »

La performance de Jacques est identique à celle de Paul, avec un capital multiplié par 5,2 en 5 ans, mais pour un investissement de départ de seulement 101 000 €. Enfin, l’associé investisseur de Jacques bénéficie d’un TRI de 20 % et voit son investissement de 299 000 € multiplié par 2,5 en 5 ans.

La conclusion de Serge Gilodi

« Une diversité infinie de scénarios s’offre au candidat à l’installation et ces 3 exemples n’en sont qu’une illustration très incomplète. Chacune de ces solutions répond à une problématique qui lui est propre et, sauf montages quelque peu douteux, leur pertinence ne saurait être hiérarchisée indépendamment du contexte de leur mise en œuvre. Deux offres ont vu le jour récemment à l’initiative d’instances professionnelles : le fonds InterPharmaciens de la CAVP et la plateforme de crowdfunding PharmEquity mise au point par la FSPF, l’USPO et Interfimo. A l’évidence, cela témoigne de la mutation irréversible du paysage officinal à laquelle la profession devra faire face. »