De la réserve au comptoir

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Publié le 1 octobre 2011
Par Christine Julien
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Claire Bialecki a deux comptoirs : le restaurant et la pharmacie. Serveuse et préparatrice récemment diplômée, la jeune fille de Bully-les-Mines (Pas-de-Calais) évolue dans deux univers pour vaincre sa timidité. Un pari presque gagné.

Si Claire ne vous connaît pas, il est fort possible qu’elle rougisse quand vous lui adresserez la parole. Cette timidité est quasi congénitale : « Ma mère est timide, mon frère François aussi ». Contre ce handicap, qui la rend muette et perturbe ses entreprises, Claire Bialecki se soigne in vivo, au contact d’une clientèle malade ou en bonne santé. Dans la pharmacie du Nord où elle vient d’obtenir son BP, et au Flam’s, un restaurant de spécialités alsaciennes à Lille, où elle travaille depuis quatre ans.

Cherche serveuse, avec ou sans expérience. Difficile d’imaginer la petite fille timide de Bully-les-Mines (Pas-de-Calais), puis l’adolescente studieuse et boulotte – « on se moquait de moi » – en jeune femme virevoltant dans un restaurant de 150 couverts. Tout a débuté par une annonce affichée sur la devanture : « Cherche serveuse ». Claire redouble alors sa licence en biologie cellulaire. Les 4 heures de cours hebdomadaires lui laissent du temps : « Je cherchais du travail pour gagner un peu d’argent et pour m’occuper ». Rester sans rien faire n’est pas sa tasse de thé. Elle pousse la porte du restaurant, sur un coup de tête. « Servir les gens et fréquenter un univers différent me tentaient. En plus, ils prenaient des personnes sans expérience ». Les patrons, des trentenaires dynamiques, lui demandent si cela ne la dérange pas de faire le ménage en plus de servir. C’est OK pour Claire. « Durant mes études, grâce à mon père infirmier et à ma mère aide-soignante, je travaillais l’été comme aide-soignante à l’hôpital de Lens. Servir à quelque chose, s’occuper des autres, la propreté, je savais, et ce n’était pas dévalorisant ».

Elle est prise un mois à l’essai, durant lequel elle est formée : prendre les commandes, dresser les tables, accueillir les clients… Tout lui plaît : l’ambiance – « Parmi les quinze serveurs et les gens en cuisine, il y a de nombreux étudiants, y compris dans la clientèle, qui est sympathique et familiale » –, la décoration moderne rouge et orange, la musique en fond… La spécialité de ce restaurant alsacien est la flamme-kueche, une sorte de pizza à pâte à pain très fine dont la crème fraîche a usurpé la sauce tomate et qui s’agrémente de lardons, poulet et autres garnitures. Vins blancs et bières locales accompagnent le menu. « Les patrons nous ont formés, mais je ne distingue pas bien les différentes offres, je n’aime ni le vin, ni la bière. Je ne bois pas d’alcool », avoue Claire.

Des clients à toutes les sauces. Les premiers temps, Claire travaille du jeudi au samedi soir, de 19 heures à 1 heure du matin. Elle arrive tant bien que mal à gérer sa timidité : « Au début, c’était l’horreur, je prenais la commande et partais directement en cuisine ». Quand un problème se déclarait, un repas pas assez chaud ou une place qui ne convenait pas, elle claquait quasiment la porte. « Aujourd’hui, j’arrive à parler. À force de travail, j’ai acquis les techniques. Il faut être souriante. J’ai appris en observant ». Depuis juillet, elle est responsable de salle en alternance avec ses collègues. Elle fait la mise en place, nettoie la salle et les toilettes, puis accueille les clients, les place et fait en sorte que tout se passe bien : « Je dois avoir l’œil à tout. Il faut éviter de réagir au quart de tour. Je dois être tempérée ». Même quand les clients ne sont pas satisfaits, mais c’est rare : « En service, c’est la rigolade, les gens sont en bonne santé. Au Flam’s, quand quelque chose ne va pas, c’est de notre faute ». Bien loin de l’univers officinal : « À la pharmacie, les gens ont des problèmes de santé et je ne peux pas faire grand-chose. Cela m’embête. Je tente bien de les aider, mais je sais que je ne pourrai pas. Je n’aime pas voir les gens souffrir ». Cette impuissance, Claire la combat car son métier, c’est préparatrice en pharmacie. Le métier de serveuse, c’est un smic hôtelier très bas et des horaires incompatibles avec une vie de famille, mais c’est une activité qui permet peut-être à cette jolie blonde aux yeux bleus de se rassurer sur ses compétences. Ce qu’elle n’arrive pas encore à faire au comptoir officinal.

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Quand les doutes nourrissent la timidité. « Quand un plat arrive froid, je peux toujours proposer une solution ou offrir quelque chose en guide d’excuse ». Au comptoir, quand les clients lui demandent un conseil, Claire se sent désemparée. Ce problème est amplifié par le fait qu’elle a accompli son apprentissage et travaille encore aujourd’hui dans une pharmacie minière à Grenay, dans le Pas-de-Calais, où le conseil est rare auprès d’une clientèle souvent très âgée. « Je suis gênée, je ne sais pas grand-chose. Certes, j’apprécie les contacts, je sais que les clients attendent quelque chose de moi, mais j’ai peur de me tromper », avoue la récente diplômée. Même si Claire tente de combattre ses doutes grâce à l’expérience de tous les jours, elle les nourrit aussi de ses échecs passés. Un véritable terreau pour sa timidité.

Après son bac S, elle commence médecine pour devenir pédiatre – « Petite, je voulais toujours soigner mes petites cousines ». Elle part à la fac de Lille, en cohabitation avec sa sœur, étudiante en immunologie. Bourrage de crâne, mauvaise mentalité, c’est l’échec. Soutenue par son aînée Emilie, Claire entame une fac de sciences pour devenir chercheuse en génétique. La biophysique et les théories de l’hérédité la plantent de vingt centièmes lors de sa deuxième tentative en licence. Elle s’inscrit alors au concours de l’école d’infirmière, l’oral la fait échouer : « Il fallait parler de moi et de mes motivations ». Un calvaire pour la jeune fille qui n’arrive pas à mettre de mots sur ce qu’elle veut ou ressent. Alors qu’elle décide faire le BP au CFA de Douai (Nord) parce que cela la rapproche de l’univers de la santé, elle peine à trouver un employeur. Chaque entretien se solde par un échec : « Je n’aime pas me mettre en avant, les recruteurs me disaient que je n’étais pas expansive ».

Pour cette raison, Claire envisage de tenter le diplôme de préparateur hospitalier dès l’année prochaine. Non seulement pour dire au revoir au comptoir, mais surtout pour continuer à apprendre, pour éviter le côté commercial et faire des préparations. Un meilleur salaire est également une motivation supplémentaire pour passer son permis moto, enfourcher une 750 cm3 et prendre la route. Et trouver un homme qui l’acceptera comme elle est. Préparatrice, serveuse, timide ou audacieuse quand un garçon lui plaît. Bref, une jeune femme d’aujourd’hui… Paradoxe, vous avez dit paradoxe ?

Portrait chinois

• Si vous étiez un végétal ?

Une fleur colorée et odorante qui s’épanouit au contact des gens ou du soleil, et qui vivrait longtemps. Il faut me laisser du temps pour m’ouvrir aux autres.

• Une forme galénique ?

Un comprimé effervescent car il est pétillant. Je le suis aussi, sauf quand je ne connais pas les gens. Je suis timide. J’aime aussi que les choses aillent vite.

• Un médicament ? Un comprimé de vitamine C parce que je ne peux pas rester sans rien faire, je suis toujours en activité. Je n’arrive pas à me reposer. Lorsque je m’arrête, le vide m’angoisse.

• Un dispositif médical ? Une prothèse auditive. Je suis beaucoup à l’écoute des autres. Je suis toujours là lorsque mes copines ne vont pas bien.

• Un vaccin ? Contre la timidité. C’est une maladie qui me bloque beaucoup, notamment pour aborder les gens.

• Une partie du corps ? Les yeux parce que j’aime bien observer tout ce qui m’entoure.

Claire Bialecki

Âge : 26 ans.

Formation : préparatrice en pharmacie.

Lieu d’exercice : pharmacie des Mines à Grenay (62).

Ce qui la motive : apprendre chaque jour davantage.